Être technicienne chez les pornographes féministes

Ce qui n’était pas vraiment prévu  arriva : cela fait déjà plus de deux ans que j’ai mis les pieds dans le cercle très fermé de la pornographie indépendante. Ma formation de technicienne en post-production me destinait au cinéma traditionnel, mais j’ai pourtant choisi le cinéma pour adultes. Tout a commencé par ma rencontre avec Carmina, en 2017. Nous ne nous sommes plus quittées depuis.

©Barthphotographie

« Tu es tombée dans le porno ? Tu fais quoi, tu es actrice ? »

Voici le cliché auquel je suis typiquement confrontée lorsque je parle de mon activité professionnelle. Comme si être une femme revenait à se condamner à jouer, être un objet obéissant et passif. Parce que la technique c’est pour les hommes, les vrais ! Ce cliché se révèle tristement d’actualité dans la pornographie mainstream, où les hommes sont très majoritaires. Les équipes techniques du porno mainstream sont généralement composées d’un homme ou deux, dont la polyvalence douteuse empiète sur la hiérarchie classique.

Les technicien.ne.s y sont peu présent.e.s, laissant les réals  – principalement masculins – libres de cadrer et monter seul.e.s. Les étapes du montage et mixage son passent d’ailleurs souvent à la trappe. Mais en ce qui concerne la pornographie féministe et éthique, les femmes, personnes trans et non binaires y sont plus présent.e.s. Toutefois, comme il s’agit d’un milieu assez indépendant et créatif, beaucoup de réalisateurs et réalisatrices performent, et s’occupent eux-mêmes de l’intégralité du projet dans un soucis de budget mais aussi de contrôle. Il est souvent difficile pour elleux de confier leur projet à des technicien.ne.s.

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C’est finalement un peu par la force des choses que j’ai réussi à me frayer un chemin dans ce milieu à part. Je me souviens avoir monté mon tout premier teaser porno pour un couple français amateurs. Très enthousiaste, j’ai enchaîné rapidement par le montage d’un deuxième teaser avant de couper tout contact professionnel, car ils ont refusé de me donner l’euro symbolique contre plusieurs heures de labeur. Je suis travailleuse, motivée et prête à faire beaucoup de sacrifices pour avoir ma chance dans la pornographie, mais travailler gratuitement sur le long terme n’en fait pas partie. C’est dire sur le chemin qu’il reste à parcourir pour que les technicien.ne.s soient pris au sérieux !

La chance a tourné en ma faveur lorsque j’ai rencontré Carmina lors d’un entretien autour de la rédaction de mon Mémoire de Master sur « La place du montage dans la pornographie ». Carmina… Vous avez sûrement déjà du lire ce nom quelque part. De son blog « Le cul entre deux chaises », où elle fait part de ses aventures de Camgirl à la rédaction-en-chef de « Le Tag Parfait : Le magazine de la culture porn », elle a commencé à se faire un nom dans la scène pornographique indépendante européenne.

©Carré Rose Films, extraits de « La Cuisine »

Comme dans toute relation entre réalisateur.rice et monteur.se, il s’agit beaucoup de psychologie, de patience et de compréhension. Mais cela se vérifie particulièrement dans le milieu de l’indie porn. La recherche d’indépendance et d’authenticité pousse les performeur.euse.s à opérer seul.e.s ou entre-elleux, excluant souvent toute collaboration avec des technicien.ne.s. Malgré ces difficultés, j’ai su faire mes preuves grâce à « La Cuisine » premier film porno monté pour Carmina. La confiance qu’elle m’a accordé a porté ses fruits puisque le film fut projeté au Porn Film Festival Berlin, puis au festival OnlyPorn à Lyon. Une première projection publique pour elle comme pour moi ! Depuis, j’ai eu la chance de connaître les prémices de « Carré Rose Films » label de films pornographiques et féministes crée par Carmina, dont le but est d’allier sexe, fun et inclusivité.

©Carré Rose Films, Marie Rouge 

Je crois que le message est clair : le milieu de la pornographie indépendante est difficilement accessible, mais cela reste possible avec beaucoup de persévérance et de passion. Attention tout de même ! Comme au cinéma traditionnel, il ne faut jamais rester sur ses acquis et continuer jour après jour de gagner ses galons. Ce qui n’est pas pour me déplaire !

Ser Lait – Monteuse
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