Minuit Machine : « j’aimerais que le public queer se reconnaisse dans ce projet »

Formé en 2013, Minuit Machine est né de la rencontre entre Hélène de Thoury et Amandine Stioui. Si Hélène a quitté dernièrement le groupe, Amandine continue ce beau projet oscillant entre dark wave et techno, et qui sera le 21 avril sur la scène de la Machine du Moulin Rouge pour les 15 ans de la Wet For Me. L’occasion d’en savoir plus sur Minuit Machine et leur track Not Guilty, disponible sur notre compilation BBX#2, sortie début avril !

Le projet Minuit Machine fête ses 10 ans cette année.

Dix ans avec une coupure de trois ans et demi où on avait complètement arrêté le projet et on ne pensait pas le reprendre. Au départ, c’est Hélène qui, en arrivant à Paris, cherchait une chanteuse pour compléter sa formation électronique. Elle avait mis une annonce sur un site pour musiciens, à l’ancienne (c’était les années 2010), et je suis tombée dessus. A l’époque, j’avais des petits groupes amateurs. J’ai flashé sur sa démo, je lui ai directement envoyé les paroles et la ligne de chant et ça a collé.

Tu faisais de la musique électronique de ton côté ?
Pas du tout, je faisais de la formation classique, plutôt piano, et guitare : j’étais très orientée rock, grunge. Je n’y connaissais rien en musique électronique : pour moi c’était les Daft Punk, et en plus je détestais ça. C’est pour cela quand j’ai écouté le son d’Hélène, c’était quelque chose de complètement improbable pour moi, qui ne correspondait pas du tout à ce que j’écoutais, et j’ai hyper flashé.

Vous êtes tout de suite montées sur scène ou vous avez fait d’abord du studio ?
Le studio pour Minuit Machine, c’est notre lit, notre bureau…On a commencé par faire un EP, et comme nous étions dans la scène dark wave, assez niche à l’époque, on a très vite eu des dates. On a donc enchainé les concerts, surtout à l’étranger. Nos pays de prédilection sont  les Etats-Unis, l’Allemagne ou encore le Mexique. Je regardais les statistiques de nos réseaux sociaux dernièrement, et la France remonte en flèche. Ça veut dire que tout le travail que nous sommes en train de faire avec le booking et le management commence à porter ses fruits.

Comment se passait la composition des morceaux de Minuit Machine ?
La première période, avant notre séparation, j’étais la chanteuse. Hélène m’envoyait les instrumentaux et je faisais la ligne de chant et les paroles. Hélène faisait toute la technique avec le mix, le mastering. Je ne touchais pas du tout à ça, et ça me convenait plus ou moins, j’avais un autre travail à côté, je n’avais pas vraiment le temps de m’investir outre mesure.
Quand nous nous sommes retrouvées, nous avons eu une discussion car cela ne me convenait plus forcément de ne faire que du chant, j’avais envie de compléter, et je me suis mise à ce moment à la techno et au DJ set. J’ai appris à mixer, je me suis intéressée à la production, et j’avais un projet parallèle où je faisais de la techno EBM. J’ai composé quatre morceaux qui sont sortis un peu à droite à gauche. La techno commençait vraiment à m’intéresser, surtout l’exercice de mix. J’ai donc apporté un peu ce côté techno à Minuit Machine, pour avoir un mélange de nos deux styles. La techno, mélangée à la darkwave donne un hybride assez intéressant. J’ai repris toute la partie technique de Minuit Machine à partir de l’EP Basic Needs.

Tu fais des DJ sets ?
J’en fais beaucoup, c’est très important pour moi de développer cette facette que j’avais précédemment dans mon projet solo. Minuit Machine n’est pas connu du tout pour les DJ sets. Là j’ai de belles dates qui arrivent au kilomètre 25, et j’ai la Dyketopia que j’aime beaucoup. Je mixe de la techno industrielle EBM, j’adore ça quand ça bourrine.

