La nourriture dans le couple : un sujet houleux ?

S’il y a bien un sujet conflictuel dans le couple, c’est la bouffe. Bien avant que je sois végétalienne, ce sujet était déjà sur la table : parce que l’une préfère manger tôt avant une séance de ciné car elle a faim et ne veut pas grignoter tandis que l’autre voudrait prendre le temps mais après ; que l’une privilégie des produits frais tandis que l’autre mange des plats préparés ou tout simplement parce que les deux ont des métabolismes différents et ont besoin de manger différemment. Dès lors, qui s’adapte à qui ? Celle qui mange beaucoup au fast food ou celle qui ne jure que par les courgettes vapeur ? Le couple peut-il survivre à un manque de connivence culinaire ?

Le repas est souvent l’occasion de partager, mais il suffit de manger différemment pour que les autres se sentent attaqués et que l’ambiance tourne au vinaigre. Des heures des repas à la manière de s’alimenter, les causes de conflits sont nombreuses. Je me pose donc la question : pour qu’un couple dure, faut-il accepter qu’on ne peut pas tout partager? Le sujet est houleux. Car quand l’autre ne partage pas ce que l’on mange, on se sent facilement rejeté, résultat d’une culture culinaire française engoncée dans ses traditions et obsédée par une idée de communion totalement vaine ( le partage n’est-il pas l’échange des différences plutôt que leur effacement ? ).

Je suis donc partie d’expériences personnelles pour faire appel à vos témoignages. Pour vous, la bouffe est-elle un sujet houleux ? Pour Magali et son ex, la nourriture était un important point de discorde.

« Moi grande épicurienne, fan des méga plats en sauce, des bouffes interminables et des grosses portions, elle ascète qui oubliait parfois de déjeuner, juste parce qu’elle avait l’esprit ailleurs, incapable de faire cuire un steak, du genre à commander des sushis 4 fois par semaine… La bouffe ne l’intéressait juste pas. C’est donc moi qui ai toujours géré l’aspect nourriture, mais quand on habitait ensemble, c’était souvent source de conflit : comme elle n’y pensait pas, elle n’allait jamais faire de courses. Donc en plus de me taper la corvée, je devais acheter pour deux, et niveau budget, ça faisait quand même une sacrée différence.

Puis, l’autre souci c’est qu’elle n’aimait ni les épices, ni les plats trop relevés… En fait, la bouffe se limitait à sa dimension nutritive, quelle tristesse ! J’ai fini par cuisiner plus fade, ou un peu tout le temps la même chose… J’ai l’impression que finalement, c’est moi qui ai du m’adapter à elle… « 

Si pour certaines, les différences sont insurmontables, pour d’autres, tout est question de compromis et de dialogue. Nadia est musulmane et mange halal, pour elle la question de la nourriture dans le couple est essentielle :

« Concernant le halal au sein d’un couple… Je n’impose pas mes habitudes alimentaires à l’autre même si j’avoue qu’avoir du porc dans mon frigo me « dégoûte » plus que de voir des bouteilles d’alcool… D’ailleurs, je n’aime pas embrasser ma copine après un repas où elle a mangé du porc alors que lorsqu’elle est alcoolisée cela ne me gêne pas… Au restaurant, je m’adapte facilement. Chez les amis de ma copine, on me cuisine un menu végétarien ou du poisson… Pour ce qui est des courses ou le fait de cuisiner, je préfère acheter « ma viande » et du coup « l’imposer ».

Le seul sujet de crispation c’est lorsque j’évoque le fait que je souhaite transmettre les mêmes habitudes alimentaires à mes enfants… Les enfants, ce n’est pas d’actualité dans l’immédiat, mais j’esquive le sujet ou je préfère mettre un terme à la discussion car je ne compte pas « négocier » sur ce point. »

Difficile en effet quand on en vient à parler de projet de couple : quelles habitudes alimentaires va t-on vouloir transmettre à nos enfants? Pour Claire, la question de la nourriture tourne essentiellement autour de valeurs sur lesquelles elle refuse de transiger, et qu’elle compte bien partager avec ses enfants :

« Je suis végétalienne et pour moi il est primordial que la personne avec qui je sors ne soit pas une » viandarde ». Ma copine mange de la viande et des produits laitiers surtout chez les autres mais elle n’a rien qui s’apparente à de la cruauté animale dans son frigo. Et tant mieux. En réalité, rien que de voir de la viande dans mon propre frigo ou mangée dans mes assiettes, me rend triste et me met en colère. Mais je passe outre pour éviter les disputes. Mais je sais que quand je vivrai avec ma copine, nous aurons des règles. En fait, je me fous un peu de la santé d’autrui mais je supporte de moins en moins les gens qui n’ont pas cette valeur là :c’est à dire manger de la viande tout en sachant à quel point ce qui se passe derrière est cruel. J’attends donc de ma copine qu’elle ait un minimum les mêmes valeurs.

C’est important pour la construction d’un couple. Il en est de même pour les enfants, si un jour j’en ai avec une personne qui n’est pas végétarienne, il est certain que je ne changerai pas d’avis à ce propos là. Pour moi, c’est une transmission de valeur: on ne mange pas un animal quand on sait toute la souffrance qu’il y a dans ces entrepôts. Je suis peut-être de moins en moins tolérante vis-à-vis deçà mais je ne supporte plus ce manque d’empathie. C’est important que ma compagne ait cette empathie là.  »

Même son de cloche pour Amélie, qui refuse, sous couvert d’une connivence, de faire des compromis :

« Pour moi c’est important de partager des bases communes pour que ça dure. Manger tôt. Manger bio si possible. Cuisiner l’une pour l’autre. En profiter pour discuter. Respecter ce qu’aime l’autre, son régime alimentaire ou son régime tout court. Ça compte. C’est une preuve d amour, d’un amour pas fusionnel d’ailleurs car il faut accepter les différences de l’autre et ne pas les juger. Parfois je préfère manger seule vers 19h si ma copine rentre tard car je sais que si je l’attends, je vais grignoter et je serai énervée à son arrivée. C’est important qu’en retour, elle ne se vexe pas. »

S’adapter ou s’imposer ? Entre refus de transiger et solution de compromis, la nourriture dans le couple n’en finit pas de générer conflits et ajustements. Mais n’est-ce pas l’illusion d’une fusion parfaite qui nous pousse parfois à cacher à l’autre que sa façon de manger ne nous convient pas ? On croit souvent que la connivence est essentiel au partage, et on se laisse bercer par une fiction universaliste qui engloberait toutes les différences, alors que justement, le véritable partage est dans l’échange de ces différences. Alors chérie, le guacamole aux petits-pois, c’est pour quand ?

 

 

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.