Coming Out : Ni unique, ni accessoire

Par Ana Bordenave

Lorsqu’on m’a demandé d’écrire une tribune pour la journée du Coming out, et après avoir posé quelques idées sur le papier, une question bête me traversa l’esprit : quand Michel Foucault a-t-il fait son coming out ? La question peut paraître sans importance. Le coming out est un acte que l’on peut ressentir comme profondément personnel et intime. Il s’est pourtant toujours agi d’un acte public et social. La journée du Coming out est également un moment d’expression collective de notre existence, et de la force comme la difficulté d’être out dans notre société. Elle ne s’intéresse pas à un parcours particulier. Surtout, Foucault, philosophe reconnu en études de genre et des sexualités, n’a jamais connu de journée du Coming out, mais lorsque je dois en parler, je pense à lui comme à toustes ces autres auteurices, réalisateurices, images et rencontres qui prennent part à nos parcours d’identités.

Le coming out est un acte que l’on peut ressentir comme profondément personnel et intime. Il s’est pourtant toujours agi d’un acte public et social. 

En 2019, le film documentaire de Denis Parrot, Coming Out sort en salle, et je suis saisie. Le saisissement, je l’expérimente surtout à travers la salle dont les sièges se remplissent de la communauté LGBTQI+ parisienne venue comme moi communier, et se regarder dire, pleurer, se rassurer autour de ses affirmations identitaires. À travers l’écran, le nombre offre à l’individualité sa force sociale et communautaire. Le coming out y apparaît comme cet acte fondateur unique de basculement individuel et social, mais aussi comme un acte ultime d’affirmation pour et dans la cellule familiale, modèle du système cishétéropatricarcale.

Pourtant – reprenez-moi si j’écris n’importe quoi – un coming out n’a rien d’unique, on ne compte pas le nombre de fois où on le fait, et on l’on doit se réaffirmer. Nos identités varient selon les contextes d’énonciation. Parfois, il faut affronter sa propre communauté. Parfois, le dire semble inutile. Parfois la violence et la difficulté retiennent toutes expressions. Mais si toutes ces fois n’ont pas la même importance, la nécessité agit comme un rappel à la norme.

Un coming out n’a rien d’unique, on ne compte pas le nombre de fois où on le fait, et on l’on doit se réaffirmer.

Historiquement, en France, en 1981 se discute le retrait de l’homosexualité de la liste des maladies mentales, puis, la loi du 4 août 1982 dite de dépénalisation de l’homosexualité, apporte une égalité entre les sexualités queer et hétéro. Aux États-Unis, ce n’est plus considéré comme une maladie par l’association américaine de psychiatrie depuis 1973. À l’international, il faudra attendre 1990 pour que l’OMS en annonce le retrait de sa liste des maladies, et 2018 pour la transidentité.

Ces avancées existent grâce au travail militant. La première journée du coming out est issue de ce travail militant, souvenir de la marche historique du 11 octobre 1987 pour les droits des gays et lesbiennes qui a lieu à Whashington, au cœur de la crise du SIDA. Cette journée porte alors la force militante de l’énonciation publique et permet de visibiliser nos existences comme les violences subies, mais elle offre aussi un espace temporel pour se voir et se retrouver, et exister ensemble.

Ainsi, lorsque je lis pour la première fois « Le corps utopique » de Michel Foucault – et pour en revenir à lui – je suis adolescente, pas encore consciente de ma sexualité, et je le lis avec un regard hétéronormé. Pourtant Foucault est gay. Le texte parle de corps – un corps sans lieu, un corps spirituel et social, décomposé – et il parle de sexualité. Car pour lui, c’est dans cette intimité organique que le corps se retrouve présent là où il est, « dans l’amour le corps est ici ». Le texte est écrit en 1966, et Foucault n’y fait aucune mention à sa sexualité. L’auteur n’est pas un grand fan du coming-out, et l’époque n’aide pas. Mais il n’en a pas besoin, pour parler de corps et de sexualité queer, un amour qui permet d’être enfin présent à soi-même et d’exister face à celleui qui le comprend.

Une journée du coming out, donc pour se dire, se souvenir et se retrouver, avec toute la fluidité de nos autodéterminations, car, que l’on soit out ou non, nos identités sont politiques.