La rédaction s’est mobilisé (oui, oui) pour vous offrir sa sélection des meilleurs films CAMP de tous les temps. Des films what ? Des films issus de la culture gay alliant autodérision, humour, ironie et théâtralité. Genre méconnu et peu représenté en France, il a fait des émules aux Etats-Unis.
Les films CAMP (tiré de l’anglais, camper : prendre la pose) présentent une esthétique baroque où les artifices sont légion, où l’on se joue des conventions de genre en exagérant les caractéristiques du masculin et/ou du féminin, où l’on efface les différences entre les sexes, où l’on inverse les rôles conventionnels. Les réalisateurs-rices des films qui suivent n’ont pas toujours mis en scène ces oeuvres dans une intention CAMP mais ils ont été analysés comme tels, plus tard. Mêlant les genres -cinématographiques- (série B, S-F, teen-movie, comédie musicale etc.), ils n’ont pas toujours été reconnus par la critique… Mais par nous, oui ! Let’s go !
Angie – THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW de Jim Sharman (1975)
The Rocky Horror Picture Show est une comédie musicale mêlant burlesque, travestissement et SF. Grand classique du film de CAMP, il s’ouvre surtout comme un film d’horreur. Un couple de WASP joué par Susan Sarandon et Barry Bostwick tombe en panne de voiture, par une nuit pluvieuse, et se retrouve à devoir entrer dans un mystérieux manoir. Peuplé d’étranges créatures et de freaks, ce château va être le théâtre à la fois de l’éclatement de leur couple et de leur épanouissement sexuel. De superbes scènes chantées et dansées font l’apologie d’une certaine idée de la débauche, de la nuit et de la folie. Mais ce film ne serait rien sans l’emblématique Dr Frank-N-Furter ! Ce « gentil travesti qui vient de Transsexuel en Transylvanie » forge toute l’identité de l’oeuvre. Croisement entre un Dracula-Queen, une danseuse du Lido et Mick Jagger, Frank-N-Furter est la super star du château, scientifique maboul aux multiples amants, il va donner naissance à Rocky, une créature aux allures de dieu grec…. Cette oeuvre de Jim Sharman sortie en 1975 m’a ravie par son imaginaire excentrique, son envie d’en découdre avec la folie et sa narration sous acide. Ôde à la vie, au plaisir mais aussi, mine de rien, au vivre-ensemble, The Rocky Horror Picture Show occupe une place centrale dans les films CAMP !
Kit – LABYRINTH de Jim Henson (1986)
Ah, Labyrinth. Sarah (interprétée par une minuscule Jennifer Connelly aux joues toutes rondes) est une adolescente solitaire et férue de théâtre et de contes de fées. Un soir, exaspérée par son demi-frère qu’elle doit garder, elle lance qu’elle aimerait que le roi des gobelins l’enlève. Ni une ni deux, ledit roi des gobelins, Jareth (éblouissant David Bowie, en pantalon moule-bite, coupe mullet improbable et cape à plumes), apparaît et réalise son souhait; et voilà Sarah catapultée dans le labyrinthe éponyme dans une course contre la montre pour récupérer son frère avant que celui-ci ne soit transformé en gobelin, rencontrant au cours de ses aventures des créatures fantastiques toutes plus absurdes les unes que les autres tout en se retrouvant étrangement fascinée par Jareth et ses tentatives de séduction (normal, c’est Bowie, mullet ou pas mullet). Labyrinth, c’est du kitsch eighties à l’état pur, de la fantasy improbable, des effets spéciaux hilarants et des personnages tissés de magie, de paillettes, de poudre d’étoiles et de polyester qui gratte. Ce film gardera toujours une place spéciale dans mon petit coeur, pour le frisson adolescent que m’ont causé ses allusions à une sensualité borderline, troublante et si magnifiquement non-hétéronormée, et pour une scène de bal dans laquelle Jennifer Connelly porte une robe de trois mètres de diamètre, David Bowie est maquillé comme une voiture volée, et où ils réussissent ensemble à incarner tous les désirs que je n’aurais jamais pu articuler à douze ans.
Emmanuelle – BUT I’M A CHEERLEADER de Jamie Babbit (1990)
J’ai découvert ce film kitsch à souhait aux débuts des années 2000 grâce à une amie qui était ma Bible lesbienne de l’époque. Jeune fille d’une famille respectable et catholique, Megan (Natasha Lyonne d’Orange Is The New Black) est pom-pom girl dans son lycée et sort avec le capitaine de l’équipe de foot. Plusieurs comportements de Megan alertent son entourage qui la soupçonne d’être lesbienne et décide de l’envoyer dans un établissement de réorientation sexuelle pour qu’elle revienne sur le droit chemin. L’établissement est géré par un ancien homosexuel joué par Ru Paul (Drag Queen la plus connue des Etats-Unis) et une équipe de choc. Les patients sont des jeunes lesbiennes et gays à qui l’on réapprend à devenir hétérosexuel par des travaux pratiques qui feraient pâlir plus d’une féministe. Univers rose et bleu à en faire jouir la Manif Pour Tous, ce film joue sur tous les clichés inimaginables sur l’homosexualité et l’hétérosexualité sans avoir peur du ridicule. A votre avis que se passe-t-il lorsque Megan y rencontre Graham, lesbienne qui s’assume (Clea DuVall) ?
