Ada Lovelace, la programmeuse originelle

Aujourd’hui a lieu la cinquième journée Ada Lovelace, dédiée à la visibilité du travail des femmes en science, en technologie, en ingénierie et en mathématiques. Mais savez-vous qui était Ada King, comtesse de Lovelace, en l’honneur de laquelle cette journée a été nommée ?

Née en 1815 d’une union qui se solde très rapidement par un divorce (un scandale en soi à l’ère victorienne!), Ada Lovelace n’est d’emblée pas destinée à une vie ordinaire. En effet, elle est la fille du poète George Byron – et par ailleurs, sa seule enfant légitime. Elle grandit jalousement surveillée par une mère épaulée par une cohorte de « Furies » (petit surnom donné par Ada à ces amies de sa mère chargées de surveiller son comportement) et qui ne craint rien autant qu’un retour congénital de la folie furieuse et de la déviance morale qui sont les marques de fabrique byroniennes. Au programme : une éducation scientifique rigoureuse, beaucoup de mathématiques, aussi peu de poésie que possible, et interdiction formelle de voir ne serait-ce que le portrait de son père avant ses vingt ans.

Ni sa mère ni ses précepteurs ne réussiront vraiment à déraciner ces sombres et dangereuses tendances ; héritage byronien ou pas, Ada reste toute sa vie fascinée par la poésie et la métaphysique, tente de s’enfuir avec un précepteur à dix-huit ans, fait l’objet de plusieurs rumeurs d’infidélité après son mariage et meurt – à trente-six ans, comme son père – endettée jusqu’au cou à cause de ses habitudes de jeu (elle avait voulu construire un modèle mathématique permettant de faire des gros paris ; je vous laisse imaginer comment cette histoire s’est finie).

Mais quoi qu’il en soit, son éducation fait rapidement ressortir ses compétences mathématiques hors du commun, et Ada Lovelace commence à fréquenter assidûment quelques-uns des grands scientifiques de son époque. Mary Somerville, une des premières femmes à être rentrée à la Royal Astronomical Society, est pendant un temps, sa préceptrice ; elle correspond également avec d’autres scientifiques célèbres comme David Brewster ou Michael Faraday, et impressionne par ses connaissances et son intelligence.

En 1833, Ada Lovelace fait la rencontre de Charles Babbage, aujourd’hui considéré comme le « père de l’ordinateur ». Il l’invite à observer sa machine à différence, qui est effectivement l’ancêtre lointain du PC sur lequel cet article a été bouclé ; il s’agit d’une machine à générer des tables de calcul exactes, et qui fonctionne à la vapeur et grâce à des cartes perforées. Ada est fascinée, s’emballe, revient, correspond avec Babbage ; celui-ci, conscient de son talent mathématique, lui propose de travailler avec lui.

En 1842, elle commence la traduction d’un article portant sur la machine analytique (la version 2.0 de la machine à différence), qu’elle agrémente de ses propres notes abondantes. Dans la section G desdites notes, elle décrit en détail une méthode pour générer une séquence de nombres (des nombres de Bernoulli) grâce à la machine analytique : il s’agit du premier algorithme destiné à être exécuté par un ordinateur, et Ada Lovelace devient, par conséquent, la première programmeuse de l’histoire.

Bien que leurs travaux aient été d’une importance évidente pour le développement qui mène, après moult détours, aux ordinateurs tels que nous les connaissons aujourd’hui, ni Lovelace ni Babbage n’ont vu de leur vivant la réalisation finale d’une machine analytique fonctionnelle (santé fragile de la première, manque de financements du second). Après sa mort, Ada Lovelace est rapidement tombée dans l’oubli, sauf en tant que note de bas de page dans des biographies de Byron, et il a fallu environ un siècle pour que sa contribution au développement de la machine analytique soit exhumée.

Même après cette redécouverte, elle est restée un certain temps victime du sexisme institutionnel ordinaire : elle passera du statut d’amante potentielle de Charles Babbage à celui d’assistante, avant qu’on se dise que peut-être oui, effectivement, elle avait sans doute deux-trois compétences mathématiques propres, et l’étendue de ses contributions a été sujet à controverses ensuite. Mais malgré certains réflexes franchement horripilants de ses biographes (difficile de trouver un ouvrage qui ne mentionne pas son statut de « fille de » ou au titre surconnoté féminin – The Bride of Science : Romance, Reason, and Byron’s Daughter, sérieusement?!), l’importance de ses travaux est aujourd’hui pleinement réhabilitée.

Le Ada Lovelace Day a été créé afin de donner une visibilité accrue aux travaux scientifiques réalisés par des femmes ; c’est également l’occasion de redécouvrir celle qui a contribué à poser les bases même de l’informatique, et dont l’importance a longtemps été occultée au profit des hommes dont l’existence a croisé la sienne.

Pour en savoir plus sur le Ada Lovelace Day et la Ada Initiative, qui soutient les femmes scientifiques, c’est ici et ici.

Et enfin, si vous voulez un peu de fiction, allez donc jeter un coup d’oeil aux webcomics délicieux de Syndney Padua sur 2D Goggles. Ada Lovelace et Charles Babbage en super-héros victoriens , une machine analytique surpuissante, des aventures steampunk et beaucoup, beaucoup, beaucoup de geekage ; que demander de plus ?

Kit

Quelques bibliographies :

Betty Alexandra Toole, Ada, the Enchantress of Numbers: Prophet of the Computer Age, Strawberry Press

James Essinger, Ada’s Algorithm, Melville House Publishing

Kit

Kit est un croisement entre ta prof de lettres préférée et un monstre sous-marin tentaculaire énervé et misandre, un animal hybride qui hante les bibliothèques et les failles spatio-temporelles.