Gonthier et Lady Starlight : rien à troller

Comme à chaque fin d’année quand je fais ma compta, je me suis posé des questions sur ma carrière de curatrice d’expériences musicales, sur l’industrie, pourquoi on galère encore avec des choses qui devraient déjà être réglées… 2023 enfin, c’est quand l’égalité ? Au lieu de faire du boudin dans mon coin, j’ai préféré demandé l’avis de distinguées collègues, et me suis tournée vers la chérie de la pop-électro underground Gonthier et l’icône de la techno live Lady Starlight, pour répondre à quelques unes de mes questions et partager des tips de survie dans notre chère industrie de la musique électronique.

 

Gonthier et Lady Starlight, quand avez-vous réalisé que votre chemin de carrière serait différent, non pas à cause de votre talent, mais de votre genre ?

Gonthier : Pour moi, très tôt, dès la cour de récré. C’est un ordre social dans lequel je me suis toujours sentie très étriquée. I Don’t Fit In, que j’ai sorti l’année dernière, parlait précisément de ça.
Professionnellement, je m’en suis rendue compte quand j’ai commencé à constater que des hommes moins compétents selon moi étaient plus respectés et se voyaient offrir plus d’opportunités que n’importe quelle femme hyper qualifiée dans mon entourage.

Lady Starlight : Exactement, je pense que les personnes non homme-cis se rendent bien compte dès l’enfance que leur genre affectera leur carrière. En fait cela m’a toujours amusée de voir que la société attend tellement peu de talent des femmes, et je m’en sers à mon avantage. Si les hommes sont impressionnés juste parce que je sais allumer un synthé modulaire, ce sont eux les dindons de la farce. Quand on vous sous-estime, vous avez l’avantage ; quand vous n’avez pas la pression, ça vous donne une certaine liberté.

G : Personnellement, je transforme ces sensations négatives en créativité, en textes, en musique ; ça décuple mon énergie. Ça ajoute du sens à toutes mes actions… plutôt transcender que transmettre de la colère. Puis j’ai pris confiance en moi, et je peux me détacher des attentes des autres. Plus j’ai confiance en moi, mieux ça se passe ; comme quoi il y a peut-être une forme d’autocensure dans tout ça.

Et maintenant, avec les années d’expérience dans l’industrie et que vous vivez de votre art, pensez-vous que vous auriez fait certaines choses différemment vis-à-vis de cette question du genre ?

G : Non car j’ai ma propre histoire familiale, ma propre éducation méditerranéenne, et c’est avec ce bagage que j’expérimente le monde depuis l’enfance. Plus j’avance dans la vie, mieux je comprends certaines choses. J’adapte mes comportements, je développe ma propre stratégie de survie, je chéris ce chemin même s’il est long et semé d’obstacles.

 

Avez-vous remarqué des différences ou du progrès à ce niveau dans l’industrie ces quelques dernières années ?

G : Oui carrément, il y a eu un déclic avec #metoo. Mais il y a toujours un manque de femmes aux étages de la pyramide. Femmes réalisatrices, productrices, rappeuses, DA, directrices de label, etc. La question c’est comment sont repartis l’argent et le pouvoir au sein de l’industrie ? Qui doit-on blâmer pour ce déséquilibre… Je ne sais pas, et c’est toute la complexité des discriminations systémiques.
Par exemple en France, il n’y a pas de figure majeure du hip hop féminin. Et pourtant c’est le hip hop qui ramasse le plus de fric. Tout ce fric qui ne va pas dans les poches des femmes en somme. Pourtant la qualité est là. Peut-être ne veut-on pas voir les femmes à cette place là, la grande gueule qui l’ouvre à tout va via des paroles bien corsées. Où est la Diams des années 2020 ?

LS : Pour ma carrière perso, oui il y a de l’amélioration depuis que ce débat prend plus de place dans l’espace public. Malheureusement, je ne vois pas de vrai progrès de fond. On me programme plus juste à cause de mon genre, je n’ai jamais eu autant conscience d’être femelle. Donc même dichotomie, juste renversée à l’avantage des femmes pour une fois. Moi je ne veux aucun avantage ou désavantage lié à mon genre, je veux l’égalité.

D’après vous le trolling et les commentaires ou attitudes paternalistes du grand public ou des pros sont un problème pour les artistes femmes, trans et non-binaires ?

