Iris Brey : « J’avais envie de montrer quelque chose de joyeux »

A la veille de la carte blanche à sa superbe série Split lors de la prochaine WET FOR ME le 27 janvier 2024 prochain, Iris Brey a accepté de répondre à nos questions. On y parle représentativité lesbienne, Jehnny Beth, d’utopie et de joie militante. En attendant, vous pouvez toujours mater en accès gratuit ce petit bijou en cinq épisodes.

Iris Brey

Comment est né le projet Split ?

J’avais envie de me mettre à la fiction depuis un certain nombre d’années. J’ai fait la rencontre d’Arielle Saracco, qui travaillait chez Canal plus et qui m’a dit que je devais commencer par une idée plus simple, où le fond et la forme se rejoindraient, et qui ne coûterait pas beaucoup d’argent pour que je puisse le réaliser. 

C’est comme ça que j’ai eu l’idée de Split. Ça m’intéressait de travailler cette figure-là : deux actions en parallèle. Je trouvais que ce trait noir qui séparait l’écran pouvait aussi être un trait qui rassemble. C’était un peu ce qui me traversait à cette époque-là. J’étais en pleine rupture, et je sentais pourtant un endroit en moi qui était en train de se rassembler, de s’aligner.

Quelles inspirations se cachent derrière Split ? Visuellement et narrativement ?

Visuellement, il y avait plusieurs références assez spécifiques que j’ai partagé avec mon équipe, situées plutôt du côté de Jane Campion et son film Bright Star, ou encore Andrea Arnold avec son film Wuthering Heights. Il y avait aussi Lynch, Akerman…

Du point de vue narratif, j’ai travaillé avec une co-scénariste Clémence Madeleine-Perdrillat, et mon envie c’était de faire une série où il n’y avait pas d’antagoniste. Clémence m’a soutenu dans cette idée que Split pouvait tenir sur des conflits internes. Evidemment, je sais qu’elle raconte une utopie dans l’espoir qu’elle puisse devenir possible. Pour cela j’ai aussi fait appel au genre merveilleux : Split se passe dans un château, il y a un travail sonore qu’on a fait avec Flavia Cordey, pour qu’on puisse se dire à la fin que c’est possible mais en même temps ne pas se dire qu’on est naïf. 

Tu as donc refusé une fin dramatique…

Je voulais vraiment un happy ending. A la fin du générique du dernier épisode, il y a une image d’elles deux qui apparaît. C’était important pour moi qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : elles vont rester en couple, et être heureuses. La joie dans le militantisme n’est pas une utopie pour moi. Je trouve que nos révoltes sont joyeuses et même si elles sont imprégnées de douleur et de colère, je trouve qu’on rit beaucoup.

Tu abordes aussi la question de la maternité, de l’avortement…Pourquoi l’avoir abordé, alors que tu n’avais finalement que 5 épisodes à disposition ?  

Je trouvais ça aussi important de montrer une femme qui n’avait pas envie d’avoir un enfant avec un homme. On ne voit jamais les avortements, notamment les médicamenteux. Je voulais vraiment consacrer un épisode entier à cet évènement sans le dramatiser. C’est vrai que j’avais peu de temps, mais comme je me suis dit que je n’aurais peut-être plus jamais l’occasion de faire une série de ma vie, il fallait quand même que je mette les choses qui étaient importantes pour moi. Représenter l’avortement ainsi, c’était important.

Il y a un plan très beau où elles s’entourent avec ses collègues après qu’elles apprennent son avortement…

On nous renvoie souvent à la solitude des femmes dans ces expériences. Je voulais vraiment que ça soit une utopie, qu’elle ne soit pas toute seule et que tout le monde soit assez intelligent pour comprendre qu’elle ait besoin de sa meuf, mais aussi de sa meilleure amie et de son ex. C’était un peu mon vivre ensemble autour d’un avortement. Je vois bien que ça pourrait être antinomique, mais je voulais montrer que “faire famille”, ça pouvait aussi se faire sans enfant. 

Tu es journaliste, autrice, tu as écrit sur le female gaze, quel constat fais-tu sur la question notamment de la visibilité lesbienne à la télé française ? 

J’ai plus travaillé sur les séries américaines et suivi leur évolution dans Sex and the Series, mon premier livre sorti en 2016, puis 2018 et 2023. Je dirais qu’il y a eu un tournant aux Etats-Unis. En France, il n’y a pas de série chorale avec des personnages lesbiens. Dix Pour Cent a été important grâce au personnage porté par Camille Cottin, mais son lesbianisme n’est jamais politique, et les relations qu’elle a avec sa petite amie sont prudes. J’avais envie de montrer quelque chose de joyeux avec une notion de plaisir centrale. 

