Elles posent nues sur le net

Poser nue, s’exposer à poil sur le net, montrer son corps sur la toile. Qu’est-ce qui pousse certaines femmes à faire du nu aujourd’hui ? Est-ce encore nécessaire, voire subversif ? Entre participation à l’objectivation des femmes, renforcement des normes de beauté et émancipation de soi, où se situent les femmes qui ont fait le choix d’exposer leur corps ?

C’est à l’occasion d’une conversation sur Twitter avec des filles qui s’exposent sur le net que l’idée d’un article sur le sujet m’est venu à l’esprit. Nous étions alors en train de nous demander s’il n’était pas plus simple pour nous qui correspondions à la norme du féminin (cheveux longs, plutôt minces, etc.) de poser nues. La question de la légitimité est alors apparue : Pouvons-nous avoir un discours alternatif et décomplexant sur le corps si notre propre corps est assujetti aux diktats de la beauté ?

Il m’arrive de surfer longtemps sur le net à la recherche de modèles « alternatifs ». Certains sites, comme Suicide Girls, en ont fait leur marque de fabrique. Mais finalement, outre les tatouages, piercings et cheveux bleus, les corps restent souvent minces, élancés, lisses. Je suis donc partie à la recherche de filles qui ne correspondent pas aux critères de beauté normatifs. Une recherche compliquée qui a soulevé un tsunami de questionnements dans ma petite tête déjà bien encombrée :

Est-il plus facile de poser nue quand on correspond aux normes ? Ou ne sommes nous pas, à chaque fois, exposées à toutes sortes de critiques liées au corps ? Enfin, est-il pertinent de parler de subversion quand finalement on ne maîtrise pas la réception des photos ? S’il s’agit surtout d’affirmer « mon corps m’appartient et je fais ce que je veux avec », la subversion réside alors dans un positionnement individuel d’autonomie du corps, et non dans un message adressé aux yeux du monde.

Bref, que signifie poser nue aujourd’hui ?

Tout dépend finalement du discours que nous avons sur notre propre corps, de ce que nous montrons et comment nous le montrons. Car aucun corps ne correspond réellement à la norme : il y a toujours trop de gras, pas assez de seins, des cheveux trop courts, des jambes trop petites, trop grandes, trop poilues ou pas assez. Ce qui compte finalement quand on pose nue, c’est de se dire « mon corps est ce qu’il est et je l’aime ainsi. » Arriver à affirmer son corps dans une société qui n’aime pas le corps des femmes, c’est en soi un acte subversif.

Pour cet article, j’ai donc sollicité des filles qui posent nues et qui affirment elles-mêmes se situer en dehors des critères de beauté normatifs.

Romy Alizée a un discours tout à fait intéressant sur le fait de poser nue. Pour elle, la photographie n’est pas là pour renvoyer une image sexuelle d’elle-même mais constitue plutôt une expérience personnelle vis à vis de son corps :

« Au début mes photos étaient assez sages et puis j’ai vite exploré des choses extrêmes en photo. Je cherche à comprendre ce qu’est le corps, ce qu’il représente et comment je peux travailler avec lui pour faire une proposition intelligente en image. Poser nue a plusieurs sens pour moi : je recherche une sensation, une énergie, quelque chose qui me permette de créer et d’incarner. Je n’aime pas poser nue sans but, pour « faire la belle ». Ça m’a parfois amusée mais beaucoup moins désormais. Aussi, je n’ai pas eu besoin de la photo pour savoir si j’étais séduisante dans la vie. J’ai compris avec mon entourage féminin que j’apportais quelque chose de fort en posant nue, notamment grâce à mon physique. Involontairement j’ai donné confiance à beaucoup de copines et quelques personnes qui m’ont écrit. J’imagine que la photo a dû m’aider à avoir confiance en moi mais je n’ai pas commencé à poser dans ce but. Pour moi le corps n’est pas forcément censé plaire ou séduire en photo, il ne doit pas toujours être sexualisé. Je l’aborde comme une matière qui peut donner vie à une émotion et créer des choses fortes, dont le sexe, mais pas uniquement.

