Asperger & Queer

Je suis Asperger et queer. Quand on ne se sent à sa place nulle part, se définir est une question de survie et de bien-être. Nous vivons dans un monde hyper normé et oppressif aux conventions sociales illogiques. Alors quand vous dites « je n’aime pas mettre les personnes dans des cases » vous empêchez celleux qui ne sont pas comme vous d’exister. J’ai passé 41 ans à me sur-adapter et penser que j’étais une extra-terrestre. Le 7 Octobre 2019, j’ai été diagnostiquée avec un TSA (Trouble du Spectre de l’Autisme). Un nouveau monde s’ouvre à moi avec une meilleure compréhension. La société doit changer et permettre l’existence sereine de toutes les différences, visibles ou invisibles.

L’autisme n’est pas une maladie mais une manière différente d’être. Certains autistes ne parlent pas, d’autres oui. Les non-verbaux entrent dans la catégorie des déficient.e.s intellectuel.le.s parce qu’iels ne parlent pas. Ne pas parler veut-il dire être stupide ? Une société malade, qui ne repose que sur l’inégalité et l’hyper normalisation absurde est-elle vraiment légitime pour décider de la normalité ? Qu’est-ce que la norme ? La norme (norma en latin) est la règle, la loi, le modèle. Son sens premier vient de l’équerre avec laquelle le géomètre effectuait ses mesures dans la Grèce Antique. La norme est-elle pour autant juste ? Elle dépend du système de mesure dont elle découle et je considère que c’est notre société et ses normes qui sont malades, pas moi ou mes différences.  Je trouve que c’est un excellent signe de santé mentale que de ne pas être approprié.e à ce monde.

Robin Eisenberg

Je ne souffre pas de l’autisme mais du monde dans lequel j’évolue. Ce n’est pas parce que les neurotypiques ont une meilleure compréhension (ou plutôt acceptation) et reproduction des normes sociales qu’iels sont plus heureux. Dès mon plus jeune âge, j’ai ressenti ma différence sans pouvoir la nommer clairement. Si bien que je pensais avoir été adoptée ou être une extra-terrestre. J’ai subi des moqueries, une mise à l’écart, du harcèlement. Une de mes plus grandes difficultés est de comprendre les intentions et de lire les émotions des autres. On ne peut pas se défendre lorsque l’on ne sait pas que l’on est attaqué.e. Jusqu’à ce que je sois diagnostiquée je n’avais pas conscience de mes limites et de mes difficultés. Je savais que j’avais une grande gêne dans les interactions sociales sans comprendre exactement pourquoi. Il se  trouve que j’ai pris du poids dès mes 6 ans  pendant le CP, année particulièrement douloureuse. L’institutrice se moquait de moi continuellement et je n’ai pas réussi à apprendre à lire correctement. J’ai développé une grande anxiété, ce qui a contribué à ma prise de poids. Je pensais que mon manque d’assurance sociale était dû à la non confiance en moi engendrée par ma prise de poids (merci la grossophobie). A cette période j’ai aussi manifesté mon attirance pour une autre fille et j’ai intégré que c’était « mal ». Forcément, comme je ne fais jamais les choses à moitié, je suis aspie, grosse et queer.

En raison de leur capacité à mieux camoufler leurs différences, les femmes sont plus difficiles à diagnostiquer. En fait cela s’applique à toutes les personnes qui ne sont pas des mecs cis. J’ai un grand sens de l’observation et j’ai passé mon temps à regarder comment faisaient les autres. Ajoutez à cela un intérêt spécifique pour la littérature et le cinéma et vous obtenez une parfaite aspie invisible. Enfin, mes bizarreries subsistaient mais on mettait plutôt cela sur le compte de l’humour.

On me pense certainement plutôt sociable et cela est vrai parce que j’ai adopté des stratégies de survie en terre neurotypique et que j’aime communiquer. Je suis sociable quand les choses m’intéressent et sont en rapport avec mes passions. J’ai tendance même à monopoliser la parole, couper les autres et comme je ne parviens pas à regarder les gens dans les yeux ni à décoder le non verbal, je ne me rends pas compte lorsque j’agace ou quand l’autre veut changer de sujet. Pendant les tests du diagnostic j’ai enfin mesuré à quel point les situations interpersonnelles me dépassent et je comprends mieux à présent ce qu’il se passe en moi. J’apprends à être plus indulgente envers moi-même et à moins culpabiliser.

illustration d’Elise Gravel.
Pour en savoir plus sur l’autisme

Les aspergers ont tendance à tout prendre littéralement et à beaucoup fonctionner par image, ne pas identifier les sarcasmes du moins c’est mon cas. Je pensais que mon amour du cinéma me permettait de mieux comprendre le monde et c’est vrai en un sens, mais dès que je suis impliquée dans une interaction les choses se compliquent. Je vous laisse imaginer tout ce qui concerne la séduction, les relations amoureuses. Non seulement je ne détecte pas les signaux des autres mais j’en renvoie de mauvais. En gros, tant qu’on ne me saute pas dessus, je ne comprends pas que je plais à l’autre, ce qui est assez cocasse.

