Où sont les femmes au théâtre ?

Les femmes, grandes absentes du théâtre? Ce n’est pas pourtant le sentiment que peut avoir celle qui aime s’asseoir dans les fauteuils tapissés de rouge des salles de spectacle, regardant la vie se faire sur scène.

Les spectatrices et les actrices sont en effet au rendez-vous du spectacle vivant en France. Des grands noms de femmes metteuses en scène viennent en tête : Ariane Mouchkine bien sûr mais aussi Macha Makeïef, directrice de la Criée à Marseille, Brigitte Jaques-Wajeman longtemps à la tête de la Commune à Aubervilliers ou encore Sophie Vonlanthen, directrice de la trop méconnue Manufacture des Abbesses.

Quelques noms égrenés de-ci de-là ne font pourtant pas du théâtre un endroit hors du monde, loin des rapports de pouvoir qui maintiennent les femmes durablement exclues des postes les plus prestigieux. C’est Reine Prat, inspectrice générale au Ministère de la culture qui met les pieds dans le plat en 2006. Son rapport sur la place des femmes dans le monde de la culture, pourtant vieux d’une décennie, reste toujours d’actualité aujourd’hui. Seuls 10% des théâtres subventionnés comme les scènes nationales ou les centres dramatiques régionaux sont dirigés par des femmes. Muriel Mayette a ainsi été la seule femme de l’histoire du théâtre français à diriger la Comédie-Française, l’un des cinq théâtres nationaux. Attaquée de toutes parts, souvent sur fond de réflexion sexiste de la part des sociétaires du Français, peu habitués à voir des femmes à des postes d’importance dans cette maison vieille de plusieurs siècles, son mandat n’a pas été renouvelé, remplacée par un homme. Business as usual.

Masculines, par Héla Fattoumi

Même triste constat dans la programmation : les femmes ne parviennent pas à s’imposer. Rares sont les mises en scène proposées par des femmes cette saison sur les scènes parisiennes. Enfin, les textes de femmes sont parmi les moins joués. 85% des textes que nous entendons au théâtre ont été écrits par des hommes. Les femmes représentent pourtant 70% des producteurs indépendants de théâtre et 31% des artistes qui ont créé une compagnie dramatique. (Tous les chiffres cités sont issus du rapport La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes de Brigitte Gonthier-Maurin)

Les initiatives se sont donc multipliées ces dernières années pour faire évoluer la place des femmes dans le théâtre. Au premier rang de ceux qui veulent faire bouger les lignes, le collectif H/F fondé par Sylvie Mongin-Algan en 2011 qui lance chaque année la “Saison égalité homme/femme dans les arts et la culture”. La tribune « Culture : les femmes veulent mieux que des strapontins » du collectif publié dans Libération en 2013 et la brochure de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) ont joué le rôle de détonateur chez les professionnels du spectacle. Remise en mains propres à tous les directeurs de structures nationales, elle valorise les femmes occupant des postes artistiques parmi les plus touchés par la non-mixité : metteuses en scène, auteures, directrices artistiques, administratrices.

Femmes d’Alger, de Fabian Chappuis

En créant une dynamique positive autour de l’engagement artistique des femmes dans les programmations publique, la brochure permet de stigmatiser les structures qui programment peu de femmes et mettent en valeur les maisons de production et de diffusion “exemplaires” Et ça marche! Le festival d’Avignon en 2012 ouvre largement pour la première fois le “on” et le “off” aux femmes metteuses en scène. Le soufflé est pourtant retombé ces trois dernières années au Palais des papes, là où les pièces les plus prestigieuses du festival sont jouées chaque année.

Si les ministres de la Culture, Aurélie Filippetti ni Fleur Pellerin n’ont pas brillé ces dernières années par leur engagement sur le sujet, c’est désormais la jeune garde qui décide de lancer un pavé dans la mare. Pour preuve, le festival du jeune théâtre lancé en 1971 qui réunit chaque année sur les scènes franciliennes les jeunes artistes sortis des écoles supérieures d’art dramatique. L’édition 2016 fait la place aux femmes dans ses rangs. De Jeunesse(s) écrit par Pénélope Avril qui met en scène de jeunes adultes entre danses érotiques, ennui et alcool à Cassandre-Matériaux mise en scène par Clara Chabellier qui réactualise le mythe de la prophétesse catastrophiste en passant par Marion Pélissier qui écrit et dirige Pleine, une fin de grossesse sous forme de thriller, les femmes sont mises à l’honneur. Si l’on se rassure forcément de voir des théâtres d’importance comme la Commune à Aubervilliers et le nouveau théâtre de Montreuil adapter leur ligne éditoriale à la féminisation du théâtre en accueillant ce festival, les efforts à faire restent nombreux pour donner enfin aux femmes toute la place qu’elles méritent.

Inventaires, de Philippe Minyana

Les pistes de réflexion sont pourtant nombreuses : quotas de femmes dirigeantes dans les théâtres nationaux, sensibilisation à la place des femmes dans le théâtre dans les écoles et les conservatoires d’art dramatique, constitution d’un vivier d’expertes du théâtre que les médias pourraient recevoir…Suffisant pour féminiser un monde resté très masculin? Probablement pas assez mais terriblement urgent.

En savoir plus :
Brigitte Gonthier-Maurin, La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes, Rapport d’information n°704, déposé le 27 juin 2013

Reine Prat, Mission pour l’égalité et contre les exclusions, Rapport d’étape n° 1, « Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant – Pour l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation », juin 2006.

Reine Prat, Mission pour l’égalité et contre les exclusions, Rapport d’étape n° 2, « Arts du spectacle – Pour l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique – De l’interdit à l’empêchement », mai 2009.

Marie B.

Accro au Scrabble, aimant les rousses façon Faye Reagan, Marie affectionne au moins autant la politique que les romans fin de siècle.