La PMA pour tou.te.s à l’épreuve du régime politique hétérosexuel

Depuis 2013 et le mariage pour tou.te.s, la PMA est attendue. Une nouvelle version du texte plus restrictive vient d’être adoptée avant son examen au Sénat du 21 janvier au 4 février 2020. Les partisan.e.s de la manif pour tou.te.s reprennent du flambeau. Ce qu’il se joue ici ce ne tient pas uniquement à cette poignée d’individus mais résulte du régime politique hétérosexuel nourri du sexisme et du capitalisme. Il nous concerne tou.te.s au-delà de nos identités parce qu’il ruine nos vies.

Le 27 septembre 2019, les personnes trans ont été exclu de la PMA, plus précisément celleux qui ont changé d’état civil. Les hommes trans dont l’état civil porte la mention « M. » n’auront pas accès à la PMA. Les femmes trans dans la même situation n’auront pas accès à l’auto-conservation ni à l’utilisation de leurs gamètes.
La nouvelle version du texte de loi sur la bioéthique présentée au Sénat stipule que la PMA sera remboursée exclusivement pour les couples hétérosexuels dont l’infertilité est déclarée ou en prévention de la transmission d’une maladie grave.

Clairement, la PMA ne sera donc pas remboursée aux couples de femmes et aux femmes seules. Puisque « la lesbienne n’est pas une femme » (Monique Wittig), elle en paye le prix fort. La femme seule, c’est pareil : pourquoi est-elle seule ? Car au fond, une femme dès lors qu’elle n’a pas besoin d’un homme n’a aucune valeur dans le régime politique hétérosexuel. La valeur de la femme reproductrice dépend de l’homme et de sa relation avec lui. La raison de la gratuité n’est possible ici, et c’est un argument validiste hétéroflic, seulement parce que les couples hétérosexuels sont conformes à la norme politique mais dans l’incapacité de la reproduire. Pour faire passer cet argument, le handicap est évoqué et crassement utilisé. Le handicap ici n’est reconnu que pour les couples hétérosexuels infertiles, enfonçant à nouveau le clou du caractère naturel donc légitime de la reproduction. Les couples de lesbiennes ou de femmes seules sont pourtant handicapées puisque dans l’impossibilité technique de procréer entre elles ou seules. Ce que cela sous-entend, c’est qu’elles doivent assumer leur choix : celui de ne pas dépendre d’un homme. Ne pas être conforme au régime politique hétérosexuel est ici un choix et c’est ce qu’a déclaré la sénatrice Corinne Imbert (LR) et corapporteure de la commission : « Il y a une volonté de marquer une légère différence entre ce qui relève d’une infertilité et ce qui relève d’un choix de vie ».

Sur le plan médical un couple est déclaré infertile en l’absence de grossesse après 12 à 24 mois de rapports sexuels complets et réguliers (deux à trois fois par semaine), sans contraception. Le régime politique hétérosexuel est une injonction à la sexualité par pure logique capitaliste : le travail reproductif gratuit produit de la main d’œuvre. Voilà aussi pourquoi tout cela est autant normé. Cette manière de nous contrôler ne concerne pas seulement les lesbiennes ou les personnes trans, mais aussi les hétéros et exclut l’asexualité également.

La loi bioéthique passe complètement inaperçue dans l’agenda politique, éclipsée par la réforme des retraites. Coté féminisme, l’agenda concerne plutôt les violences sexuelles. Je ressens une intense colère devant le manque de cohérence politique de cette hiérarchie des priorités. La convergence des luttes n’a jamais lieu parce que chacun.e est cramponn.é.e à son identité refusant la création de nouvelles manières de lutter. Personne n’est prêt.e à renoncer à ses privilèges et tout le monde refuse sa responsabilité et la remise en question. Les choses n’évoluent pas parce que nous ne changeons pas notre manière de penser et d’agir et pas seulement parce que ce système est puissant et hyper oppressif. Nous sommes conditionné.e.s dans notre manière de résister toujours en réaction à des lois et reproduisons ce système dans nos communautés et entre nous. Où est le féminisme lorsqu’il s’agit de parler du régime politique hétérosexuel ? Où est la lutte des classes lorsqu’il s’agit d’aller à la racine du système patriarco-hétéro-capitaliste, colonialiste et validiste ? Où sont les hétéros lorsqu’il s’agit d’avoir les mêmes droits qu’elleux ? Où est la communauté LGBTQIA+ lorsque l’un.e d’entre nous est exclu.e du droit ?

Pourquoi ne sommes-nous pas plus indigné.e.s par la manière dont nous sommes tou.te.s  traité.e.s dans nos différences ? Et surtout, pourquoi continuons-nous malgré tout ? Avons-nous perdu l’espoir ? Peut-il y avoir de l’espoir sans amour ? Pourquoi n’arrêtons-nous pas dès à présent de vivre ainsi en cautionnant un système qui ne nous convient pas ? Des raisons il y en a plein, des arguments aussi et pourtant, le point commun de tous c’est la peur. Cette peur nous donne aussi de la force lorsque l’amour et l’espoir demeurent. Lorsque notre singularité est aussi précieuse que le groupe. Lorsque nous avons une place légitime. Aussi, il peut y avoir toutes les lois possibles, tant que nos rapports ne changeront pas, tant que l’émotion ne sera pas valorisée et que nous en auront peur, nous ne parviendrons pas à un vivre ensemble équitable. Parce que nous méritons tout.e.s de vivre conformément à ce que nous sommes et que nous sommes capables de survivre à ce système et de faire mieux.

Nous n’avons pas attendu les lois pour exister, pour nous aimer et avoir des gosses. Les personnes qui changent le monde sont celles qui résistent à la norme en étant elles-mêmes. Mais cette résistance n’est rien sans empathie envers toutes les résistances aux normes. Car il n’y a pas de hiérarchies dans les oppressions, tout est inacceptable. Quelques fois, cette parole est étouffée aussi dans nos espaces militants. Parce que nous avons encore du mal à nous comprendre, à nous faire confiance et à nous aimer.

Ce projet de loi sur la PMA est injuste et méprisant et surtout n’apporte rien de nouveau. Les personnes qui pourront payer le feront, les autres continueront comme toujours. Il n’y a pas d’avancée dans les droits, on nous jette des miettes qui nous divisent davantage. Et pis encore, on nous fait croire que lutter pour des miettes est la seule manière de lutter possible.

Nous sommes tellement plus que la reproduction du système hétéro-patriarco-capitalise. L’opposition à la PMA pour tout.e.s ce n’est pas de la méconnaissance ou un refus d’évolution des mentalités. Nous avons toujours été là et nous ne sommes pas votre progrès sociétal. Même si certain.e.s d’entre nous se marient et ont des enfants, ce n’est pas pour vous imiter ni transmettre vos valeurs mais pour répandre les nôtres qui transgresseront toujours vos normes aliénantes.

Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.