Mais je considère mes différences comme une grande force. Je vois toujours le bon chez les autres et même si cela peut me faire souffrir parce qu’iels ne réagissent pas toujours ainsi, je considère cela comme une chance. On pense souvent que les autistes n’ont pas d’émotions et c’est faux. Ce n’est pas parce que nous les exprimons différemment qu’elles ne sont pas présentes. Mon empathie est au-dessus de la moyenne et je pense que les autistes ressentent les émotions plus intensément que les autres et de manière plus rapide. Je sais que je ressens l’émotion et qu’elle s’exprime souvent par les larmes avant de tout conscientiser et tout cela me submerge.

J’ai un grand sens de la justice et de l’éthique. Aussi il m’est inconcevable d’agir en opposition avec mon idée du juste. Cela me vaut une grande incompréhension des autres et on m’a souvent dit que j’étais « trop entière ». Si la société et ses règles agissaient avec ce souci de justice peut-être y aurait-il justement moins d’injustices. Ce que j’aime par-dessus tout c’est comprendre et apprendre. C’est un atout, surtout dans les relations humaines. Et je pense avoir une intuition très développée. Comprendre ou, du moins, essayer de comprendre les autres est la condition première du respect et de l’harmonie relationnelle. Toutes ces différences me constituent et j’en suis fière.

Si je n’avais pas été féministe et queer, peut-être n’aurais-je jamais pu mettre le doigt sur mon autisme. Grâce à Wittig, j’ai pu m’accepter en tant que queer et avoir un regard neuf et une meilleure compréhension de la société. Lorsqu’on est diagnostiqué.e TSA la question se pose de le dire ou pas. Le même cheminement qu’une personne LGBTQI+. Une étude menée à l’université du Massachusetts à Boston montre que 92% des participant.e.s autistes s’identifient comme non hétérosexuel contre 72% de non autistes. Les femmes autistes ont plus  tendance à remettre en cause le genre également. Cette étude a également établi la co-occurence des TSA chez les personnes ayant une dysphorie de genre. Tout comme la pride, il y a une autistic pride initiée par Aspies for freedom qui a lieu le 18 juin depuis 2005.

Je pense qu’il est important d’avoir une approche féministe et queer concernant l’autisme parce que beaucoup voire même la majorité des études ou discours est gangrenée par le patriarcat (qu’est-ce qui ne l’est pas me diriez-vous). L’autisme doit être dépatriarcalisé. Le terme autisme a été inventé en 1911 par Eugen Bleuler pour désigner le retrait de la communication interpersonnelle chez l’adulte schizophrène. Le mot autisme est une contraction d’auto érotisme, Bleuler considérait qu’il n’y avait pas d’Eros chez ces personnes (autoerotisme). Autisme et Schizophrénie sont souvent confondus, même aujourd’hui, de mauvais diagnostics sont posés, ou sont aléatoires, avec une errance de diagnostic (thèse de julien Katz )

La conception de l’autisme a certes évolué mais elle garde les stigmates des pères fondateurs tels que Bleurler, Kanner et Bettellheim. Ces deux derniers, voulant à tout prix trouver la cause de l’autisme, ont culpabilisé les parents, enfin les mères évidemment !  Comme avec la théorie des mères réfrigérateurs avec l’idée que les mères seraient responsables du trouble chez l’enfant parce qu’il y aurait une défaillance de chaleur affective ou une trop forte présence de la mère. On assiste ces dernières années, avec Autism Speaks, à la prise de paroles de parents et cela donne un discours erroné, se concentrant sur leur souffrance et désirs. C’est une association eugéniste, validiste, sexiste, raciste (ici) qui malheureusement a une assez grande notoriété et contribue aux préjugés liés à l’autisme.

PROJET DOCUMENTAIRE & APPEL A TEMOIGNAGES

J’ai donc passé 41 années en errance de diagnostic à m’épuiser en me sur-adaptant . Même si on en parle davantage, l’autisme reste un sujet mal connu et surtout mal exposé. J’aimerais qu’il n’y ait plus de personnes qui attendent aussi longtemps avant de pouvoir mettre un mot sur ce qu’iels ressentent. J’aimerais que les préjugés sur l’autisme disparaissent et que la société s’adapte et nous inclue.
Je considère être privilégiée et je ne remercierai jamais assez ma mère d’avoir été aussi aimante, présente et attentive. Le corps médical a toujours remis en doute ou sous-estimé ses remarques et inquiétudes. C’est pourquoi j’entreprends de faire un documentaire sur l’autisme sans mecs cis. L’autisme est toujours abordé sous l’angle masculin et les tests sont clairement orientés dans ce sens. Il est alors important de faire un documentaire sous un angle féministe et queer, qui permette de montrer notre diversité et richesse. Il y a autant de formes d’autisme que de personnes autistes.

Si vous êtes auto-diagnostiqué.e ou diagnostiqué.e et que vous n’êtes pas un mec cis, vous pouvez me contacter. Si vous ne voulez pas apparaître dans le documentaire vous pouvez y participer d’un point de vue technique, artistique, etc. Je n’ai pas encore de financement mais j’aimerais autant que possible laisser la parole à des personnes qui ne soient pas exclusivement sur Paris. Mon approche est féministe et queer et toutes orientations sexuelles sont les bienvenues.

Pour suivre le docu et prendre contact ici

Mail : autistequeerledocu@gmail.com

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Pour aller plus loin

T’as pas l’air autiste

Tribulations d’une aspergirl

Clé autistes

France Culture : Journal d’aspergirl

TSA sans bulle

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Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.