Les butchs sont-elles en voie de disparition ?

Je ne crois pas être la seule à entendre parler de la « disparition des butchs », cette rumeur qui frémit dans les arrières-cours des bars, entre deux parties de billards, aux réunions associatives. Les femmes qui s’identifient comme butchs seraient-elles moins nombreuses qu’auparavant ?

Je ne peux pas l’affirmer catégoriquement, mais c’est une impression que je ne suis pas seule à partager. A défaut d’enquête IPSOS, ou de sondage téléphonique, c’est vers mon entourage que je me suis tournée. Leur réponse est sans appel. On voit moins de butchs dans la rue et en soirée. Quelles sont les raisons de cette disparition ?

Hypothèse N°1 : Il est plus facile aujourd’hui d’effectuer une transition FtoM

L’une des raisons que l’on donne fréquemment est qu’il est aujourd’hui plus facile, à la fois socialement et économiquement, d’accéder à une transition. C’est pourquoi un grand nombre de butchs qui auraient voulu transitionner plus jeunes le font aujourd’hui. La transition étant moins stigmatisée, si l’on sent que l’on est un homme, on a plus à se cacher dans le placard de l’identité butch, sous prétexte qu’elle est plus acceptable. De plus en plus de personnes trans accèdent donc à l’identité à laquelle elle s’identifient (youpi). Pour autant, toutes les butchs ne sont pas des trans en devenir, et cette hypothèse, toute réjouissante qu’elle puisse être, ne saurait expliquer le phénomène dans sa globalité.

Hypothèse N°2 : La communauté lesbienne s’affranchit de la binarité butch/fem

La seconde hypothèse voudrait que l’éventail des identités alternatives se soit agrandit, notamment avec la vulgarisation de la pensée queer, et ait conduit à une redéfinition des genres. « Les meufs de ma génération n’avaient pas de ‘role model’ et comme à l’époque les choses étaient binaires, si tu n’allais pas vers une féminité de magazine, il te restait les vestons et les baskets, bref, il fallait s’inventer. Aujourd’hui, tu as plus de références (surtout anglo-saxonnes, culture dans laquelle les identités alternatives se sont crées pour retourner l’insulte, être fière, etc.) pour te créer une identité composite. Les codes de « reconnaissance » peuvent-être plus subtils, limitant les risques dans l’espace public. » me confie Sophie, la quarantaine. Aujourd’hui, on peut être « genderqueer », « fluide », « tomboy », « andro » ou que sais-je encore. Le spectre des identités ne se limite plus à « fem » ou « butch » et on peut voir de jeunes lesbiennes revêtir une apparence qui tient davantage du stéréotype gay que du mâle hétéro. Bref, le djendeur c’est tendance, Beyoncé est féministe, Cara Delevingne est bie, tu peux être qui tu veux (du moins en principe) rendant caduque l’identification à l’identité butch, considérée inextensible.

Hypothèse N°3 : L’identité butch est perçue négativement

Ce qui m’amène à la troisième hypothèse ; l’étiquette butch comme stigmate d’une identité revendicatrice. Pour beaucoup de femmes, être butch, c’est être « old school ». Synonyme de ringardise vestimentaire, caricature de la gouine camionneuse, être butch c’est aussi être la cible privilégiée des attaques homophobes. Dans les médias ou au cinéma, la butch est souvent agressive, revendicatrice, forte en gueule. Des qualités tout sauf « féminines ». Faut-il croire qu’à force de voir les butchs à travers le prisme d’une lesbophobie médiatisée, les jeunes lesbiennes se soient détournées de ce modèle ? Pire, aient intériorisé cette lesbophobie ? Je pense aussi que les hectolitres de haine déversés pendant les débats sur le mariage pour tous ont participé activement à refermer la porte du placard, poussant certaines butchs, soit à se cacher, soit à effacer des traces trop visibles de leur « déviance ».

Je ne sais pas comment la jeune génération de lesbiennes vit son homosexualité. A-t-elle le sentiment d’être intégrée ? Se sent-elle au contraire pathologisée ? Les débats sur le mariage pour tous ont à la fois permis l’institutionnalisation des couples LGBT (et donc leur intégration), et stigmatisé comme jamais leur différence. Sans vouloir tomber dans la sociologie de comptoir, cette l’intégration des LGBT à la société ne peut se faire sans un certain « lissage » des aspérités identitaires. La butch, c’est la mauvaise gouine, celle qui ne fait pas d’effort, celle qui assume sa différence, celle qui n’a pas honte. En s’intégrant, malgré l’opprobre médiatique incessante, la communauté adopte les codes normatifs d’une société qui exclue les follasses et les butchs…

Et si, au fond, la plus grande acceptation des transidentités, l’effacement de la binarité « butch/fem », la ringardisation de l’identité butch n’étaient que les symptômes d’un mouvement de dissolution des sous-cultures gays et lesbiennes ? Va-t-on vers une forme de normalisation pour tous ?

Et vous, que pensez-vous de la disparition des butchs ?

photos : Meg Allen

A lire : http://www.butchwonders.com/blog/are-butches-disappearing

Lubna

Grande rêveuse devant l'éternel, Lubna aime les livres, les jeux de mots et les nichoirs en forme de ponts. Elle écrit sur l'art, avec un petit a : bd, illustration, photo, peinture sur soie. Twitter : @Lubna_Lubitsch