« J’ai fait mon coming-out à mes enfants »

Quinze ans avec des hommes, dont sept dans le mariage, et deux enfants au compteur : j’ai attendu d’avoir trente ans pour vivre la vie que j’avais envie de vivre. Ma fille a neuf ans, mon fils cinq. Ils sont les premiers à qui j’ai fait ce fameux coming-out.

De tempérament plutôt discret et prudent, je ne me suis pas précipitée. Je savais que j’allais prendre un virage important. Quand on a deux petits, on sait que le virage se prend à plusieurs. Il fallait donc que j’assure l’ensemble de la manœuvre pour que personne n’ait le mal des transports… Je tenais compte de trois postulats : 1. Mes enfants sont petits. 2. Mes enfants m’ont connu toute leur vie avec leur père. 3. La séparation est encore récente. Ménager les sensibilités de chacun sans pour autant me mettre des freins : ce fut, pendant quelques mois, un véritable travail de funambule.

J’ai décidé de cloisonner ma vie de femme et ma vie de mère. Pour ne pas tout confondre. Mon changement de cap ne les regardait pas, après tout… Mais un jour, j’ai eu envie de leur dire. Car j’allais bien, j’allais mieux, et je voulais qu’ils comprennent. Alors voilà, les enfants, écoutez, maman a une amoureuse.

« Whaou, c’est cool ! » Voilà, c’est tout. Ça servait à rien de s’en faire. Et je me suis dit que pour un premier coming-out, il était plutôt fun et facile. Après avoir offert à mon entourage l’image d’une petite femme mariée docile et sans histoire (j’ai bien dit « l’image de »… !), annoncer que j’aimais les filles me semblait être une révélation nécessitant de longues justifications – que je n’avais, en outre, pas envie de donner. Avec mes enfants, aucune justification, aucune interrogation. Une forme de compréhension intrinsèque immédiate doublée d’une confiante bienveillance. Une ouverture d’esprit qui devrait faire mourir de jalousie tous les adultes corrompus par tant de fausse morale. Ce n’est pas de la naïveté. C’est de l’écoute respectueuse, un ressenti de vibrations positives, le tout dénué de tout a priori inutile et désenchanté/désenchanteur. Maman a une amoureuse, et alors ?

Je savais que la deuxième étape potentielle allait être celle de leur coming-out à eux, dans leur milieu, leur univers. Ma maman a une amoureuse. J’ai fait le choix de ne pas les mettre en garde contre quoique ce soit. Leur dire de se méfier de la réaction des autres, ou de tenir cela secret, c’eut été gâcher la belle limpidité de leur regard sur la situation. Je ne voulais rien salir, rien abîmer. Pas de secret et surtout pas de morale discriminatoire. Il serait toujours temps de gérer les dommages collatéraux après. Mon fils n’en a jamais parlé. Pas besoin. Quelle importance ? Ma fille, si. Et elle n’a pas attendu bien longtemps pour offrir cette révélation à ses copines de cour de récré. A neuf ans, la différence n’est que diversité et fierté. Ça s’est bien passé pour elle. Aucune remarque de ses camarades, aucune moquerie, et le temps passant, aucun effet ricochet (vous savez, le bon vieux « oh toi, ta mère elle est homo, alors tais-toi ! » qui ressort de sous la poussière six mois après…). Non, des enfants visiblement aussi intelligents… toujours plus que leurs parents qui, eux, ont appris la nouvelle le soir, lors de leur repas familial, après avoir demandé « alors Lucie, quoi de beau dans ta journée ? ».

Certains d’entre eux ont changé d’attitude avec moi à la sortie de l’école. Les mamans surtout. Elles ont dû me croire perdue, contagieuse, ou m’envier. Les fruits de la morale, de la bien-pensance, de la réputation, tout le vernis que j’ai retiré de ma vie et de celle de mes enfants en décidant de vivre à fond la caisse, au grand jour…

Ce premier coming-out fait à mes enfants nous a soudés dans l’adversité. Etre maman seule et divorcée est déjà, en soi, une adversité. Tout-à-fait surmontable, mais une adversité malgré tout. J’ai juste rajouté une option facultative. Notre fine équipe n’a été que grandie et élevée par le fait de réussir à assumer ce virage de vie sans dérapage, le plus naturellement du monde. Aujourd’hui, cette équipe semble vouloir s’agrandir. Et j’en connais un qui mesure à peine un mètre vingt et qui est sacrément fier et heureux d’être le mec de la maison.

Crédit photo instagram : @la.gonelle et @tribekka

 

Hisis Lagonelle

Prof en phobie scolaire, lectrice monomaniaque, Hisis collectionne les Moleskine et s'amuse à imiter Marguerite Duras.