Jubilation cash : la musique de Carte Contact

A coups de beats imparables qui forcent à danser sur des accidents de voiture ou des énumérations de parties du corps improbables, et de textes qui nous fendent d’un rire parfois coupable, toujours cathartique, Carte Contact, Julie Roué et Angèle Chiodo, est parvenu à nos oreilles. Nous les avons rencontrées et avons parlé sincérité, second degré, et comment se trémousser sur des sentiments laids. ITW.

Qui êtes-vous, Carte Contact ?

Julie: Moi je suis musicienne et Angèle, qui est la chanteuse de Carte Contact, vient plutôt des arts visuels.

Angèle : Ouais, je fais des films et du dessin. On est deux personnes différentes : Julie a vraiment vécu tout le temps avec la musique, et moi je n’y connais rien mais la musique m’a toujours accompagnée. Mais écrire des paroles c’est raconter des histoires, ce n’est pas très différent du dessin.

Julie : Si on doit dire en deux mots ce qu’est Carte Contact, c’est de la pop garage.

Vous vous êtes rencontrées comment ?

Julie : On s’est rencontrées sur un atelier sur la musique de film. On s’est super bien entendues, on a parlé musique, de qu’est-ce que c’est la sincérité et le premier degré, le second degré, qu’est-ce que c’est qu’une musique belle, et une musique sale. Après ça j’ai travaillé sur le son et la musique des films d’Angèle. Et Carte Contact c’est un truc beaucoup plus improbable. Il y a trois ans j’ai fait la musique d’un film, “Jeune femme”, de Léonor Serraille, et à cette occasion-là je devais composer un titre qui serait un peu le reflet de la personnalité de l’héroïne. Je me disais qu’il fallait quelque chose qui gratte un peu plus que ce que je fais moi, qui est de la pop un peu gentille. Et donc j’ai proposé à Angèle de bosser avec moi sur un titre qui s’appelle « Like a dog ». On s’est bien amusées à faire ça, et puis voilà. C’est venu tout seul.

Angèle : On est vraiment complémentaires. Parce que quand tu dis que tu voulais quelque chose qui gratte un peu plus, moi je suis toujours allée vers des types de musique qui défoncent un peu les oreilles. Et quand je fais de la musique j’ai l’impression d’avoir les mains coupées vu que je ne sais pas en faire, et c’est agréable de dire quelque chose de spontané et que Julie tu puisses traduire en langage musical.

Justement, comment vous travaillez, parce que vous êtes visiblement très différentes…

Julie : Ce qui se passe souvent, c’est que je commence à faire une instru, parfois à partir d’un thème qu’Angèle a envie de faire, ou alors juste comme ça. Je lui donne l’instru brute, elle va faire quelque chose dessus qui va me paraître très très étrange. Et à partir de ça, c’est un procédé qui ressemble pas mal à du montage de film, où on va beaucoup discuter, remettre en question chaque mot, chaque note, et on va faire 15 versions du morceau jusqu’à ce qu’il y en ait une qui nous plaise. C’est vraiment du bricolage.

Angèle : On fait souvent des allers-retours, elle m’envoie l’instru, je lui renvoie du chant, on bosse ensemble, je mets des sons qui n’ont rien à voir, des bruitages… Il y a un truc assez instinctif.

Julie : Globalement je suis le retour vers l’ordre, et toi tu nous pousses vers le chaos. (rires) Il y a des trucs que tu fais qui me heurtent.

Angèle : Ouais, des fois je coupe des trucs, je fais des bruitages, c’est juste moche. Quand on a commencé à faire de la musique ensemble j’ai pris ça comme une incompétence de ma part de ne pas savoir ce que c’est qu’une note. Et maintenant j’ai repéré que j’ai le droit de faire des trucs étranges, même si je ne connais pas grand-chose.

Je trouve qu’il y a un côté hyper ludique dans vos morceaux, notamment sur le titre « Contact ». C’est aussi ludique pour l’auditeur et pour le spectateur, c’est très dansant…

(rires collectifs)

Angèle : Un des trucs qu’on préfère c’est danser.

