Moi, Marie B., 25 ans, lipstick et lesbienne.

J’ai les cheveux longs. Je ne sors que rarement sans boucles aux oreilles et rouge aux lèvres. Je n’ai pas porté de pantalon depuis plusieurs années. Je suis ce qu’on pourrait appeler une lesbienne féminine, parfois appelée fem ou lipstick. Invisible aux yeux de la société comme à ceux des autres lesbiennes pour reprendre le titre du premier spectacle d’OcéaneRoseMarie, ma vie en est sûrement plus facile. Je n’ai jamais été traitée de «sale lesbienne» dans la rue, je n’ai jamais été discriminée sur mon apparence. Ma vie est également parfois plus compliquée : se justifier à chaque fois, expliquer que toutes les lesbiennes n’ont pas les cheveux courts, pouvoir rayer de la carte la possibilité d’être draguée par une fille en soirée. Si je suis là, c’est forcément pour accompagner ma meilleure amie lesbienne. Impossible d’imaginer que non, je suis bien ici, moi aussi, pour regarder les filles.

D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu aucun doute sur le fait que j’aimais les filles. Bien sûr, il m’a fallu du temps pour poser un terme sur cette attirance. Mais l’évidence a toujours été présente et je n’ai jamais dévié de ma certitude. Mon goût pour ce qu’on pourrait qualifier de «trucs de filles» est lui aussi d’une constance presque ennuyante. Déguisement de Blanche-Neige pendant les Noëls familiaux, vernis à l’eau, bijoux en toc, collection maladive d’échantillon de parfums Sephora, j’ai été une petite fille féminine dans toute sa splendeur.

Pendant mon adolescence, je n’ai jamais vraiment pensé à ce que je pouvais dégager physiquement de moi. C’est en faisant partie d’un jury adolescent dans le festival de cinéma Films de Femmes à Créteil que j’ai réalisé que je ne ressemblais pas aux femmes qui étaient spectatrices. J’avais quinze ans et c’était la première fois que je voyais des lesbiennes dans la «vraie vie», en tout cas celles qui s’assument et tiennent la main en public de leur compagne. Moi qui commençais à porter des talons et à me maquiller les yeux, je voyais bien que je ne correspondais pas à ce que je voyais autour de moi, des femmes aux cheveux courts, au style vestimentaire très simple, qu’on aurait pu parfois confondre de bonne foi avec des hommes. Je me rappelle de l’étonnement de ma toute première copine venue me chercher un soir après une projection. Nous avions sûrement besoin de pouvoir nous projeter dans le monde des lesbiennes adultes et celui que nous avions sous les yeux était bien différent de celui que nous imaginions. Nous, nous avions envie d’y trouver des femmes élégantes aux cheveux longs. Et nous avions autour de nous des petites brunes aux cheveux très courts plus Amélie Mauresmo que Portia de Rossi.

Quand j’ai commencé à sortir dans les soirées lesbiennes à dix-huit ans, ce ne sont pas des filles foncièrement masculines que j’y ai trouvé mais plutôt des filles androgynes. Cela m’énervait, je m’en rappelle. Moi qui n’ai jamais aimé l’eau tiède et les entre-deux, je ne comprenais pas ce positionnement. C’est également à ce moment-là que j’ai entendu les premières réflexions s’étonnant de mon allure : «Ah mais en fait, t’aimes les filles toi? Mais comme un passe-temps non ? Ton mec t’attend à la maison, c’est ça ?». Cette sorte de soupçon permanent d’être une «fausse» lesbienne est souvent fatiguant. Il faudra d’abord m’expliquer ce qu’est une «vraie» lesbienne. Et puis il pourrait également être utile de concevoir que je n’ai jamais eu envie de me résumer à ma seule identité sexuelle. J’accorde sûrement trop d’importance au regard des autres pour souhaiter que l’on ne voit en moi qu’une fille qui aime les filles. Au risque d’en faire hurler certaines, j’ai toujours pensé qu’une allure qui imposerait clairement ma sexualité risquait de faire passer au second plan tout ce qui constitue ma personne et qui est très loin de ne résumer qu’à celles que j’aime. Au risque de passer pour une décérébrée, affidée au système patriarcal, j’ai donc décidé de garder mes talons et mes robes parce que, de même que certaines se sentent bien en jeans et en Doc Martens, c’est de cette façon que je me sens le plus à l’aise.

Parlons également du regard des hétéros. Passée la première surprise, il y a ces questions que l’on pose à toutes les lesbiennes : «et c’est comment avec une fille ?», «ah mais qui fait l’homme ?». J’ai cependant malgré tout tendance à croire que les remarques sur le style vestimentaire girly, supposé incompatible avec ce qui se passe dans mon lit et le «gâchis» que cela représente, sont particulièrement développées dans les oreilles des lesbiennes féminines. Je suis féminine et pourtant je ne suis pas accessible aux hommes. Peut-être est-ce là le problème. Après des années de recherche, j’en suis venue à la conclusion que me retirer sciemment du marché des relations hétérosexuelles était difficile à concevoir pour ceux qui en étaient les chaînons essentiels.

Je suis parfois fatiguée de me justifier. Souvent regardée comme un objet de curiosité par les lesbiennes, souvent questionnée par les hétérosexuels, j’ai craqué. J’ai fini par acheter un jean.

Marie B.

Accro au Scrabble, aimant les rousses façon Faye Reagan, Marie affectionne au moins autant la politique que les romans fin de siècle.