Marie – 20 CENTIMÈTRES de Ramón Salazar (2005)
Marietta (Mónica Servera), travesti à Madrid, a entre les cuisses ce qui donne au film son titre : 20 centimètres. Un peu compliqué quand on ne rêve que de devenir une femme et qu’on s’est amouraché d’un homme qui n’aime rien plus que ces fameux 20 centimètres. Comme si ce mal-être entre deux corps n’était pas assez, victime de narcolepsie, Marietta s’endort dans les endroits les plus improbables. Elle profite alors des ses rêves pour chanter et danser sur les chansons qui vous tirent du lit quand il est 6h30 un lundi et qu’il faut aller à la Défense : True blue à l’époque où Madonna aimait Sean Penn, Paroles paroles paroles, quand Alain Delon payait encore ses impôts en France, Boys boys boys, quand le topless était toujours à la mode à Antibes. Ramón Salazar, le réalisateur, n’est pas Pedro Almodovar et c’est tant mieux pour cette fantasmagorie délicieusement kitsch.
Gail – JAWBREAKER de Darren Stein (1999)
Au collège, à l’époque où mes copines ne juraient que par les garçons de troisième et Clueless, ma préférence se portait sur les dauphins (blague), et Jawbreaker. L’histoire de quatre copines dont l’une se fait malencontreusement étouffer par un gros bonbon lors d’une farce organisée pour son anniversaire. La risée de lycée découvre le pot aux roses pendant que les coupables tentent de camoufler l’affaire. Pour acheter son silence, elles lui proposent de prendre la place de la pauvre gisante. Beauté, popularité, on efface ton passé… à votre avis, elle accepte ou file dare-dare se replonger dans ses bouquins? Jawbreaker me plaisait pour son côté borderline – j’avais 12 ans, la présence de Marilyn Manson au casting me semblait le comble du l’indé. C’est le précurseur du ‘bitch’ comme signe de ponctuation – d’ailleurs le moment où les filles débarquent dans les toilettes pour se refaire une beauté et chassent tout le monde avec un ‘alright bitches, out!’ est mythique. S’y mêlent loi de la jungle, pouvoir, cruauté, vengeance, et bon sentiments (parce qu’il en faut toujours un peu) dans un second degré assumé – devant la conseillère d’orientation, Fern, la chenille qui va bientôt se transformer en papillon aux tenues flashy de danseuse eighties miaule son admiration pour l’une des filles avec cette réplique géniale: « Liz? She’s the cat’s Meow… » – bref, s’il en fallait un, pour moi, ça serait celui-là.
Adeline – PRISCILLLA, FOLLE DU DÉSERT de Stephan Elliott (1994)
Le film CAMP qui m’a le plus marqué est sans doute Priscilla, folle du désert, de Stéphan Elliott. Je me souviens l’avoir vu assez jeune à la télévision, en famille, je devais avoir 10 ans. Je ne réalisais pas ce devant quoi j’étais, sans doute parce que je n’ai pas été élevée dans la peur et la stigmatisation de l’homosexualité. Je l’ai trouvé fin, drôle, libérateur, fort, juste. Et, on ne change pas une équipe qui gagne, je me rappelle surtout de la bande originale : CeCe Peniston et Finally, Abba et Mamma Mia, Gloria Gaynor et I Will Survive, Peaches and Herbs et Shake your Groove Thing, véritables hymnes, insufflateurs de liberté. Je me rappelle avoir ri aux larmes et pleuré, un peu, que le film se finisse. Parce que moi aussi je voulais monter dans ce van, Priscilla folle du désert, et rire aux larmes sans que le film ne se finisse jamais. C’est là que l’on reconnaît un bon d’un mauvais film, dans les images et fantasmes, puis dans les envies de monde meilleur qu’ils insufflent dans nos esprits d’enfant. »
An Si – ROMEO + JULIETTE de Baz Luhrman (1996)
Romeo + Juliet n’est certainement pas la représentation du film CAMP à proprement parler en raison de son intrigue – mondialement connue – basée sur l’histoire Shakespearienne et bien sûr néfaste d’adolescents amoureux. Mais ! Le kitsch ultra élaboré de l’esthétisme fidèle à Baz Luhrman aiinsi que l’incarnation de la folle mondaine par le personnage de Mercutio (Harold Perrineau) m’ont littéralement fait tomber amoureuse du personnage. Meilleur ami de Roméo et métaphore d’une certaine voix de la raison, le côté faussement borderline de Mercutio qui casse les barrières du genre avec un maquillage à outrance, du travestissement et une prise immodéré d’ecstasy forge à mon avis l’une des figures CAMP les plus marquantes du début des années 2000.
Marie Rouge – CRY BABY de John Waters (1990)
Pour ce qui est des films CAMP, je dirais que Cry Baby est mon favori. Je l’ai découvert grâce à Chill Okubo et j’ai bien du mal à m’en remettre depuis ! Déjà, c’est une claque esthétique. J’ai encore dans la tête la beauté juvénile d’Amy Locane, la gouaille de Johnny Depp et la dégaine rockab’ de sa bande. Le tout est filmé comme un conte de fée trash, une comédie musicale délurée, une histoire d’amour parodique, à mi-chemin entre Grease et Roméo et Juliette. C’est surjoué, too much, très drôle. La chanson Please, Mister Jailer reste un moment culte de sensualité kitsch, lorsque Alison, vêtue d’une robe rouge moulante, se frotte à la vitre du parloir en suppliant de faire libérer son homme.
Et vous quels sont vos films CAMP favoris ?