Julie : On n’essaie pas d’avoir l’air intelligent.

Angèle : Ouais c’est clairement un défouloir.

Ça se sent et ce n’est pas un défouloir où l’auditeur s’y perd, et c’est second degré mais pas parodique.

Juie : Parce qu’au fond c’est toujours très sincère.

Angèle : Et comme on s’est rencontrées sur le sujet de la sincérité, on se disait aussi que le second degré c’était surtout un coup de coude entre amis, entre gens biens, où on est même pas obligés d’aller au fond du sujet. On s’est aussi retrouvées sur la question du risque, de dire clairement ce qu’on pense.

Julie : J’ai l’impression qu’on fait ça aussi, on prend des sentiments laids et on en fait quelque chose sur quoi on a envie de danser, c’est une forme de recyclage.

A propos des textes, j’ai été pas mal frappé par la violence qui est contenue dans certains, comme « Là-bas » ou « La ceinture de sécurité », très cru et très sexuel.

Angèle : Je trouve toujours que le monde est très violent et très agressif. Si tu restes tout seul avec la violence du monde, c’est très compliqué à gérer et t’es un peu à côté de la plaque. J’ai l’impression que la seule chose à faire avec ça c’est de le partager, d’en rire. Parfois c’est juste très premier degré, ça fait du bien, et la musique me permet à la fois d’extérioriser et de mettre en forme cette parole. Et l’avantage avec la musique c’est que tu peux avoir de l’humour, c’est très riche. J’ai pas envie d’être la personne qui dit la vie est dure, le monde c’est moche. Mais réussir à faire ça en dansant je trouve que c’est faire les choses avec un certain panache.

Il y a un côté politique à vos morceaux avec « Emmanuel Macron » et « Mélancolie des animaux ». C’était délibéré ou vous aviez juste envie de gueuler un coup ?

Julie : L’idée c’est de gueuler entre nous. On ne pense pas spécialement à délivrer un message. « Emmanuel Macron » à une époque elle avait beaucoup de paroles et maintenant il ne reste quasiment plus que « Emmanuel Macron, Emmanuel Macron… » asséné en boucle comme un slogan publicitaire.

Angèle : On a essayé d’imiter ses techniques de com’ à lui, et aussi celles des publicités pour le dentifrice. Et Mélancolie des animaux, c’est un autre type d’injonction. « les petites filles, les sacs à main, mère de famille comme sous Pétain, en oubliant que c’était moche »… ça parle de comment on enjolive le passé, pour reproduire l’espèce.

Julie : Ça pose les questions de la norme, où on se situe par rapport à la norme. Ça dit un truc de notre époque et de notre génération.


Qu’est-ce que ça fait d’être deux femmes dans le milieu de la musique, de bosser ensemble, et de faire de la production ?

Julie : Moi j’ai fait toute ma formation d’ingénieure du son dans un milieu de mecs, j’ai été entourée de gens plutôt bienveillants, mais dans un milieu où il y a très très peu de femmes et où tu es obligée d’être deux fois plus compétente pour justifier ta place. Pire encore dans la musique de film. On dirait que pour certains il faudrait un brevet de pilote pour produire de la musique. Mais la technique, ça s’apprend. Avoir des idées, par contre, c’est beaucoup plus mystérieux, et au final c’est ça qui compte. Personnellement, je ne suis pas une encyclopédie du mixage mais j’arrive à faire sonner les morceaux comme j’en ai envie et c’est tout ce qui m’intéresse. Avec Angèle, on trouve quand même beaucoup de choses par sérendipité, notamment parce qu’elle n’a pas de formation technique et n’est donc pas formatée, et c’est quelque chose que j’adore. Et je trouve qu’il n’y a pas de honte à trouver quelque chose par hasard et que ça marche.

