Le Queer Ranch Festival à Lesbos, un festival pas comme les autres

Le Queer Ranch Festival, qui aura lieu du 22 au 27 mai 2023 à Lesbos, en Grèce, possède la meilleure punchline possible : « si vous n’aimez pas les gens heureux, l’esprit rave des années 90, les bières pas chères, les paysages superbes, la plage, de la super bouffe et des bébés chèvres, ne venez pas ». Anaïs et Audrey, qui font partie du collectif à l’origine de cet événement, ont accepté de répondre à nos questions à la veille de la deuxième édition et de la soirée de soutien, le 31 mars à la Folie !

Comment est né le Queer Ranch Festival ?

Anaïs : C’est la conjonction de plusieurs envies qui se sont rencontrées à un moment donné. Nous sommes cinq à organiser ce festival : trois habitent à Skala Eressos, le petit village où a lieu le festival, qui est aussi le lieu de naissance de la poétesse Sapho. Dans ce trio, deux personnes, Samra et Jenny, ont beaucoup trainé à Berlin dans le milieu de la musique électronique. Samra a toujours voulu créer une communauté de femmes, et elles ont acheté des terres en Grèce. C’est une idéaliste, une penseuse, et avec Audrey, nous sommes plutôt des “faiseuses”. Du coup, la rencontre entre la partie française et la partie grecque a vraiment permis de donner naissance à ce projet.
Audrey : J’ai travaillé sur d’autres festivals, notamment le Weather ou Bizarre à la Folie. Quand j’ai arrêté de travailler à la Folie, Anaïs n’arrêtait pas de me parler de Lesbos, et nous avions envie de monter des projets à la sortie du COVID. Quand on a commencé à parler du festival, je ne connaissais qu’Anaïs, et trois visios et demi plus tard, on a monté le Queer Ranch Festival.

Anaïs, c’est donc toi qui a permis de faire rencontrer tout le monde ?

Anais : Je rêve d’aller à Lesbos depuis très longtemps. J’y suis allée pour la première fois en 2015, et suis vraiment tombée amoureuse de l’endroit en 2018. Tu ne peux qu’aimer le lieu au départ, avec cette communauté de femmes qui n’a rien de comparable avec ce qu’on connaît à Paris. Avec deux amies, on a réalisé un podcast là-bas en 2020 et pendant un mois, j’ai fait les interviews sur place. Comme j’étais toute seule, j’ai vraiment rencontré les femmes de là-bas. J’ai découvert plein d’histoires, plein de passés différents et de parcours incroyables : des bikeuses londoniennes SM des années 80, des berlinoises de 25 ans… A l’époque j’en avais marre de m’occuper de Brain, et j’avais envie d’un projet qui me représente complètement en tant que femme queer.

Et quel est ce projet ?

Anais : Notre projet, même si dit ainsi peut paraître prétentieux, c’est aussi de sauver cette communauté de femmes, actuellement déclinante. Les lesbiennes fantasment sur cette terre promise depuis très longtemps : même la poétesse Renée Vivien y est allée au début des années 1900. La communauté telle qu’on la connaît a débuté à la fin des années 1970, début des années 80. Dans les années 90-2000, l’arrivée de milliers de femmes a porté un coup, avec des bars lesbiens qui débordaient, des meufs qui faisaient l’amour limite devant tout le monde…Il faut savoir que beaucoup des villageois grecs n’étaient jamais sorti de leur île et le prenaient donc moyennement bien. Mais elles vivaient leur révolution et étaient donc inarrêtables. La crise économique de 2008, puis la crise migratoire en 2015, puisque Lesbos est une île face à la Turquie, n’a pas directement impacté Skala Eressos, mais a beaucoup impacté les femmes qui ont aidé et travaillé avec les migrants. En 2015 le retour à la communauté m’intéressait peu, mais plusieurs événements comme le COVID, et le fait de vieillir, m’ont rapproché de l’idée. Ce n’est évidemment pas l’objectif du festival, mais pouvoir se dire qu’aujourd’hui, de jeunes femmes sont aussi capables d’apprécier cette communauté, c’est important.
Audrey : Je voyage beaucoup pour les festivals, et je passe vraiment ma vie à écouter de la musique. Je crois que nous sommes le seul festival queer fait par des lesbiennes à destination de tout le monde. C’est important de souligner, avec les TERF, les SWERF, que nous sommes là et que nous faisons des choses pour tout le monde. Il y aura des workshops en non diversité, c’est important pour nous que ça soit une mixité qui soit choisie, car c’est une terre d’accueil pour les femmes avant tout. Mais nous avons envie de faire la fête avec tout le monde, et c’est quelque chose qui me tient à coeur et qui me motive dans ce festival. Et puis ça permet de ramener la jeune génération, complètement déconstruite, à cette communauté un peu plus âgée, et d’aborder plusieurs questions.

Photo par Vovotte

A quoi peut-on s’attendre pour cette programmation de Queer Ranch Festival ?

Anaïs : L’année dernière le festival avait lieu sur 3 jours. Là on va être à 6, avec beaucoup plus d’artistes et de lieux. Il y aura des DJ sets, des concerts, mais on a aussi ajouté une soirée de projections de films, d’écoute de podcasts et de poésie, et des workshops tous les jours : des cours de pole dance avec Mila Furie, un atelier photo, des activités nage et volley. La nage, c’est important, c’est une nage traditionnelle qui existe depuis les années 80. Toutes les femmes se réunissent tous les jours à 10 heures du matin pour aller à un rocher très beau situé à 400 mètres. C’est un moment solidaire, avec des femmes de 65-70 ans qui vont nager avec des trentenaires dans un élan commun, elles s’aident, elles rient. A la fin en plus on remporte une médaille quand c’est la première fois de l’année qu’on le fait.

