Le parti-pris de la discrétion

Il existe une vieille expression qui dit « pour vivre heureux, vivons cachés. » Et alors qu’il est difficile aujourd’hui de s’imaginer vivre dans une grotte au fin fond d’un monde où la nature a tous les droits, on pourrait plus facilement nuancer l’expression : « pour vivre heureux, vivons discrets. »

La discrétion n’est plus à la mode. Avec les réseaux sociaux, notamment, tout se dit, tout se sait. Mais surtout, tout se revendique comme pouvant/devant être dit et su. C’est une tyrannie de l’information sans cesse remise à jour. Dévoiler sa vie privée est devenu un gage de confiance, et pire : un gage de politesse. Rassurer les autres, rendre des comptes, appartenir à un groupe ou une communauté : toutes les excuses sont recevables pour dévoiler sa vie privée ou soutirer des informations sur celle des autres. Le plaisir et l’intérêt bienveillant sont des excuses rarement citées dans ce cas précis.

A l’heure où les maîtres-mots de la reconnaissance sociale sont « revendication », « exposition », voire « provocation », la discrétion a du mal à être admise pour ses vertus. Celui qui est discret sur sa vie est mystérieux, crypté, on s’en méfie vite, loin de s’en désintéresser pourtant. C’est là que s’engouffrent généralement la haine et le rejet, d’ailleurs. Néanmoins, les principes et avantages de la discrétion peuvent être repensés et adoptés selon leur juste mérite.

La discrétion est avant tout une philosophie sur le long-terme. Il faut accepter que tout n’aille pas toujours aussi vite que dans nos ordinateurs. La vie prend son temps. Et être discret, c’est être serein vis-à-vis de ce temps. Car être discret n’oblige à rien, ni à dire, ni à savoir dans la précipitation. La discrétion est simplement observatrice.

Aussi, la discrétion prend une autre saveur, une autre grandeur, quand il s’agit de vivre une vie originale, marginale, différente des standards sociaux proposés en masse. Le coming-out, la marche des fiertés, autant de réactions mises en place, comme des mécaniques de défense face à l’adversité, et qui sont les symboles d’une discrétion perdue, presque rejetée. Rejetée bien malgré elle. Une femme qui aime une femme, par exemple, peut-elle encore ne pas faire de coming-out ? Une femme qui aime une femme peut-elle être légitime dans sa vie sentimentale en restant discrète et évasive ? Et si oui, ne peut-on pas envisager la discrétion comme une forme de fierté non-revendicative ?

La revendication est plus tournée vers les autres que vers soi-même. Si on part du postulat qu’on n’a aucun compte à rendre sur rien, et qu’il faut faire preuve d’indifférence face à la masse informe des « autres », alors la revendication n’a plus lieu d’être. Le monde n’aurait plus besoin de dire ou de montrer pour être. Et dans notre cas précis, le coming-out deviendrait presque anecdotique, voire caduque. La discrétion consentie et entendue au sein d’un couple permettrait aussi de limiter ce que les malintentionnés prennent pour de la provocation, et de limiter les violences qui en découlent. Parce que, dans la soumission aux regards des autres, une différence devient vite une exubérance.

Or, pour ma part, je ne me sens ni différente, ni exubérante. Je suis simplement amoureuse d’une fille. Ce sont les autres qui rendent cet amour anormal, et les autres, je m’en tape. Je ne chercherais pas non plus à les changer, puisqu’ils m’indiffèrent, et notre discrétion choisie permet d’épanouir pleinement cet amour qui a le mérite d’être.

Enfin, la discrétion, dans sa plus belle évolution, permet de redonner confiance en les autres. Confiance en leur bon sens, en leur capacité d’observation et de respect. Mais, comme je l’ai dit, c’est une évolution, ce n’est pas pour tout de suite…

Et comme le dit Pierre Zaoui dans son essai « La discrétion » : « Dans une société qui valorise le paraitre et les confessions à grand spectacle, la discrétion est une forme heureuse et nécessaire de résistance. (…) Loin de la dissimulation, du calcul prudent, ou de la peur d’être vu, l’âme discrète offre juste une présence au monde. »

La discrétion, en somme, c’est traverser la foule en marchant fièrement, sans courir ni reculer, sans frôler personne, les yeux rivés sur qui nous anime. C’est refuser de se soumettre à la curiosité malsaine.

 

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Hisis Lagonelle

Prof en phobie scolaire, lectrice monomaniaque, Hisis collectionne les Moleskine et s'amuse à imiter Marguerite Duras.