Angèle : Étant petite j’écoutais du rap français et je me disais « une meuf peut pas faire du rap », c’est-à-dire qu’elle n’aurait rien d’important à dire, contrairement aux mecs, qui ont plein de choses à dire en freestyle. La légitimité vient pas dès le berceau. Tu mets pas le doigt exactement tout de suite sur les questions de légitimité, c’est assez vicelard comment te vient le sentiment de ne pas avoir ta place à un endroit. Quand on prépare la sono, je ne comprend rien aux câbles jacks et XLR et j’en conclus «  je suis une cruche », des termes associés à la féminité, et totalement sexistes envers moi-même. Mais ça rend plutôt combatif ces trucs-là quand tu t’en rends compte.

Julie : Et après ce qui est marrant c’est que déjà, être un groupe de deux meufs, c’est presque un acte politique. Les gens projettent tout de suite un tas de trucs sur nous alors que nous à la base on s’amuse et on parle en notre nom. Mais maintenant qu’on est sur scène à défendre notre musique on se retrouve quand même à devoir assumer ce truc-là et avoir un discours dessus.

Angèle : L’envie est un truc qui demande pas à être justifié.

A propos de sexualité, c’est pas toujours évident d’en parler et de l’assumer en tant que meufs, est-ce que c’est facile pour vous ou il y avait un peu d’appréhension, notamment sur scène ?

Julie : C’est vrai que dans Contact, par exemple, on entre dans le sujet très cash, avec des sons d’orgasme. Sur scène, on les fait avec une boîte à samples qu’Angèle a appelé le pianorgasme. Il y a un truc assez jubilatoire, en plus on démarre le concert avec ça. C’est quelque chose que j’aime particulièrement, au moins on est claires dès le début. Les gens qui me connaissent savent que je ne suis pas spécialement expansive sur le sujet. Mais bizarrement la chanson rend les mots beaucoup plus faciles. On se retrouve à chanter devant plein de gens des choses qu’on ne leur dirait jamais en face.

Angèle : La sexualité c’est aussi quelque chose qui n’appartient qu’à toi, et en même temps ça touche tout le monde, et tu peux avoir de l’humour. C’est à la jonction de plein de choses, de l’estime de toi, de ta place dans la société, qu’est-ce que tu veux renvoyer et qu’est-ce que c’est que ton désir. Via les chansons on avait envie d’en rire et en même temps d’être sincères, comme pour le reste.

Le texte est hilarant, vous énumérez des parties du corps de plus en plus improbables, le poplité…

Angèle : Elles sont pas très sensuelles en fait. Au début on s’est dit allez viens on fait une chanson de cul genre Beyoncé et on y arrive pas. Du coup on a décidé de chanter ça : « Vertèbre / Oreille… », comme une liste de courses. C’est aussi un rapport au corps qui est pas très normal, disons, vu de l’intérieur. Et je considère aussi que c’est pas évident pour tout le monde la sexualité, donc il est pas question de dire que ça va de soi. La chanson « Contact » est sexuelle, mais à la fois trop drôle et bête pour que ce soit sensuel. Et ça nous va.

Et ça vient d’où le nom Carte Contact ?

Julie : (rires) En fait Angèle croyait que c’était une expression.

Angèle : C’était le début du paiement sans contact. Et dans mon souvenir, quand les gens ont commencé à me demander si j’avais le sans contact, ils disaient « carte contact » Mais ça me faisait un truc, je trouvais ça hyper drôle et il y avait un côté un peu sensuel. Je trouve que le mot contact est pas anodin. Et le mot carte c’est pas sexy.

Julie : Et moi j’ai l’impression que dans ce nom-là il y a quelque chose de cash : voilà, on est là, si tu aimes notre contact, tu restes.

Angèle : Sinon on fait sans contact.

Julie : Et là on fait des jeux de mots de merde pendant des heures.

 

Carte Contact sera en concert à l’International le 9 avril prochain, et partagera l’affiche avec Periods et Musique Chienne. La sortie d’un EP est prévue en avril.

 

 

-Chloé

– S’indigne en musique. Fanatique de rock, de folk, de folk-rock, de post-machin et d’indie-truc. Ecrit aussi pour Sourdoreille et Hardies. Twitter : @ChiloeChloe