Je me revois encore, il y a deux ans, attendre le 26 avril avec impatience. C’était l’une de ces journées qui figurent dans le calendrier du community manager consciencieux, et j’avais manigancé avec la mienne pour être certaine de l’utiliser à bon escient. C’était la meilleure des excuses à servir à ma cheffe pour mettre en avant les histoires lesbiennes que j’avais pu publier en tant qu’éditrice, et pour donner de la visibilité aux saphiques de talent qui les avait écrites. Mais ce n’est que plus tard que j’ai enfin réfléchi à ce qu’était réellement cette « Journée internationale de la visibilité lesbienne ». Et j’ai compris alors que ça n’avait rien d’une excuse.
De « Lesbienne visibles l’une à l’autre » à « Nommer pour exister »
La journée internationale de la visibilité lesbienne que nous connaissons aujourd’hui trouve ses racines au Québec, lorsqu’en mai 1981 une conférence des lesbiennes a lieu à Vancouver. Organisée par la LOOT (Lesbian Organization of Toronto), elle donne lieu à des résolutions qui sont à l’origine de la « JVL », comme elle est parfois abrégée. En premier lieu, le 27 mars 1982 est choisi pour mener une journée d’action et de sensibilisation, pour être visible en tant que lesbienne dans la société. À cette occasion, des lesbiennes se rencontrent à Vancouver, Calgary, Toronto, où encore Montréal où près de 250 lesbiennes participent à des Ateliers d’éducation populaire pour discuter de lesbianisme et de visibilité. Et ce thème de la visibilité a marqué les esprits à ce moment-là, car elles décident en plénière d’y dédier une nouvelle journée de rencontre, le premier samedi d’octobre. Tout se met en place à partir du mois de mai, et cette journée, baptisée « Lesbiennes visibles l’une à l’autre » se veut une véritable « journée de visibilité, de partage, d’échange, de plaisir… » comme elles le décrivent dans le cahier de programmation qui la présente (disponible en ligne dans un lien à la fin de l’article, et à retrouver sur le site du Réseau des Lesbiennes du Québec). Un moment dans l’année pour que celles qui partagent l’amour des femmes puissent se regrouper, échanger et mettre sur pied des projets. La journée se déroule au Y. des femmes, avec des ateliers au deuxième et quatrième étages, ou encore une garderie et une cafétéria que l’on retrouve au sous-sol. Les ateliers sont variés, avec des thématiques comme « lesbiennes et santé », « lesbiennes et affaires légales », ou même de l’astrologie, du sport et du coming out. S’ajoutent aux ateliers un souper communautaire, une projection d’une vidéo du média Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui, une « foire de visibilité » avec des exposantes et des espaces de rencontres, une plénière, mais aussi un temps de danse et de spectacle qui n’a rien à envier à nos DJ sets actuels. Tout le programme est détaillé dans le cahier de programmation, et j’en conseille la lecture car, s’il est une archive importante de l’histoire lesbienne, il regorge surtout de détails particulièrement savoureux, comme les pictos pour reconnaître les autres lesbiennes, le coupon d’abonnement pour la revue d’Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui, la mention de l’exposante Myriam qui vend des vulves de porcelaine sur la foire, ou ce passage qui pourrait me faire aimer les voyages en métro :
« J’AIME LE METRO…
Des lesbiennes ont suggéré de mettre un peu d’imprévu dans nos ballades en métro: elles invitent toutes les lesbiennes à monter dans le deuxième wagon à partir de la tête du train, par la porte d’en avant si possible… Plus nous serons nombreuses à le faire, plus nous aurons la chance de faire d’agréables rencontres… » (page 3).
Cette « journée des lesbiennes » est ensuite reconduite sur plusieurs années et le concept est repris par des lesbiennes d’autres pays, si bien qu’une journée internationale de la visibilité lesbienne est finalement arrêtée, le 26 avril, même si de nombreux pays la célèbrent à une autre date. Au Québec, là où tout a commencé, elle fête ses 41 ans cette année avec cette fois une campagne autour du thème « Nommer pour exister » pour « corriger la discrimination historique dont ont été victimes les femmes lesbiennes, bisexuelles et queer et réécrire l’histoire à partir de leurs points de vue[1] ».
« En avril, ne te découvre pas d’un fil »… ou alors si, justement ?
En France, cette journée est aussi célébrée le 26 avril. Mais, avec les différentes initiatives qui fleurissent ça et là, on pourrait même parler de « semaine de la visibilité lesbienne ». On peut évoquer les différentes marches lesbiennes ayant eu lieu depuis avril 2021, avec pour l’année 2023 une marche à Lyon le 22 avril, à Paris le 23 avril ou encore à Strasbourg le 29 avril. Mais aussi d’autres événements comme des table-rondes (celle avec Marie Kirschen, Amicalement Gouine et Ilaria Todde le 26 avril à Strasbourg, par exemple), des expositions (« Constellations brisées, Ravensbrück », du collectif Queer code, proposée par Bagdam espace lesbien dans le cadre du Printemps lesbien 2023. Vernissage le 25 avril, à 19h) ou encore des festivals entiers, comme la toute première édition du Festival Les Dramagouines, les 29 et 30 avril à Paris, dont le programme autour des visibilités lesbiennes me rappelle celui de la première JVL au Québec en 1982. Certains de ces événements sont par ailleurs soutenus par les villes, comme c’est le cas par exemple de l’enregistrement de l’émission radio de Gouinement Lundi autour du thème des « Lesbiennes dans la ville », à l’Auditorium de l’Hôtel de Ville de Paris, entre 16h et 17h le 26 avril, dont j’ai choisi de vous parler un moment, parce qu’elle sera à disposition de toustes une fois enregistrée et que je pense à celleux qui n’ont pas la chance de pouvoir se rendre en ville pour profiter de tout ce qui peut se faire en ce beau mois d’avril !
