Le 30 Mai dernier à Londres, Melania et Chris, un couple de femmes, étaient victimes d’une agression lesbophobe dans le bus qui les ramenaient chez elles. Les deux femmes ont été passées à tabac par un groupe de cinq adolescents après avoir refusé de s’embrasser devant eux. L’affaire a fait le tour du web et les images de leur visage en sang ont suscité de vives réactions.
Si beaucoup de médias relayent l’affaire et soulèvent le problème de la lesbophobie, rares sont ceux qui soulèvent celui de la représentation des lesbiennes dans la société. Or, pour bien comprendre le problème dont il question ici, il est indispensable de parler de l’aspect sexiste de cette agression. En effet, si, comme les gays, les lesbiennes sont discriminées en raison de leur orientation sexuelle, elles sont également victimes de sexisme. Une double oppression directement engendrée par le système patriarcal.
La femme-objet
La raison de l’agression en elle-même interpelle. En effet, le groupe de jeunes a demandé au couple de s’embrasser afin de leur faire plaisir afin qu’ils puissent “profiter du spectacle”, chose que les deux femmes ont refusé. Par “faire plaisir”/ “profiter du spectacle” il faut évidemment comprendre susciter de l’excitation. Dans un long post Facebook racontant l’agression, une des deux femmes explique qu’après avoir été témoins d’un geste tendre, les cinq adolescents les ont interpellées en mimant certaines positions sexuelles, leur lançant des pièces et les traitant de lesbiennes (à prendre ici comme une insulte). Elle aurait même entendu le mot “ciseaux”.
Après avoir essayé tant bien que mal de les calmer en faisant de l’humour, les coups sont partis. Les cinq garçons finiront par s’enfuir avec certains des effets personnels du couple. Une réaction qui n’est pas sans rappeler un bon nombre de cas de harcèlement de rue : la femme ne répondant pas aux compliments d’un inconnu se voit insultée, méprisée voire molestée par celui-ci. Touché dans son orgueil et frustré de ne pas avoir obtenu ce qu’il veut, il recourt à la violence en guise de dédommagement. Le procédé semble être similaire ici. Ce groupe de jeunes hommes se venge car ces deux femmes ont refusé de se plier à leurs désirs. Un point de vue qui semble être partagé par Melania, qui a déclaré en avoir marre d’être “prise pour un objet sexuel”. Une phrase qui en dit long sur la façon dont l’homosexualité féminine est perçue par la société.
Un double-discours hypocrite
Il y en a en effet un double-discours hypocrite vis-à-vis de la perception de l’homosexualité: l’homosexualité masculine et l’homosexualité féminine ne sont pas perçues de la même manière. Les lesbiennes ont toujours été considérées comme plus “acceptables”, mais ce pour des raisons malsaines : le sexe lesbien étant un fantasme particulièrement répandu chez les hommes, l’homosexualité féminine est donc mieux tolérée.
En effet, si l’homosexualité masculine peut être perçue comme répugnante pour beaucoup d’hommes hétérosexuels, ceux-ci trouvent en l’homosexualité féminine un aspect masturbatoire très largement véhiculé par la pornographie mainstream. Une pornographie créée par des hommes pour des hommes, à des années lumières de la réalité. Cette agression n’illustre malheureusement que trop bien l’idée que la sexualité lesbienne n’existe qu’à travers le prisme du fantasme hétérocentré. Deux femmes ensemble n’ont d’intérêt que si l’homme en profite. Dès lors qu’il comprend qu’il sera exclu, il devient hostile et violent. Cette mentalité rejoint évidemment l’idée que les femmes entre elles sont incapables d’avoir une sexualité véritable et qu’elles auront toujours besoin d’un homme pour les satisfaire pleinement. C’est aussi pour cette raison qu’un bon nombre de femmes qui aiment les femmes sont invisibilisées et infantilisées. Socialement parlant, dans un monde dominé par le patriarcat, il est toujours très difficile d’admettre que deux femmes puissent se passer d’un homme, y compris dans les moments les plus intimes. Le jeune âge des agresseurs (entre 15 et 18 ans) prouve bien que cette idée est intégrée très tôt, ce qui est en soi une chose très inquiétante.
Internet et Google mis en cause
Depuis quelques temps et encore plus depuis ces jours derniers, certains.es activistes et médias accusent internet de complicité passive. Lorsqu’il est tapé sur un moteur de recherche, le mot “lesbienne” nous envoie presque systématiquement sur des sites pornographiques. C’est pratiquement toujours ce qui apparaît en premier résultat. Le mot “gay” lui, renvoie plutôt vers des articles de société, des adresses LGBT friendly ou encore des liens vers des sites de rencontres. Encore une fois cette “fracture” fait des dégâts énormes. C’est entre autre à cause de cela que de nombreuses personnes concernées négligent volontairement l’usage du mot “lesbienne”, devenu tabou malgré lui. Le site d’actualité informatique et numérique Numerama avait déjà soulevé le problème il y a quelques mois. Nous vous invitons d’ailleurs à lire le Twitter thread de Marie Turcan, (rédactrice en chef du site) à ce sujet. Un problème également exposé par Fanchon, cyber-activiste à l’origine du hashtag #SEOLesbienne, qui se bat pour que le mot “lesbienne” bénéficie d’un meilleur référencement sur Internet.
À SEO, comprenez Search Engine Opération, système de techniques mis en œuvre pour améliorer le positionnement des sites web sur les pages de résultats de moteurs de recherche. À l’heure où les médias optent plutôt pour le terme “homosexuelle” et où certains réseaux sociaux censurent celui de “lesbienne” car automatiquement associé au sexe, elle estime que le militantisme se passe aussi sur internet. Selon elle, un référencement plus juste contribue à une meilleure représentation et de ce fait, à la lutte contre la lesbophobie. Il y a aujourd’hui un besoin urgent de désexualiser le terme. Cependant, selon les experts.es du numérique, la présence récurrente des sites pornographiques dans les résultats de recherche dépendrait avant tout du comportement des internautes. Pour pallier au problème, Fanchon appelle les médias et les personnes concernées à utiliser et à se réapproprier ce mot pour espérer lui apporter une toute autre visibilité. La solution la plus efficace serait l’intervention directe des moteurs de recherche eux-mêmes. Pour l’instant, il semble que ceux-ci fassent la sourde oreille mais ne nous décourageons pas !
La police britannique a récemment annoncé que les cinq agresseurs avaient été retrouvés grâce à un appel à témoin, puis interpellés.