Ce week-end, Cannes est montée à Paris. Le temps de quelques projections tout du moins. Nous étions à celle du très attendu La vie d’Adèle, librement adapté de la BD de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude.
Le dernier Kechiche explore la genèse du sentiment amoureux, sa floraison dans un cœur vierge, avide de vertiges et de chair. La vie d’Adèle est une ode à la beauté en pagaille. Jamais forcée, jamais contrainte, elle se révèle trois heures durant dans un écrin brut. Ici, à n’en pas douter, c’est de réalisme qu’il s’agit. Exit l’esthétisme barbant des romances édulcorées, la caméra de Kechiche rase le réel à hauteur d’hommes et de femmes. Cela étant, on regrette parfois qu’à défaut de forcer le trait, il ne l’affine légèrement. Car en vérité, Kechiche montre tout, ou presque, à son spectateur. Quitte à lui laisser par moment, quelque part dans la gorge, l’amertume d’une émotion téléphonée.
Certes, le personnage d’Adèle s’y prête bien. C’est une « pleureuse » ultra émotive. De ces filles qui trouvent dans les larmes -et dans le chocolat- la matière d’une catharsis nécessaire. Les pleurs d’Adèle rythment le film. Ils forment le point d’orgue qui ponctue tour à tour ses doutes, son espérance et ses émois.
Outre cette volonté assumée de ne laisser aucune miette d’émotion hors-champ, ce qui est saisissant dans le film de Kechiche, c’est la valse des ambivalences. Le réalisateur cultive magistralement l’opposition. Entre la famille de l’une et la famille de l’autre, notamment. Celle d’Adèle adule les pâtes bolognaises, regarde Julien Lepers, s’abrite derrière l’assurance d’un mari qui gagne correctement sa vie et d’une femme qui vaque à des occupations plus légères. Celle d’Emma est plus bohème, plus artiste, plus ouverte. Bourdieu vous dirait que dans de telles conditions, il n’est pas étonnant qu’Adèle aspire à baigner dans la sécurité du métier d’institutrice quand Emma (Léa Seydoux), en quatrième année aux beaux arts fantasme une carrière de peintre. Forcément, la rencontre entre ces deux univers s’avère électrique, drôle et prenante.
EXTRAIT :
Cette fameuse rencontre se fait dans un bar lesbien, un Troisième lieu fictif. Emma, en bonne gouine, est entourée de son groupe de fidèles. D’ailleurs, permettons-nous une légère digression : on aurait dit que Kechiche, c’est peut-être le cas cela-dit, a organisé son casting lors d’une Kidnapping. Les amies d’Emma sont pour beaucoup des « têtes connues » du milieu parisien. A l’instar du personnage de Seydoux, elles (et ils) partagent l’amour de la nuit, des lettres, de la peinture et des discussions métaphysiques. Ce joyeux bordel d’ébullition « culturelle » est à la longue un brin pompeux. Il cache en creux un lieu commun à peine voilé : celui d’une caste bien dans ses bottes qui ne comprend pas qu’on puisse trouver son compte et son bonheur dans un métier de « seconde zone ». Entre la mysticité de l’orgasme féminin et l’œuvre contestée d’un peintre italien, Adèle se perd peu à peu dans les conversations de gens trop « cultivés » à son goût.
Heureusement, il reste un terrain d’entente que Kechiche se fait une joie d’explorer… Là encore, pas question de voile. C’est cru, c’est baveux, c’est vrai. On se tape, on se mort, on exalte, on hurle. Ça va dans tous les sens. Adèle et Emma vous mangent les yeux. Les scènes se boivent en une gorgée. Pour autant -et cette pensée n’engage que moi-, on ne mouille pas vraiment sa culotte. Certes, c’est intense. Certes, c’est pas mal filmé mais il manque un interdit, un refus, une résistance. L’ensemble donne l’impression d’une chorégraphie fluide et enchaînée. Et puis, à vrai dire, les actrices ne sont pas renversantes de « sex-appeal ». Mais ça, j’en conviens, c’est une question de goût.
En définitive, La vie d’Adèle n’est pas l’histoire d’amour du siècle mais une histoire d’amour comme les autres : une histoire où l’on pleure, où l’on rit, où l’on se déchire et où l’on se retrouve. Dans les salles le 9 octobre.
Rania