Le mythe de la virginité

D’abord, il y a eu mes règles, première étape à mon devenir femme : « Tu es une femme maintenant »… Ce à quoi une amie aurait répondu à sa mère « Je vais pouvoir enfin baiser… ».

Donc il y a d’abord nos règles, étape apparemment nécessaire pour être une femme, qui vous met enfin sur le marché du sexe – apparemment aussi. Puis il y a cette autre étape à laquelle beaucoup de jeunes filles pensent dès qu’elle ont leurs règles (et sûrement avant) : quand vais-je faire l’amour et avec qui ? Pour certaines, cette étape en est devenue une obsession : coucher enfin (avec un mec cis genre évidemment) pour devenir une vraie femme. Parce qu’il faut bien s’en débarrasser, hein.  De quoi  d’ailleurs ? De la virginité, de l’hymen précisément,  qui est aussi l’outil le plus fiable (hin hin) pour savoir si une femme est vierge. On n’a pas encore trouvé l’hymen des hommes mais ça ne saurait tarder.

Bref, cette virginité, il faut la perdre une bonne fois pour toutes. Je me souviens avoir été personnellement obsédée par l’idée de la perdre, je me souviens également pourquoi : pas pour moi, pas pour mon plaisir, pas parce que j’aurais rencontré une personne avec qui j’aurais eu envie d’avoir des relations sexuelles, non. Pour l’image, pour l’idée de devenir une « vraie » femme, parce qu’il faut bien, parce que je me trouvais moche et que si je perdais ma virginité, cela voudrait dire que quelqu’un voulait bien de moi. C’est pour toutes ces raisons que ma première fois sexuelle n’était pas personnelle mais collective.

Mais d’ailleurs, c’est quoi la virginité ?

Selon les dictionnaires, les réacs, les magazines féminins pour ados (Girls et Jeune et Jolie que je lisais quand j’avais 14 ans) et une majorité de personnes encore, la virginité c’est quand on n’a pas encore eu des rapports sexuels ; ce qui nous amène à la définition de rapports sexuels qui pour les mêmes personnes et groupes de personnes cités plus haut est : le pénis d’un homme cis genre dans le vagin d’une femme cis genre.  (Un dessin ?)

La perte de la virginité est donc une conception non seulement hétérocentrée de la sexualité mais aussi totalement sexiste et patriarcale.

La perte de la virginité ne repose pas sur la rupture de l’hymen, puisque celui-ci peut être inexistant chez certaines femmes, peut se « rompre » facilement et petit à petit en ayant certaines activités sportives. Aussi, l’hymen est une membrane tellement souple qu’il se peut que vous l’ayez écarté en insérant vos doigts dedans, des feutres ou une brosse à dents, qui sait ?

Mais d’ailleurs, on s’en fout de l’hymen non, puisque ce n’est pas lui qui vous dit si vous êtes encore vierge.  Parce que vous pouvez bien avoir pratiqué le sexe anal, avoir baisé avec une fille ou avoir sucé un mec, votre hymen sera au même point, pourtant je doute que vous vous diriez encore vierge. Quoique.

Il y aura toujours des personnes pour vous dire que vous êtes encore vierge tout simplement parce qu’un pénis n’est jamais passé par votre vagin. Même chez les filles, même chez les personnes LGBT.

Lorsque j’ai fait mon coming-out de lesbienne, la première question que l’on m’a posé a été: « Tu as déjà essayé les mecs pour être sûre ? » Essayer les mecs signifie ici : est-ce que le pénis d’un homme s’est déjà retrouvé dans ton vagin ?

A la question « essayé  un homme », je répondais « oui » même si je savais ce que la personne entendait par son interrogation.  Elle me demandait clairement si j’avais eu un « vrai rapport sexuel ». Je répondais oui et je me sentais pourtant coupable de n’avoir jamais eu de « vrais » rapports sexuels avec un homme alors que j’avais fait plein de choses avec eux, des choses qu’on qualifie de préliminaires (terme qui me fait hurler) comme si la relation sexuelle n’était que pénétration vaginale et que tout ce qui se passe avant n’était qu’un échauffement.