Comment Minuit Machine se retrouve chez Maison Warrior ?
C’est à partir de 2019 et notre EP Don’t Run From the Fire. Il y avait déjà de petites influences EBM qui ont bien plu à Rebeka, qui aime bien ce genre de musique. Elle nous a repéré et nous a contacté directement. Je la connaissais forcément : Rebeka Warrior et Sexy Sushi m’ont beaucoup marqué dans mes jeunes années de lesbienne. J’étais donc hyper contente et flattée qu’elle s’intéresse au projet. On a tout de suite dit oui, même si l’autoproduction a toujours été ce qu’on souhaitait faire. Quand un label cool te propose quelque chose qui correspond à tes valeurs, c’est un peu idiot de refuser, donc on y est allées.

Quel est l’impact des machines sur Minuit Machine ?
Je suis uniquement sur ordinateur, avec un clavier externe qui contrôle le logiciel, et qui permet d’avoir une amplitude de compositions beaucoup plus agréable. Ce n’est que du logiciel et des plug ins. Il y a beaucoup de recherche de plug ins pour trouver des sons intéressants. Je trouve ça hyper encombrant d’avoir plein de matériel, et en terme de mix, ça apporte plus à la musique de Minuit Machine de rester sur du logiciel. C’est une configuration que je vais clairement garder.

Hélène a récemment quitté le groupe pour raisons médicales : quelle empreinte a-t-elle laissée à Minuit Machine ?
Hélène, c’est l’ADN de Minuit Machine. C’est, et ça restera Hélène. Même sur les prochaines compositions, même si elle ne fait plus partie du groupe, elle laisse son influence. Et sur scène, je vais continuer de jouer les anciens morceaux. Elle fera toujours partie du projet d’une manière ou d’une autre. Elle est à l’initiative de ce projet.
Moi j’ai pris ma place, ça s’est fait progressivement, et par la force des choses j’ai repris le projet mais ça a été une décision commune où elle m’a donné son feu vert. Avant son départ c’était vraiment notre projet a 50/50, mais je me serais pas sentie de reprendre Minuit Machine sans son aval. Surtout dans ces conditions : c’est un contexte médical, ce n’est pas son choix de partir, donc ça me paraissait important que la décision soit commune.

La track disponible sur la compilation BBX #2, Not Guilty, est la dernière track que vous avez produite ensemble et parle des violences patriarcales.
C’est important pour moi d’aborder ces sujets. Je reprends ce projet, et je suis lesbienne et queer. J’ai envie d’apporter à Minuit Machine une dimension politique et c’est vrai que je me suis déjà pris des réflexions d’hommes cis qui n’ont pas aimé. Le public de Minuit Machine est composé en très grande majorité d’hommes cis, qui viennent de la scène gothique, et qui ne sont pas forcément ouverts d’esprit, on ne va pas se mentir. Je me suis pris plein de réflexions. Il y a même un mec qui est venu me voir en me disant “J’ai appris que tu étais lesbienne, ça va, c’est ok mais bon…” Ce public ne correspond pas à mes valeurs, et ça a pu me peser auparavant dans le groupe. C’est pour ça que j’ai voulu apporter la scène un peu techno, queer, il fallait que ça me ressemble un minimum. Après je ne vais pas cracher dans la soupe, c’est un public fidèle et ils ne sont pas tous homophobes, loin de là.
Not Guilty parle de viol, de violences, du patriarcat, de tout ce que ça implique, que les crimes d’hommes cis restent impunis dans la plupart des cas. On a les statistiques, c’est dingue à quel point la justice peut parfois fermer les yeux et à quel point les féminicides et les viols sont monnaie courante. C’était important pour moi de parler de ça et ça va prendre de plus en plus de place dans mes morceaux futurs.

Deux femmes sur scène, c’est déjà un statement non ?
Complètement. Hélène n’a jamais mis son nez dans mes paroles, et j’ai déjà écrit des textes pour Minuit Machine sur le viol, sur l’identité de genre, plein de sujets qui me tiennent à coeur. J’aimerais que le public queer se reconnaisse dans Minuit Machine.