LS : Le trolling est clairement un gros problème, mais pour tout le monde en fait, et c’est une réflexion de la société. Les personnes NB, trans, femmes sont plus harcelé.es en ligne car on est plus harcelé.es en personne aussi.

G : La violence sur les réseaux sociaux touche de nombreuses femmes, d’autant plus si on est racisée, féministe, queer ou si on sort plus généralement des critères physiques ou autre de ce qu’on « attend » d’une femme. Donc je pense aussi que oui c’est un énorme problème, mais il n’est que le reflet virtuel des violences et injustices subies par les femmes et autres personnes de genres minoritaires.
Niveau commentaires paternalistes, la meilleure qu’on m’ait faite c’était suite à l’annonce d’un gig tardif, un gars m’a demandé « si mon mec était d’accord avec mon lifestyle ». Sans compter le nombre de fois où on m’a demandé qui produisait mes morceaux, les ingés sons qui veulent t’apprendre la vie, les « tu te débrouilles pas mal pour une fille »… Après je dois dire que j’envie la bromance qu’il peut y avoir entre hommes, et l’échange de savoir notamment technique. Certains de mes potes passent des après-midis ensemble à désosser des synthés ; j’ai eu peu la chance d’expérimenter un tel lien avec mes consœurs. On aurait beaucoup à y gagner je pense, désossons ensemble !

 

Avez-vous été personnellement touchées et comment avez-vous réagi ?

LS : Je viens de la scène punk, donc il m’arrive de faire certaines choses exprès pour provoquer une réaction négative. Du coup j’ai une sorte d’immunité aux commentaires négatifs. Un critique australien a dit que j’étais la pire première acte de concert qu’il ait jamais vu. Ça me rend fière ! Si quelqu’un.e réagit de façon négative à ton travail, ça veut dire que tu as eu un impact, et c’est une bonne chose. Une réaction bien pire, c’est quand il n’y a aucune réaction.

 

Et du coup, comment peut-on gérer ce problème d’après vous ?

G : Dans mon travail, mes valeurs et mes positions politiques sont partout tout le temps, mais mon endroit à moi c’est le poétique. Le poétique est par nature indirect, symbolique. Contrairement au langage politique qui se doit d’être direct… c’est un langage qui fait forcément moins polémique.

LS : Mon conseil perso est très simple, rappelons-nous que les commentaires n’ont aucune importance ; ni les positifs, ni les négatifs. Ne vivons pas notre vie pour les autres, les réseaux ne sont pas réels !

Vos dernières remarques sur les media et pour l’amélioration de notre industrie ? 

LS : Notre industrie devrait moins se focaliser sur des changements superficiels comme les quotas de programmation. Le problème est dans les fondations de notre société, donc c’est là que l’on trouvera la solution. On a besoin de plus de personnes de genres minoritaires au niveau programmation, production, gestions des lieux, son et lumière… les jobs que le public ne voit pas en fait. Et là on verra du vrai changement.

G : Niveau discrimination dans les media et industrie, je pense que ce n’est que le reflet des violences faites aux femmes, mais pas seulement qu’aux femmes. Tout être humain semblerait-il qui lutte pour la liberté, plus d’égalité et d’humanité et contre cette loi de la violence éternelle, de l’impérialisme et domination des un.es sur les autres, de la barbarie ou la loi de qui frappe le plus fort… s’expose à la violence des dominant.es. Est-ce que je me trompe? Selon moi le seul rempart c’est l’éducation, la culture au sens large. Et aussi : écoutez, lisez, goutez, regardez la création, l’art qui provient d’un regard féminin, queer, prolo, migré… Y’a l’embarras du choix !

(Re) découvrez les clips et DJ sets de Gonthier ici, et les shows et tips techniques de Lady Starlight ici. Et très bientôt, avant-première du clip The Party’s Over de Gonthier, réalisé par Stella Libert, le 24 janvier au Studio Des Variétés à Paris, en préambule de son premier EP ; puis avec Barbieturix, annonce d’une deuxième compil’ prévue pour avril sur le label Verticale. Lady Starlight quant à elle est en tournée sur le continent américain avant de revenir dans son studio berlinois où elle prépare de nouveaux sons. Et pour mes news, rendez-vous sur @YourMomsBerlin.