J’ai été victime d’une agression lesbophobe à Lyon

En week-end à Lyon, ville marquée par une mobilisation massive contre le mariage homo, mon amie et moi avons été victimes d’une agression verbale lesbophobe. Au delà de l’incident, c’est l’indifférence des témoins et l’indigence du personnel de police que me poussent à rédiger cet article.

Tandis que le mouvement des opposants au mariage pour tous s’essouffle un peu partout en France, une armée d’irréductibles continuent d’y croire dur comme fer. À Lyon, la mobilisation des antis a été particulièrement suivie. Le 5 mai dernier, alors que la loi venait d’être votée, ils étaient encore 15000 selon la Police, (35000 selon les organisateurs) à défiler derrière leurs banderoles bleues et roses. Sur les murs de la ville s’affichent encore les vestiges de la mobilisation, à travers ces portraits de Marianne contrefaites, brandissant un code civil prétendu immuable et intangible.

C’est à Lyon que j’avais prévu de passer ce week-end, accompagnée de ma petite-amie. La ville nous était inconnue, nous avons donc rapidement décidé de quitter l’hôtel pour arpenter la colline de la croix-rousse et les ruelles de la vieille-ville.

Homophobie ordinaire

 

Vers midi, nous nous asseyons en terrasse sur la jolie place ensoleillée de Sathonay. Plongées dans la lecture du journal, nous ne nous apercevons pas tout de suite qu’un homme s’installe à la table à côté.

Mais rapidement, sa présence se fait sentir. L’homme, imposant par sa taille et son poids, le crâne rasé, est si agité qu’il fait tomber sa chaise en allant au comptoir commander à boire. En revenant, il balance d’un revers de main le sel et le poivre et renverse une partie de l’eau destinée à son pastis. Enervé, ou sans doute déjà alcoolisé, il maugrée tout en buvant à grandes lampées. Nous commençons à nous sentir mal, plus vraiment en sécurité. La scène n’aura pas duré plus de deux minutes avant que cela ne dégénère.

En effet, en s’asseyant, son pieds bute sur celui de mon amie. Un prétexte pour chercher la confrontation.

Le dialogue commence par un  » T’inquiète pas, je te fais pas du pied « , lancé comme une provocation. Mais le ton monte dès que mon amie m’enjoint de ranger mes affaires et de partir.

« J’aime pas les lesbiennes « . Là, on sait que c’est parti, qu’on va s’en prendre plein la gueule. On se regarde, on hésite à bouger, partagées entre le désir de fuir l’embrouille et l’envie de se défendre. Mais rapidement, on sait que face à ce genre de personne, nous ne ferons pas le poids.

L’homme se lève, pour mieux marquer sa domination. Il est immense et plus baraqué qu’un agent de sécurité. Il beugle :  » Allez vous bouffer la chatte ailleurs « . Puis suivent les  » Sales lesbiennes »,  » Dégage « ,  » Casse toi  » , rapidement justifiés par l’argument final :  » Il n’y a pas de mâle dominant ici, faut bien que quelqu’un vous vire « .

Abasourdies, nous quittons la table pour nous réfugier dans le bar. Là commence la deuxième partie de l’incident – et peut-être la plus brutale.

Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire

 

Mon amie se dirige vers le gérant du bar, installé derrière le comptoir pour lui relater la scène et s’étonner que personne du personnel ne se soit interposé pour nous défendre.

-« On est en plein service »

La sentence tombe comme un couperet.  » On est en plein service  » : comprendre, que tu te fasses agresser, c’est pas mon problème. Effectivement, il y a des clients à servir, des clients qui d’ailleurs n’ont pas bronché, qui ne sont pas venus nous demander comment on allait, si on avait besoin d’aide. À la honte de s’être fait insulter devant tout le monde s’ajoute le choc de l’indifférence décomplexée des témoins. Car évidemment, personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu.

