Soumission dans le porno : entre jouissance et limites

« Je ne regarde pratiquement que du porno hétéro mainstream, des films à des années lumières de mes valeurs féministes. Il m’est arrivé de culpabiliser, parce que je suis lesbienne et parce que je suis féministe. » Judith.

Le porno hétéro mainstream est souvent mal fait, très amateur : il commence par une bite, se termine par l’éjaculation d’une bite. On entend la nana crier, on sait à peine si elle prend vraiment son pied. Sur Youporn & cie, plein de catégories nous permettent de voir la nana soumise : que ce soit un gang bang dans un bar, un « gropping *» dans un bus public ou dans un parking. Bien sûr, il y a une multitude d’autres catégories mais ce qui nous intéresse aujourd’hui ce sont les rapports de domination dans le porno que l’on regarde et qui bien souvent, nous font bander.

Les scénarios varient peu, outre l’histoire du/des mecs qui prennent de force une nana, du mec qui force gentiment sa copine, du mec qui profite de la nana qui passe un casting, difficile de trouver des séquences scénarisées, originales ou tout simplement… respectueuses des femmes. On se demande alors pourquoi on regarde ça, pourquoi ces pornos rabaissants nous excitent alors que dans la vie réelle, ça nous ferait vomir.

« Les scènes qui m’émoustillent le plus sont souvent des scènes que je jugerais totalement différentes de mes valeurs féministes. Ca me ferait carrément douter de mon féminisme parfois. En gros, j’aime beaucoup quand les filles sont très soumises. Je me suis même mise à regarder des tumblr de type « dom » ou « sm soft » et ça me plait beaucoup. J’adore quand le mec a l’air assez pervers et que la fille est par exemple plaquée sur une table, les fesses en l’air, et que le mec l’inspecte en faisant des commentaires salaces » confie Manon.   

« Clairement, ce qui me fait bander, ce sont les scènes d’humiliation : une nana dans un gang bang, violée, ou alors une nana attachée par une laisse dans la rue. Le type la promène, elle a le cul à l’air, il la baise parfois et invite des mecs à faire de même, en public. Ce que je préfère, c’est un scénario basique mais qui fait son effet : la nana entre dans son appart, des voleurs ou même un plombier entre dans son appart et ce qui est particulièrement excitant c’est ce moment où elle découvre qu’il y a des mecs derrière elle, qu’elle se débat jusqu’à ce qu’ils la prennent de force. Finalement, le coït en soi, je m’en fous, c’est tout ce truc de soumission, tout ce truc qui a lieu avant, d’humiliation, qui m’excite. Pourtant, dans la vie réelle, l’humiliation morale, j’en ai souffert, ça me bouleverse vraiment, mais sexuellement, ou dans un porno, ça m’excite. Je tire une sorte de jouissance sexuelle infinie de ce retournement parce que finalement, je jouis moi-même de cette humiliation à laquelle je m’identifie. C’est hyper libérateur. C’est comme si je prenais ma revanche » explique Judith.

 « Je m’excite en matant des scènes de soumission bdsm. Là, par contre, ça ne me dérange pas que ce soit des meufs qui dominent, ça m’excite d’ailleurs plus quand ça l’est… Je m’imagine à la place de la personne soumise, les insultes, les baillons, la soumission. » ajoute Daphné. 

L’humiliation est une émotion négative, c’est généralement une marque de manque de respect, une marque de mépris. Soumettre une personne, c’est nier son consentement. On est souvent soumis dans notre société, souvent humiliés, moralement, sexuellement aussi. Quand on enfant, ado, adulte, on ne maitrise pas les jugements qu’ont les autres sur nous, on nous oblige sans cesse à obéir. Nos propres expériences d’humiliation et de soumission sont négatives. Et, finalement, les seuls moments où l’on peut choisir de se sentir humiliée, où l’on peut tirer une jouissance à une soumission choisie, c’est dans le cul. Que ce soit dans le porno ou dans le cadre d’un jeu sexuel. Combien de fois ai-je moi-même mouillé ma culotte dans la perspective d’être soumise à quelqu’une dans le cadre d’une relation sexuelle ? La jouissance tirée d’une émotion, d’une pratique qui, en général, nous fait du mal peut être mille fois supérieure à une jouissance tirée d’un truc qui fait généralement du bien. Retourner une émotion négative en émotion positive, cela peut être très puissant, et aussi jouissif que l’orgasme lui-même.

