Méditations métasaphiques : le milieu

L’idée de ce papier m’est venue jeudi dernier, au vernissage de notre expo. Quelque part dans la soirée, entre 19h et minuit, une fille me regarde, je la regarde, elle me fait un signe de la main, je lui fais un signe de la main, puis elle me sourit. Un sourire plus amical que courtois. L’air de dire : « Oh, ça fait un petit moment qu’on ne t’a pas vue ! ». L’attention est louable, j’en conviens. Mais le hic, c’est que sur le moment, à la question « mais qui est cette fille ? », je n’ai aucune réponse.

La réflexion fait un bout de chemin à travers les quelques neurones restés intacts malgré une consommation de liquides qu’on qualifiera d’énergique… puis la question s’évapore. Elle s’évapore, à mesure que les têtes connues défilent et que les conversations deviennent plus fringantes, moins attendues et surtout plus euphoriques. Et puis, d’un coup, ça me revient.

On arrive au cœur du sujet du jour et à l’épineuse question qui l’accompagne : « Comment, alors que je ne lui ai jamais parlé, la première image que j’ai de cette fille est celle d’une baltringue dans le formidable cirque des relations saphiques, démontant à tout-va des chapiteaux que ses conquêtes voyaient déjà comme l’antre chantante de la stabilité ? Comment puis-je dresser avec une déconcertante précision la liste de ses derniers points de chute, décrire la teneur de l’itinérance, si elle a été longue ou brève, cabossée, sinueuse ou au contraire lisse et droite ? La réponse, c’est ce fameux « milieu ». Si je devais caractériser la « chose », je dirais a priori que le degré de pénétration du milieu se mesure au nombre d’interlocuteurs et donc de pistes mobilisables. C’est un peu comme un puzzle qu’on recompose, des sources qu’on recoupe… Enfin, les images sont nombreuses.

La toile de The L word

Retournons un instant à la soirée. En associant ce sourire à une « histoire » plus ou moins avérée, je me rends compte que l’endroit pullule de ce même sourire. Un peu comme quand on achète une voiture vert bouteille et qu’on a l’impression que depuis cette acquisition, le nombre de voitures vert bouteille a explosé. Autour de moi, plein de filles. Une fois sur deux, à défaut d’associer un nom, je peux associer une liaison, une activité, un trait de caractère, une addiction, un penchant, une folie.

Je me dis, qu’en vertu de la loi des grands nombres (oui ce vernissage a été un succès) cette implacable mécanique est forcément réciproque. Je me sens dès lors scrutée, épiée, surement un brin parano aussi, je vous l’accorde. Surtout, je me sens ancienne. J’entends le vernis craquer. L’exquis goût de la nouveauté est devenu fade. Sa sinusoïde plus tassée. La faute à quoi ? A ce maillage qui se déploie davantage à mesure que vous désirez en prendre congé. Notamment, parce qu’entre-temps, vous vous êtes fait de fidèles compagnons de route… Renoncer à la synergie de la toile, c’est prendre fatalement le risque de voir l’entreprise de sociabilisation redevenir une quête. Puisque comme le dit Océane Rose Marie dans La lesbienne invisible, la question majeure est celle-ci : « T’en es ou t’en es pas ?! ». « En être », c’est se garantir une zone de confort que forgent l’appartenance et la maîtrise des codes.

 

Rania