Cette question posée, comme si le pénis de l’homme en question dans mon vagin allait m’éclairer un peu plus sur mon orientation sexuelle. Il doit y avoir un interrupteur près du col de l’utérus que seul un pénis peut allumer et qui vous met en marche « ON – vous êtes hétéro maintenant ».

La virginité ou le contrôle de la sexualité des femmes

Aujourd’hui (et il m’en a fallu du temps), je ne me pose plus la question de savoir si je suis vierge pour deux raisons :

La première est que si on part du postulat que votre virginité est une question d’hymen, le mien a bien du se rompre lorsque je me masturbais, petite. Comme d’autres femmes sans doute.

La seconde raison est que savoir si une personne est vierge n’a aucune utilité.

La virginité est un concept culturel, un mythe. Inventée par les hommes pour contrôler la sexualité des femmes pour être certains d’être le père des enfants de leurs femmes. L’idée de virginité a même été inventée à une époque où nos connaissances en anatomie étaient tellement pauvres qu’on ne connaissait pas l’existence de l’hymen.

Quand on parle de virginité, c’est celle des femmes dont on parle.

C’est un désir de contrôle absolu sur la sexualité des femmes qui renforce une dichotomie encore très forte : la sainte/ la putain.

Aux USA, ils existe des associations (religieuses) qui prônent l’abstinence jusqu’au mariage. Les jeunes femmes se voient offrir des bagues de chasteté ou même des cartes qu’elles gardent dans leur porte-feuilles. Tout cela a lieu lors d’une cérémonie virginale lors de laquelle la jeune fille en question promet à son cher papa de rester vierge jusqu’au mariage. En échange, son père lui promet protection (de sa virginité, valeur, dignité) jusqu’à ce qu’elle trouve un mari qui reprendra le flambeau. Parce qu’une femme ne peut pas s’assurer de sa propre protection, il en va de soi.

Lors de cette même cérémonie, la jeune fille est généralement bien apprêtée et bien maquillée. Son vœu de chasteté est enfilé dans une apparence glamour, correspondant à ce que la société hypersexualisée attend des jeunes filles: sois bonne, sois séduisante. Ces associations sont très présentes aux USA et glissent parfois facilement entre les discours féministes concernant l’hypersexualisation de la société. Elles tiennent les mêmes propos pour assurer qu’elles font ça pour le bien des femmes, alors que leurs discours véhiculent une image traditionnelle des femmes et des rôles.

La sainte versus la putain

Mais ce qui me semble le plus intéressant dans cette idée de virginité et surtout la perte de la virginité c’est qu’elle véhicule un discours négatif sur la sexualité. Faire du sexe, c’est pour les putes, les salopes, les putains. Faire vœu de chasteté jusqu’au mariage est une preuve de pureté absolue.

Ces discours renforcent la dichotomie entre la sainte et la putain. D’ailleurs, il ne s’agit pas que d’une histoire de sexe mais aussi de classe et de race. Aux USA, le taux de femmes violées racisées est plus fort que celui des femmes blanches. Considérant sans doute que les femmes racisées sont par nature déjà des putes.*

Aussi, les femmes qui ne correspondent pas aux standards de beauté de la société actuelle sont aussi considérées comme des putains. Britney Spears en est le parfait exemple. Considérée pure au début de sa carrière de chanteuse parce que blonde, jolie et mince, elle est devenue une slut après avoir pris du poids. **

La virginité est un concept culturel qui sert à contrôler la sexualité des femmes. Elle culpabilise les femmes qui ont une sexualité active (voir les lettres concernant Miley Cyrus), renforce la désinformation sur la sexualité auprès des jeunes, est la cause première du taux des jeunes filles enceintes aux USA.

Le mythe de la virginité porte l’idée que la valeur d’une femme se situe entre ses cuisses.

Mais il y a quand même quelque chose de « drôle » à tout ça : c’est que si la valeur d’une femme se mesure au fait qu’elle a eu des relations sexuelles et qu’une relation sexuelle est une pénétration du vagin par un pénis, cela voudrait dire que ce sont les hommes qui apportent l’impureté aux femmes…y’aurait pas un petit problème de logique dans leur conception là quand même…?

Sarah

Illustration de couv’:  Bethany makes poetry

The purity myth de Jessica Valenti

Lien France Culture sur la virginité ici

 

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.