Bien entendu, ce genre de porno peut avoir ses limites, quand on sent que ça a l’air trop réel pour que la nana soit vraiment en contrôle, qu’elle le veuille vraiment, ou quand on a l’impression qu’elle ne prend pas son pied :

« La seule limite de mon plaisir se trouve là où l’on commence à voir que la fille souffre, qu’elle est giflée ou qu’on ne la sent pas à l’aise. J’aime quand les femmes, bien que soumises, ont l’air fort, de prendre leur pied, savent ce qu’elles veulent etc. » finit de nous confier Manon.

« Dans le porno, paradoxalement, c’est tout ce qui peut me mettre hors de moi dans la vraie vie, qui me plaît, je pense que c’est l’espace qui me sert de seuil de décompression. J’ai couché avec une nana qui adoptait tous les codes du porno, ça m’avait bloquée plus qu’excitée donc c’est plus la mise en scène de fantasmes que la réalisation qui me plait. » nous avoue Anna.

« Clairement, je n’ai pas envie d’être violée et la domination des femmes par les hommes ou même par d’autres femmes, ça me révolte. Je crois que dans le cadre d’un porno, ma limite, c’est quand je vois que ce n’est pas pour de faux. Hélas, ça peut arriver, et dans ce cas là, je quitte toutes la pages pornos, je ferme mon ordi et je me sens super mal, je culpabilise. Je me dis alors que si c’est la soumission qui m’excite, c’est parce qu’on impose ce type d’imaginaire sexuel aux femmes, parce qu’on est conditionnées à ça. » termine Judith.

Ce qui nous fait bander n’est pas seulement le produit de nos instincts sexuels les plus forts, c’est aussi le produit d’une construction sociale. Nous avons intériorisé ces fantasmes de soumission. Une partie de notre imaginaire sexuel nous a été imposé et il n’est pas diversifié, il n’a pas été fait pour que nous les femmes, nous jouissions, il est là pour que nous nous soumettions, pour que nous pensons que si un mec nous viole, c’est parce qu’il nous désire trop, pas parce que le consentement, on en a que faire dans une société de culture du viol.

J’ai en tête les paroles d’une amie du lycée qui m’avait un jour affirmé que c’était flatteur qu’un mec nous viole, parce que cela voulait dire qu’on lui plaisait tellement qu’il ne pouvait pas se retenir. Je me souviens avoir été horrifiée sans vraiment comprendre pourquoi. Nous avons grandi dans l’idée que le désir des hommes se mesure à leur incapacité à se retenir devant nous, nous avons intériorisé le fait que la valeur de notre personne, de qui nous sommes, se mesure au désir d’un mec, de nous baiser. Un mec qui te viole est un mec qui te veut, ce qui fait de toi une bonnasse.

Malgré ça, nos fantasmes sont encore imprégnés de tout ça, nos inconscients ont besoin d’une diversité d’imaginaires sexuels mais aussi de déculpabilisation. Si ce qui m’excite, dans le porno ou dans le cul c’est d’être soumise et que je me sens puissante ainsi, pourquoi devrais-je en culpabiliser ? Le tord de certaines féministes c’est de faire le procès à d’autres d’être soi-disant collaboratrices d’un système patriarcal, ou de ne pas être assez subversives. Je ne cherche pas à être subversive quand je me branle, je cherche à me détendre, à prendre mon pied.

Sarah

Illustration de couverture: ici

Photo d’article: Kristen Stewart par ELLE Magazine


Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.