Cela peut se voir aussi dans les dates que vous faisiez non ? Vous participiez a des events queer ?
Pas du tout ! C’est vraiment Maison Warrior qui nous a déjà permis dans un premier temps d’intégrer à la fois le public français et cette scène queer. Je remarque clairement la différence, et ça me fait très plaisir. Quand je monte sur scène il y a plein de gens de la communauté, et ça me fait chaud au coeur parce que mes textes s’adressent à 90% à eux. J’espère que ça va continuer comme ça.

Peux-tu nous parler de ta date pour les 15 ans de la Wet For Me ?
C’est la première fois de toute ma vie que je monterai seule sur scène, hors DJ set. Les DJ set ce n’est pas pareil, tu es cachée derrière tes platines, tu n’as pas de chant, tu as beaucoup moins d’exposition et ce qui est un peu différent avec le projet Minuit Machine c’est qu’il a été conçu à deux, dans le sens où j’ai énormément de chant. Je ne peux pas m’amuser à faire 1000 instruments sur scène, ça va donc être minimaliste. C’est une formation que j’aimerais mener à terme à une formation solo, mais pour le moment, ça reste une formation à deux.

Tu appréhendes du coup ou tu es relax ?
Je ne suis pas relax du tout ! Je suis très stressée, j’ai bloqué toute vie sociale la semaine précédant l’événement pour répéter et être reposée pour la date. J’ai l’impression que ça va être la première scène de ma vie alors que ce n’est pas le cas. C’est un gros challenge.

Qu’est ce qui t’attend pour 2023 ?
Il y a les Vieilles Charrues qui est une étape très importante. Outre le fait que ce soit une grosse scène, c’est aussi un endroit de repérage pour les promoteurs, et puis l’enjeu est forcément plus important et plus stressant quand c’est un festival. Après les Vieilles Charrues, j’ai pas mal de dates à l’étranger et en France, et une grosse tournée européenne en novembre.
L’album 24 est sorti en novembre, il faut que les gens digèrent cet album, et puis il va y avoir un clip sur l’un des titres et c’est la première fois qu’il va y avoir un gros clip pour Minuit Machine. En plus je joue dedans, ce qui m’angoisse mais qui est aussi cool. C’est important quand on sort un album de le faire vivre tant que possible, parce que c’est un album que j’adore, le dernier album qu’on a composé à deux, donc je ne vois pas trop de raison de me précipiter vers un autre projet.

Comment l’univers de Minuit machine va évoluer, maintenant que tu es seule aux commandes ?
C’est un projet qui restera toujours un peu dark, et je ne m’imagine pas faire de la musique joyeuse, j’ai besoin de cette impression de ténèbres, ça me caractérise et c’est un peu l’ADN de Minuit Machine. Il y aura forcément toujours le côté électro, est-ce que ça va aller plus vers la techno, pour le moment je ne sais pas. J’ai commencé à composer et pour le moment cela ressemble à du Minuit Machine, même si mon but n’est pas de recopier ce qu’on a fait précédemment avec Hélène. Je pense que je vais faire un mélange de plein de styles, parce que j’aime bien aussi la folk, la pop, ça sera encore quelque chose d’assez hybride.

Quel est ton rêve avec Minuit Machine ?
Je pense que ça me ferait plaisir de faire une tournée américaine. La précédente était un enfer, en sortant j’étais à deux doigts de tout arrêter. C’était très difficile de gérer les petites salles, cinq semaines de tournée, presque sans stop. Une tournée américaine de genre 10 super belles dates, avec de belles salles. Après, j’aimerais bien faire une belle salle à Paris, comme le Trianon.

Envisages-tu des collabations avec des artistes que tu aimes ?
On avait déjà fait remixer l’EP Don’t Run From The Fire, Maud Geffray avait d’ailleurs fait un remix hyper beau. Pour le prochain, je commence à parler aux gens avec qui j’aimerais collaborer, des artistes féminines qui ont des styles parfois complètement différents de Minuit Machine. J’espère que ça va pouvoir se faire, j’aimerais bien qu’il y ait sur le prochain album genre 5 morceaux à moi et 3-4 collaborations.

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