« Se tenir la main dans la rue ne devrait pas être un acte de courage »
Je retrouve Gaëlle de Gouinement Lundi sur un banc du 14ème arrondissement pendant ma pause déjeuner. Je l’ai rencontrée dans le cadre de l’émission à venir, puisqu’elle m’a interviewée avec quelques copines pour un reportage de qualité que vous aurez le plaisir d’y découvrir. Alors qu’on se revoit, j’en profite pour en savoir plus sur ce qu’elles ont à nous proposer pour cette émission un peu spéciale. Elle me raconte que ce n’est pas la première fois que Gouinement Lundi (« votre phare dans la nuit », pour celleux à qui ça parle !) enregistre une émission en public. Mais, cette fois, c’est la Mairie de Paris qui le leur a proposé. Et c’est ce qui a orienté les lesbiennes de Gouinement Lundi dans le choix de leur thématique : Les lesbiennes dans la ville. Une thématique d’autant plus pertinente qu’il s’agit du sujet de thèse de Sarah Jean-Jacques, chercheuse en sociologie et géographie sociale, fondatrice de l’Observatoire de la lesbophobie, et surtout l’une des invitées de cette émission du 26 avril, aux côtés du collectif Assemblée féministe Paris-Banlieue. Je ne peux pas dévoiler l’intégralité du programme (j’ai promis de garder le suspens !), mais vous y trouverez des questions telles que les enjeux et modalités de la visibilité et de l’invisibilité des lesbiennes dans l’espace public, les discriminations lesbophobes, ce que c’est que de s’approprier l’espace public et de s’y épanouir en tant que lesbienne, les actions dans les rues, la nuit… suivies bien entendu d’un temps de questions avec le public et entrecoupées des chroniques qui font le charme de Gouinement Lundi. À écouter absolument !
Ode à celles que l’on voit
Je ne voulais pas terminer cet article sur la journée de la visibilité lesbienne sans m’arrêter sur ce terme de « visibilité » qui revient comme un refrain. Et qui m’animait quand je voulais faire découvrir des histoires lesbiennes à des lectrices, le 26 avril 2021. On parle si souvent de l’importance de la visibilité lesbienne dans les livres, séries ou les films. Et, bien sûr, elles sont particulièrement nécessaires, ces gouines-là. Elles nous ont permis de désirer, d’éprouver et de nous découvrir à travers elles. Là une peintre en robe rouge qui regarde son modèle fixement. Là une blonde à fourrure qui sur un comptoir a oublié ses gants. Ou même une autre qui a préféré sur l’autel abandonner sa fiancée pareillement. Il y a de la liberté et du courage dans ces fictions. Toutefois, ce ne sont pas elles que je souhaiterais mettre à l’honneur pour conclure. Mais bien ces lesbiennes de la vraie vie, dont le courage ne disparaît pas quand on referme le livre ou que les crédits défilent. Ces gouines bien réelles qui osent être visibles malgré les risques qui font qu’encore aujourd’hui on a besoin d’une journée de la visibilité lesbienne pour en parler. Merci à celles qui embrassent leur copine dans la rue ou qui leur déclarent leur amour en recevant un César. Merci à celles qui se tiennent la main quand elles se baladent ou qui suspendent des drapeaux lesbiens dans leur chambre d’ado puis leur appartement d’adulte. Et merci à celles qui sont reconnues comme gouines sans même faire tout ça, juste parce que c’est « marqué sur leur tronche », comme certains diraient. Un merci plus particulier à la première lesbienne de ce type que j’ai jamais croisée. Ma prof de math de 6ème, dans mon petit collège de campagne, dont les parents d’élèves chuchotaient avec un air suspicieux qu’elle « vivait avec une femme », alors que je ne savais pas ce qu’ils entendaient par-là. À l’époque, mon seul répère, c’était I kissed a girl, et c’est cette lesbienne qui m’a permis de me rendre compte qu’on pouvait aimer embrasser les filles sans ressembler à Katy Perry, et qu’on n’avait pas à s’excuser le moins du monde pour ça.
À elle, aux autres, merci d’avoir été visibles pour que nous puissions nous voir pour la première fois.
Sources à consulter :https://rlq-qln.ca/ligne-du-temps-jvl/
https://www.visibilitelesbienne.ca/
https://nondiscrimination.toulouse.fr/journee-internationale-de-la-visibilite-lesbienne
https://www.paris.fr/evenements/journee-internationale-de-la-visibilite-lesbienne-35211
[1] Page d’accueil du site de la JVL du Canada