La révolution commence dans la chambre…

« Mais si t’aimes la masculinité, t’as qu’à sortir avec un mec ». Peut-être que cela vous rappelle quelque chose : une phrase entendue lors d’une conversation, une remarque similaire à celle que l’on vous a faite lorsque vous avez dit que vous aimiez beaucoup le sexe oral  :« Si t’as envie de sucer une bite, aussi factice soit-elle, t’as qu’à sucer un vrai mec. Je ne vois pas ce que tu fais avec des meufs si t’aimes sucer ». 

J’entends ces phrases de moins en moins dans le milieu lesbien et il semblerait – du moins je l’espère – que la plupart des gouines aient compris que l’on pouvait aimer les meufs tout en étant féminine ou que l’on pouvait aimer les butchs tout en étant lesbienne ou bisexuelle.

Mais au delà de la façon dont s’identifient les personnes avec lesquelles on sort, la question de nos pratiques sexuelles en tant que pratiques sexuelles autonomes, hétéronormées ou en réaction à l’hétéronormativité me semble importante.

J’étais moi-même en train d’affranchir un de ces codes hétéronormés lorsque l’idée de cet article m’est venue : devons-nous aborder nos rapports sexuels comme des rapports reproduisant les normes hétérosexuelles et avoir des relations en réaction à ces normes ? Pouvons-nous nous affranchir de ces codes en ayant des relations sexuelles subversives par rapport aux codes lesbiens ? Ne pouvons-nous pas nous affranchir de tous ces codes au point de ne plus nous poser de question lorsqu’on suce la bite factice de la nana avec laquelle on couche ?

Si la révolution commence dans la chambre, ne commence-t-elle pas justement lorsque nous avons réussi à nous libérer non pas seulement des normes hétéronormatives et patriarcales mais surtout des injonctions à des pratiques dites lesbiennes pour échapper à tout patriarcat ?

En posant la question à des personnes de mon entourage, j’ai eu la surprise de voir que la plupart des avis et expériences allaient finalement dans le même sens.

« Je n’associe pas les pratiques sexuelles à l’orientation sexuelle ou amoureuse. Si tu es telle chose, tu peux très bien la faire avec un homme, une femme, un ou une trans etc. Je pense qu’il est important, cela dit, d’expliquer aux  générations futures que le sexe n’a rien à voir avec l’orientation d’une personne ou la manière dont elle se définit. […] Je ne pense pas que des pratiques soient plus subversives que d’autres, tout dépend des autres, du milieu culturel dans lequel tu évolues, des attentes, des désirs. En somme, je ne baise pas « subversif » ou « non subversif », je ne me prends pas la tête. Le cul est politique certes, mais la part de désir personnel est aussi importante et je laisse une grande part à cette dernière, même si je me suis beaucoup questionnée sur ma sexualité. Je baise inconsciemment politique en tant que gouine mais je ne veux pas discuter spécialement de Marx au lit. » M.

«J’ai toujours abordé la sexualité de façon sensuelle et non politique… Donc je n’envisage pas les pratiques comme hétéronormées ou subversives, je fais comme je kiffe et comme elle kiffe !! Au fond la question est : quelle est votre résistance à la contrainte…? Comment résistez-vous à la pression…? Et l’on peut mettre ce qu’on veut sur les ptits points!! Parce qu’il y a aussi des normes homosexuelles et une lesbienne peut avoir des « pratiques subversives » vis à vis de la norme lesbienne. » C.

Au début de ma réflexion, je dois avouer que je pensais que les avis seraient plus divers – et sans doute le sont-ils. La plupart des personnes qui ont bien voulu me répondre n’est pas représentative de toutes les lesbiennes/bies de la communauté.

Si je pensais que les avis seraient plus divers à ce propos, c’est aussi parce qu’au début de ma vie sexuelle lesbienne, je suis tombée sur des nanas qui ne souhaitaient pas inclure certaines pratiques à leur vie sexuelle parce que cela reproduisait des codes hétéronormés : ça peut aller de la pénétration à l’utilisation d’un gode tout en passant par certaines positions dans lesquelles se distinguent, éventuellement, la passive de l’active, la dominée de la dominante. Je doute cependant qu’il soit pertinent de binariser tout ainsi…

Je n’ai moi-même pas échappé à ce désir de refuser toute forme de patriarcat, aussi symbolique soit-il, dans ma vie sexuelle.  Je crois qu’il faut du temps et de l’expérience parfois pour arriver à s’affranchir des symboles qui pèsent sur nos pratiques et dictent ce qui devrait nous exciter. Parce que finalement, il s’agit de cela : de ce qui nous excite et de ce qui nous fait bander.

Généralement, si certaines gouines ne souhaitent pas reproduire certaines normes hétérocentrées c’est parce qu’elles sont souvent phallocentrées : la fellation, la pénétration…Tout tourne autour de la bite :

 « Je suis gouine, je préfère les femmes mais je pourrais tout aussi bien me faire branler par un mec. C’est juste que j’aime moins les mecs. Il serait intéressant de réellement déconstruire la sexualité phallocentrée, autour de la bite des mecs cis et hétéros, et que le rapport serait forcément avec une pénétration (même chez les gouines et gays). » M.

On en revient toujours au même point : comment sortir de la sexualité phallocentrée tout en s’affranchissant des normes pour faire enfin ce que qui nous excite vraiment et s’amuser au pieu (ou ailleurs) ?  Peut-on réellement s’affranchir de ces codes ? Doit-on avoir une sexualité subversive et d’ailleurs, qu’est-ce qu’une sexualité subversive : sucer une bite factice quand on est une meuf qui aime les meufs ? Se faire prendre par une nana quand on est un mec hétéro, avoir des pratiques BDSM ?

Le caractère subversif d’une pratique dépend de ce qu’on y met dedans, de son contexte et de la personne avec qui on l’entretient, mais au fond, si justement la révolution commence dans la chambre, ne commence t-elle pas en s’affranchissant de l’obligation à rendre subversives nos pratiques sexuelles ?

« Disons pour conclure, que la subversion au lit je m’en fiche, j’aime aussi lécher l’anus de mon mec, le sexe d’une fille, le missionnaire ou la levrette, et je pense que le sexe est justement un espace de lâcher prise sans considération aucune des normes (que ce soit dans le but de les reproduire ou au contraire de passer outre, volontairement ou non). » J.

Finalement, ce qui est important ici n’est pas de savoir nos pratiques sont subversives, ou sont résultantes de l’affranchissement des codes patriarcaux. Pratiques qui, parfois au début s’expriment via un certain rejet de certaines autres, perçues symboliquement comme patriarcales ou aliénantes. La vraie question est d’arriver à ne plus réfléchir à la pratique en tant que pratique patriarcale ou subversive mais en tant que pratique qui nous excite.

Alors oui, la révolution commence peut-être dans la chambre, mais elle s’y termine aussi sans doute.

Sarah

Illustrations: Lesbians everywhere

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.