Autoportrait de Romy Alizée

Je ne pose pas en m’adressant à un public de mâles hétéros et du coup, je ne ressens pas mes complexes quand je pose. Même si 80% des gens qui m’ont photographiée sont des hommes, ça n’empêche que si je dois incarner le sexe dans une image, c’est autant à destination des femmes que des hommes. J’ai essuyé très peu de refus venant de photographes quant au fait de vouloir travailler avec eux. Il y en a un qui m’a dit un jour « Si tu n’avais pas ce visage, tu ne serais pas modèle. » J’ai trouvé ça con. Sinon sur plan le personnel, avec les filles ça passe très bien. Avec les mecs ça dépend. Je leur fais souvent peur. Toute ma vie est construite sur la nudité, la sexualité, la femme, et être affichée si librement nue sur le web, ça amène pas mal de mecs à se poser des questions. J’explique souvent que mon corps n’est qu’un outil lors d’un shoot et que sa matière n’a pas uniquement une vocation sexuelle. Mais ça reste perturbant. Alors que les filles, non. Elles comprennent. »

Poser nue a aidé Meor à s’assumer un peu plus:

« Pour moi il y a un mélange entre le « j’ai ce corps qui ne correspond pas aux normes et on me le répète partout, tout le temps, mais je sais que c’est le mien et je veux montrer qu’il est tout à fait « valide » et même beau, voire sexy si je le décide » et aussi un gros « et du coup, allez vous faire foutre » assorti du fait qu’en le faisant, tu t’aides toi (enfin pour moi) à l’assumer, à mieux le vivre. »

Mais à la question de savoir si poser nue en correspondant aux normes desservirait le message de départ, toutes les deux se rejoignent.

« Par rapport aux filles « normées » qui posent, et bien ce n’est pas un problème. Elle n’ont aucune part de responsabilité dans le fait qu’on agresse les femmes avec leur image. C’est aux photographes de shooter autre chose que des femmes aux corps parfaits (ce que certains font, avec moi; parfois je suis la seule fille « ronde » sur 10 filles shootées sur un projet », nous dit Romy.

Meor a un discours très pertinent à ce sujet, également:

« Je ne crois pas que la morphologie desserve en soi un discours, il peut l’appuyer par exemple, le diversifier, l’ouvrir à plus de personnes mais pas le desservir. Je n’irai jamais dire à une personne « Pour toi c’est facile, tu es mince »,  car je sais que quel que soit la morphologie de la personne, si tes photos sont publiques (un selfie sur IG, un portrait sur tumblr, un photoset ailleurs…) tu te prendras forcément une floppée de commentaires non-sollicités sur ton physique, ce que tu devrais faire ou pas, pourquoi tu es moche/pas assez ceci/trop cela… Notre corps nous appartient, à chacun.e, quel que soit sa morphologie, ses changements.

Dire « mon corps m’appartient » quand tu as grandi en entendant qu’il fallait ne pas l’accepter ainsi, le modeler autrement, faire un régime, du sport, ressembler plutôt à ceci, à cela, etc. c’est déjà un acte d’acceptation assez fort. Parce que tu sais que tu vas t’exposer encore à des critiques. Et, paradoxalement, certaines personnes te diront des choses pas méchantes mais qui en disent long comme : « tu as du courage de le faire », ou « c’est bien de s’assumer », qui révèlent, in fine, à quel point ce n’est pas admis, qu’avec un corps « hors-norme » tu puisses ne pas tout faire pour rentrer dans ce moule ».

Il ne faut pas se leurrer, il est plus simple de poser nue quand on correspond aux normes, ou quand des corps qui ressemblent aux nôtres sont déjà exposés partout. Ça vaut à la fois pour la morphologie mais aussi pour la couleur de peau ou le fait d’être valide. On voit très peu de femmes avec un handicap dans la publicité, un peu plus de femmes racisées, et encore… Et quand il s’agit de la morphologie, les marques jouent la carte de la diversité des corps comme un atout alors que finalement, c’est cette diversité-là qui est la norme. Parce qu’aucun corps ne se ressemble, que personne ne cadre vraiment avec cet idéal imposé par la société.

Correspondre à cette norme ne nous épargne pas le fait de ne pas être à l’aise avec son corps. Poser nue, s’exposer sur internet, a encore une pertinence assez forte. Dans une société dans laquelle les femmes doivent encore être effacées et ne peuvent pas s’affirmer – nue ou pas – sous prétexte de passer pour une fille « bizarre », assumer son corps est subversif.

Car si la subversion est encore pertinente, c’est tout simplement parce que la norme existe encore.

Sarah

Illustration de couv’: Chelsea by Baff

Illustrations: Leaux Walker

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.