Grinderteeth & Harriet Davey : l’interview

Cette fin d’année 2023 a vu Bandcamp, un des bastions de défense des artistes et de leur revenus – parce que clairement ce n’est pas Spotify qui va payer les factures de chauffage – être vendu une deuxième fois et perdre beaucoup d’employé.es nécessaires au bon fonctionnement de la plateforme.


On peut se demander où les artistes indépendant.es doivent aller pour connecter avec leurs fans et être payé.es alors que beaucoup de clubs ferment ou ne peuvent se permettre financièrement que de programmer de gros noms, les réseaux sociaux ont un reach de plus en plus ridicule si on ne leur graisse pas la patte à coup de boosts payants, le streaming rapporte quelques centimes par an, et la liste continue.

La nouvelle compilation Berlin Sounds x Images essaie d’apporter une solution via le monde du web3. Chaque « drop » ou single pourra être collectionné et payé via Paypal car tout.e le monde n’a pas de crypto-wallet, et les artistes récupèrent un revenu plus important que sur iTunes ou autre, et peuvent offrir une chance à leurs fans d’avoir une expérience unique : découvrir son horoscope avec la chanteuse pop expérimentale Anika, faire remixer son track par Eric D. Clark (le génie house de From Disco to Disco), apprécier un sound bath designé par l’icône techno Kyoka… ou faire un atelier de voix créative avec Grinderteeth – artiste, promoteurice, activiste, et si vous êtes allé.es au Berghain récemment, vous avez surement apprécié son travail d’éclairagiste – qui a collaboré avec Harriet Davey, l’étoile montante du design queer à Berlin, pour un single audio-visuel exclusif.

Harriet Davey

Comment s’est passée votre rencontre ?

Veslemoy : Il me semble en personne pour la première fois à la Berlin Factory Artist Residency dont nous faisions partie il y a quelques temps. Je me souviens aussi d’avoir vu le travail d’Harriet dans la stratosphère numérique et à travers Digi-gal – un autre collectif. J’ai tout de suite adoré ses personnages gender-fluides, et je lui ai demandé de créer un poster pour ma soirée DYKON1C x HeartQore l’année dernière.

Comment avez-vous travaillé sur cette collab’ ?

Harriet : J’avais déjà créé un sketch il y a quelques mois pour un magazine, mais je voulais présenter au moins une partie de cette œuvre plus tôt.

Veslemoy : Lorsque nous avons décidé de participer à la compilation Berlin Sounds x Images, Harriet et moi avons également parlé de ce livre sur les guerrières amazoniennes que je lisais à l’époque.

Harriet : Oui, après avoir parlé avec Veslemoy, nous avons eu quelques idées ensemble pour une guerrière, j’ai compilé nos références et les ai concrétisées.

Quel est le rapport entre votre pratique artistique et Berlin ?

Veslemoy : J’ai déménagé à Berlin spécialement pour entrer en contact avec quelque chose de plus brut. Il me manquait une sorte de courage et de défi DIY dans ma Norvège natale, où beaucoup de la scène musicale a tendance à être plus commerciale ou plutôt niche que vraiment underground.

Et les scènes artistiques et queer de Berlin vous conviennent bien au final ?

Veslemoy : Oui, en général. Pour sûr musicalement. Et ça me plaît aussi d’être dans un endroit où il y a tant d’artistes fem et queer fort.es avec lesquelles interagir et s’inspirer. C’est très différent de la petite ville agricole où j’ai grandi.

Harriet : Pour moi, Berlin a été une plaque tournante pour trouver des personnes similaires, tant sur le plan de l’identité que de la pratique artistique. En général, je me sens en paix ici.

Grinderteeth

Vous considérez-vous pleinement artiste, ou artiste et technologue ?

Veslemoy : Artiste à 100%. Personnellement, je considère la technologie comme un outil permettant d’atteindre des objectifs artistiques ; c’est comme réaliser une peinture lumineuse ou sonore avec des outils digitaux. Et ces outils peuvent être différents logiciels que j’utilise au Berghain et dans le cadre de mon travail d’éclairagiste, ou en concert où je joue avec Ableton et Max/MSP, et pour mes DJ sets avec Pioneer et Rekordbox.

Harriet : Je me considère à mi-chemin entre artiste et designer. Je partage mon travail et mon temps avec la 3D commerciale (qui, heureusement, ressemble beaucoup à mon travail personnel) ainsi qu’avec ma propre pratique. Je pense que je marrie mes deux pratiques de façon égale, et je trouve ça important d’avoir un équilibre dans tous les domaines ; je ne voudrais jamais vraiment avoir une expertise complète dans quoi que ce soit.

Aimez-vous davantage partager votre travail en ligne ou IRL ?

Harriet : En tant que personne travaillant principalement dans l’espace numérique, je préfère de loin avoir l’opportunité d’exposer mon travail hors ligne, in situ. Je suis à fond pour voir mon travail sur grand écran car 99 % du temps, les gens le voient sur leurs téléphones.

Veslemoy : J’aime les deux, pour des raisons différentes. Lorsque je partage mon travail en ligne, il touche potentiellement un public plus large et partout dans le monde. Lorsque je joue ou fais de l’éclairage en direct, cela semble définitivement plus connecté et authentique. Pour mon plus récent spectacle Neon Snake, nous avons joué au Royaume-Uni avec une danseuse, j’ai fait la musique originale, les textes et la lumière en direct, et cela touchait vraiment à une expérience spirituelle et à quelque chose d’émotionnellement brut et presque philosophique.

Quels sont vos projets actuels et à venir ?

Veslemoy : J’ai compilé une petite collection lumière et du son, et vous pouvez suivre DYKON1C , le collectif que je mène au travers de teufs, mais aussi de discussions et autres activités communautaires.

Harriet : Je viens de terminer probablement mon installation préférée jusqu’à présent à Holon  ; et en février prochain pour la Fashion Week, je vais travailler sur un projet très spécial avec SBLMTN Studio.


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