Poils, tétons, sexe : le retour de la censure ?

L’affiche de La Belle Saison, La Vie d’Adèle, le Nu Couché de Modigliani en passant par les réseaux sociaux Facebook et Instagram, la censure puritaine a frappé fort en 2015. Les seins, les poils, le sexe, les amours homosexuelles : ces mouvements de censure visent les femmes et leur corps, l’expression de leurs désirs et trahissent les paradoxes d’une société de la liberté d’expression sous surveillance.

Quand il s’agit de la représentation du corps des femmes, les censeurs puritains réapparaissent comme par magie. Les réseaux sociaux Instagram et Facebook sont bien connus pour leur politique qui tend selon eux à « protéger les utilisateurs ». Les protéger de quoi ? Des représentations réalistes du corps des femmes. On pensera par exemple au retrait de cette photo qui représentait une femme de dos dont le pantalon et le lit étaient tachés de sang.

A l’heure de l’hypersexualisation des femmes de plus en plus jeunes par la publicité, on ne peut que s’étonner du puritanisme qui entoure la volonté de masquer la réalité des corps. L’interdiction du hashtag #curvy par Instagram en juillet dernier procédait de cette peur du corps des femmes. Ce mot-clé étaient utilisé par des utilisatrices qui revendiquaient assumer leurs formes, elles n’ont d’ailleurs pas tardé à contourner la censure en employant #curvee pour continuer de poster des photos d’elles.

Le plus symptomatique est sans doute le rapport qu’entretiennent Facebook et Instagram à la représentation des seins. Le directeur d’Instagram Kevin Systrom s’était d’ailleurs expliqué quant à son aversion pour le mouvement #Freethenipple (littéralement, libérez le téton) en s’appuyant sur l’âge limite d’utilisation de l’application. En effet, Apple oblige les applications à définir un âge limite et si une application contient de la nudité, elle est nécessairement interdite au moins de 17 ans. Or Instagram souhaite toucher un public plus large. Il faut donc supprimer toute nudité. Pour autant, ce n’est pas la représentation des corps nus qui est proscrite du réseau social, puisque les photos où apparaissent des tétons masculins sont maintenus sur le site et puisque Instagram n’a pas supprimé celles de l’acteur Matt McGorry de la série Orange is the New Black où il pose torse nu et où ses tétons sont couverts par les tétons de Miley Cyrus et Chrissy Teigen qui étaient apparus sur des photos supprimées par l’application.

Le compte Instagram de la photographe féministe Petra Collins avait également été supprimé suite à une photo où l’on pouvait voir des poils pubiens. Toute nudité n’est pas bonne à voir. Le corps des femmes doit être caché, leur poitrine ou leur toison pubienne ne doivent pas être montrées. Ou plutôt, il n’y a que les corps susceptibles d’être désirés par les hommes qui ont leur place sur la plate-forme. Parce qu’il y en a des photos de femmes en sous-vêtements, des photos de fesses et de décolletés. Mais lorsque le corps est représenté dans sa diversité, dans ce qu’il a de naturel, les réseaux sociaux s’empressent de les faire disparaître.

Et cette censure particulièrement répandue dans l’Amérique puritaine tourne carrément au ridicule dans le cas de certaines œuvres d’art dont la notoriété n’est plus à démontrer. Le Nu Couché de Modigliani qui s’est vendu chez Christie’s à plus de 170 millions de dollars a été censuré par différents médias américains : le Financial Times a couvert les seins et le pubis du modèle de gros bandeaux noirs, la chaîne Bloomberg les a floutés, comme CNBC. Il est quand même étonnant de constater que le pays qui héberge les sites pornos mainstream les plus consultés et les plus facilement accessibles soit celui qui héberge les médias les plus pudibonds.

Cette censure qui entoure la représentation du corps s’applique également à celle des désirs. Cette année, le maire FN de la commune du Vaucluse de Camaret-sur-Aigues, Philippe de Beauregard, avait fait interdire l’affiche du film La Belle Saison où l’on voyait Cécile de France enlacer Izïa Higelin. Catherine Corsini lui avait adressé une lettre ouverte dans laquelle elle expliquait que ce qu’on voyait dans La Belle Saison : « C’est la nudité des corps, dans leur liberté, dans leur beauté et dans leur insouciance face au désir, ce sont les visages, les rires, les sourires de deux femmes qui évoquent l’appétit de la vie. » Et de demander : « Est-cela qui vous choque ? » Evidemment, c’est cela.

Désirs qui s’échappent de l’hétéronormativité, désirs de femmes qui ne sont pas là pour valoriser le désir du mâle. Si l’interdiction de l’affiche par un maire FN haineux pourrait presque prêter à rire, le retrait du visa d’exploitation de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche est autrement inquiétant. Le tribunal administratif de Paris a estimé que le film comporte « plusieurs scènes de sexe présentées de façon réaliste, en gros plan » qui sont « de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Le fait que l’association catholique Promouvoir ait obtenu gain de cause auprès de la justice est déjà assez préoccupant en soi, mais les déclarations du réalisateur lui-même ne sont pas des plus rassurantes quant au climat dans lequel nous évoluons aujourd’hui. En effet, Abdelattif Kechiche a dit comprendre cette décision de justice et l’a même déclarée « plutôt saine » puisqu’il aurait tout à fait accepté une interdiction aux moins de 16 ans. Il n’est pas question de discuter une décision de justice, mais d’évoquer l’influence des milieux traditionnalistes et puritains sur le monde culturel.

Certain.e.s artistes et personnalités font alors le choix de l’autocensure. On pensera par exemple à la top model Jourdan Dunn qui, alors qu’elle pose seins nus en couverture de Lui, diffuse des photos censurées sur Instagram, masquant son sein nu d’un bandeau noir ou encore à l’agence Magnum qui censure ses photos d’un petit carré pour masquer les tétons des modèles. Cette censure intervient parfois près de cinquante ans après le cliché, comme c’est le cas pour cette photo de deux femmes nues, allongées l’une sur l’autre. Lorsque les artistes eux-mêmes prennent en considération et anticipent les effets de la censure, l’art n’est plus libre de créer.

 

Leslie

Leslie aime les paradoxes, les gens curieux et la grammaire mais aussi le reblochon et le rugby. Elle écrit sur la vie des gens et les livres. Twitter : @LPreel