Jehnny Beth incarne une actrice lesbienne et “malgré tout” célèbre : ça m’a fait penser à la séquence de Muriel Robin au sujet des acteurs LGBTQI+. Ça faisait aussi partie de ton utopie, une star lesbienne ?

Complètement. je rêvais d’une star de cinéma proche de 40 ans qui soit sexy. De la même façon, quand je représente un plateau de cinéma, la réalisatrice, l’ingé son, tout ce casting est composé de femmes et de personnes racisées. Le personnage de Natan est un chef op noir, il y en a véritablement un en France. Cette utopie devrait exister. J’aimerais une star de cinéma qui fasse son coming out et qui reste une star de cinéma. 

Pourquoi avoir choisi Jehnny Beth ?

J’ai commencé en cherchant des comédiennes qui étaient “out” publiquement, lesbiennes ou bisexuelles. Il n’y en avait pas beaucoup, et je voulais aussi une comédienne de plus de 35 ans. Je ne voulais pas qu’elles aient 20 ans, la vision de la grossesse et de l’avortement n’est pas la même à ces âges. Quand j’ai rencontré Jehnny, j’ai vraiment trouvé qu’elle avait l’aura d’une star, qui est très impressionnante sur scène. 

C’est difficile de convaincre les diffuseurs avec un tel pitch ? 

C’est compliqué Mais France TV Slash a vraiment envie d’accompagner de nouveaux récits et de nouvelles voix. Ils avaient envie et peur que ce soit une série “niche” et que cela n’amène pas un grand nombre de spectateurices. La série pourtant marche et continue de marcher. Ça prouve que les séries lesbiennes sont regardées ! J’espère que ça va faciliter d’autres séries avec des personnages lesbiens. 

Il y a un sujet de Split qui te tient à cœur sur lequel tu aimerais revenir ?

Il y a une des phrases de la série qui n’est pas toujours bien comprise, quand le personnage d’Anna demande à Eve si son viol a eu des conséquences sur sa vie sexuelle et son lesbianisme et que le personnage répond “oui, peut-être”.
C’est une conversation taboue que j’ai envie d’avoir dans notre communauté, et c’est important de ne pas faire de raccourci, de pouvoir se dire que la sexualité de chacun et chacune est quelque chose qui se construit grâce à de multiples faisceaux : l’héritage familial, social, culturel. 

J’ai mis cette phrase car je pense que mon inceste est lié à mon lesbianisme. Je ne dis pas que c’est le cas de tout le monde, mais c’est important pour moi de pouvoir dire que c’est une conséquence positive. C’est ce que Split veut montrer. Et qu’on arrête de voir le lesbianisme comme une répercussion négative.
Il faut ouvrir la conversation sur le poids des agressions sexuelles sur notre intimité et ne pas voir ça comme une fatalité. C’est quelque chose qui me travaille beaucoup.  

Est-ce que tu imagines une seconde saison de Split ?

J’ai toujours dit à France Télévisions que je voulais faire une mini-série avec une  fin. Mais pourquoi pas la reprendre dans 10 ans ? Ça m’intéresserait de retrouver les personnages. Mais tout de suite, je trouve qu’il faut les laisser vivre dans notre imaginaire.

Split a donc une carte blanche pour la prochaine Wet For Me…A quoi peut-on s’attendre ? 

Rag m’a contacté à la suite à notre soirée au Rex où on avait beaucoup ri : je me suis dit pourquoi pas ? La carte blanche s’est faite de manière naturelle. Maud Geffray, qui signe aussi la bande originale de Split avec Rebeka Warrior, est un pilier de la série, Agathe Mougin avait passé le casting, on se connaissait bien et elle a aussi mixé après une projection. Ce sont des personnes qui font partie de l’univers de Split. Ji Min est une comédienne qui a joué dans Retour à Séoul (qui m’a bouleversé) et je l’avais aussi vue dans une soirée organisée par Warrior Records, pour moi ça fait aussi sens. Ce sont des familles qui se rencontrent comme Justine Forever, que je ne connaissais pas mais qui m’a été aussi recommandée. 

Quels sont tes projets ?
J’ai terminé l’écriture d’un scénario qui raconte une histoire d’amour lesbienne, et je suis dans une phase de financement, toujours compliquée. Je ne sais pas s’ il verra le jour, mais il est écrit et on va se battre pour !