Mais on insiste. On interpelle un autre homme derrière le bar. Zéro réaction une fois de plus. Des agressions, ils en voient tous les jours. En effet, le gérant finit pas nous dire que l’homme est un habitué, mais pas dans le bon sens du terme. Qu’il vient souvent chercher l’embrouille et qu’il s’est retrouvé plusieurs fois impliqué dans des bagarres. Qu’il est aussi un habitué des services de police, et qu’il a déjà causé pas mal de dégâts dans le quartier.

Même si nous avons été de toutes les manifs et que nous faisons partie d’une association LGBT, à ce moment là nous sommes incapables de prendre une décision. Faut-il porter plainte ? Chercher à relever l’identité de l’agresseur ? Quels sont nos droits ? Personne ne semble prendre la mesure de ce qu’il vient de se passer. Déboussolée, j’ai juste l’impression d’emmerder tout le monde avec mon problème. Je me sens salie, honteuse, je n’ose même pas m’indigner contre la mollesse des patrons de ce bar. J’ai le sentiment de déranger. Mon amie en vient même à demander au gérant s’il nous en veut pour quelque chose. Non bien sûr, mais notre présence n’est clairement pas la bienvenue.

Police nulle part

 

Décidant de mettre fin à ce dialogue de sourd, nous quittons le bar. L’homme est parti entre temps. La Mairie de l’arrondissement se trouve à quelques mètres, nous décidons de nous y rendre. Là, nous recueillons le numéro de plusieurs témoins (le personnel avait assisté à la scène). Cela nous encourage à nous rendre à la Police. Direction le commissariat du 4eme. C’est une jeune femme qui nous accueille. On lui explique que l’on veut porter plainte.

–  » Pour quelle motif ? »

–  » Injures homophobes ».

– « Ah oui mais on ne peut pas porter plainte juste pour des propos. Mais en fait, peut-être que si, attendez je demande à ma collègue « .

La femme ne semble pas plus au fait de la législation, et nous conseille mollement de déposer une main courante. C’est la deuxième fois de la journée que l’on se retrouve face à un mur. Un mur d’ignorance cette fois. Face à l’incrédulité de la situation, nous repartons bredouille nous renseigner de notre coté. En quelques clics, nous trouvons toutes les informations recherchées. Voici ce que stipule la loi :

« L’injure privée envers un particulier est passible d’une contravention de 4e classe (750 € maximum). L’injure publique envers un particulier est punie d’une amende de 12 000 €. Si l’injure est homophobe, les peines sont aggravées : 6 mois d’emprisonnement et 22 500 € d’amende. Les peines sont les mêmes en cas d’injure publique visant un groupe de personnes et fondée sur leur orientation sexuelle. »

Au moment où je finis ce texte, nous avons décidé de nous rendre au commissariat de notre arrondissement, à Paris, pour porter plainte contre cet individu. Je sais que cette agression n’a rien d’extraordinaire, que la plupart d’entre vous en ont vécu des similaires ou des bien plus terribles. C’est aussi ce que je me suis dit face à l’indifférence de tous ceux qui ont croisé notre route. Que j’exagerais peut-être, que j’en faisais trop. Mais face aux réactions indolentes qui minimisent la violence homophobe, je reste convaincue qu’un tel évènement ne doit pas rester lettre morte.

Nous ne devons pas laisser à nos agresseurs le loisir de croire qu’ils peuvent insulter, diminuer, agresser n’importe qui pour motif de leur sexualité. Nous nous devons aussi d’enquérir les services de Police de nos droits, puisqu’ils n’ont visiblement pas la formation adéquate. Et parler, écrire, rendre publique cette violence à laquelle nous sommes chaque jour confrontés, afin de faire valoir nos droits.

 

Lubna

Plus d’infos sur les démarches à effectuer en cas d’agression physique ou verbale ici.

Lubna

Grande rêveuse devant l'éternel, Lubna aime les livres, les jeux de mots et les nichoirs en forme de ponts. Elle écrit sur l'art, avec un petit a : bd, illustration, photo, peinture sur soie. Twitter : @Lubna_Lubitsch