Mila Furie

Audrey : Après pour la programmation musicale, vu que les filles ont acheté le bar le Ohana Saloon, il y aura un soundsystem à l’extérieur. On a donc proposé aux artistes deux possibilités : se produire deux fois, ou une fois et imaginer à côté un workshop. Avec un public de 300 personnes, c’est chouette de pouvoir rencontrer aussi les artistes de manière différente et plus relax. Il y aura aussi des artistes qui vont jouer ce qu’ils et elles ne jouent jamais : de l’ambient, du hip hop, cela permet de les découvrir d’une autre manière. Je n’ai pas envie de dire qu’on est le meilleur festival du monde, mais presque. Nous sommes ravies d’avoir Chloé en tête d’affiche, mais ce n’était même pas le but, c’est une amie qui fait partie de la communauté. On pourra compter aussi sur Radical Softness, une artiste suisse qui vient de Berlin et qui cartonne, Dornika, une artiste incroyable d’Iran qui fait de la pop et présentera son projet “Fatboulous” : niveau queerness tu ne peux pas mieux faire. Le programmateur du Whole Festival viendra jouer avec un ami à lui de la Nouvelle-Orléans, un Back 2 Back qui s’appelle Longitude. Et puis Rag, notre résidente préférée, sera aussi parmi nous. Et on fera évidemment jouer des DJ locales, des gens de l’ile.

Dornika par David Kavaler

Anais : Des femmes sur place donneront aussi des cours d’autodéfense, il y a AJ, une butch géniale qui vit là-bas depuis les années 80 qui va donner des cours de cuisine vegan et on aura aussi notre MC qui est Prinx Silver, un drag très connu en Angleterre. Le réalisateur Alexis Langlois présentera aussi l’un de ses courts-métrages.

Personne n’a été difficile à convaincre ?

Audrey : Comme c’est un festival en auto-production, on doit s’organiser autrement. Ce qu’on propose à tous les artistes, gros et petits, c’est de payer leurs billets d’avion, la semaine d’hôtel, et les runs pour aller jusqu’à l’aéroport. On comprend aussi qu’il y ait des gens qui ne soient pas au même niveau financier, qui sont précaires, et qui ne peuvent pas se permettre de venir un weekend chez nous. On a donc des refus qui sont plutôt financiers, que l’on comprend totalement. Mais nous ne voulons pas changer le système économique du festival : cela déstabiliserait ce qu’on construit, c’est-à-dire tout le monde au même niveau. Des fois c’est compliqué, on a envie de faire des gestes, alors que nous sommes toutes bénévoles, mais à chaque fois on tient bon, on essaie de créer un microcosme où on est en totale transparence avec les gens. C’est important de savoir où va ton argent.

Après une première édition, à quoi ressemble le public du Queer Ranch Festival ?

Audrey : La première édition a été organisée en 3 mois, et on a été surprises d’y voir des canadiennes. Pour la deuxième année, on a déjà une programmation plus grande et diversifiée, on a fait attention à la représentation de chacune de nos communautés, qui vont donc ramener leurs proches. Ça va plus se ressentir on pense sur cette deuxième année.

Photo par Vovotte
Photo par Vovotte

 

La première édition était-elle à la hauteur de vos espérances ?

Anaïs : C’était un miracle ! On a vraiment organisé le festival sur Whatsapp, avec des gens qui ne parlent pas forcément très bien anglais. Quand nous sommes arrivées sur place avec Audrey, il restait pas mal de choses à faire.
Audrey : Si on la refait de manière un peu plus travaillée, ça restera un festival “freestyle”, parce qu’il faut prendre en compte les gens avec qui on le fait. C’est quand même dans mon top 3 de mes meilleures expériences de travail. J’ai monté des DJ booth sur des toits de jeep, on n’a pas loué les bonnes platines…. Mais on est sur une île, entre nous. Il faut deux avions et un run pour arriver au Queer Ranch Festival, si tu veux vraiment être un.e con.ne, c’est vraiment que tu es motivé.e ! C’est un miracle qu’on y soit arrivées, mais on a vraiment beaucoup travaillé. Cela nous nourrit aussi, le travail, ce qu’on a partagé, les gens qu’on a pu rencontrer, les soirées de soutien toute l’année…

Combien de personnes attendez-vous pour cette nouvelle édition ?

Anaïs : L’année dernière, nous attendions 150 personnes. Cette année, c’est le double.
Audrey : Le village est petit, l’idée n’est pas du tout de faire un gros festival. L’idée, c’est de préserver cet écrin et de donner envie aux gens de revenir avec leurs proches en vacances.
Anaïs : Ce qui était extrêmement beau, c’est que les gens étaient vraiment heureux d’être là. J’ai croisé beaucoup de monde à la pride, un mois après, et plein de gens sont venus me dire que c’étaient les meilleures vacances de leurs vies. Ça fait plaisir. Il y a un vrai truc magique qui s’est passé.

 

Vous aviez des modèles de festival pour le Queer Ranch Festival ?

Anaïs : Il y a un festival lesbien où je ne suis jamais allée puisqu’il s’est arrêté aux années 2000, qui avait lieu je crois dans le Wyoming ou dans l’Oregon, dans la nature, et ce que j’ai pu lire sur le sujet me paraissait incroyable. Et je n’y étais pas allée, mais le Whole Festival, au bord d’un lac…
Audrey : Il s’instaure une solidarité entre les gens. J’étais par exemple invitée par une artiste au Whole Festival et donc je ne payais pas, et bien j’ai quand même payé ma guest list pour une asso, et c’est quelque chose que j’ai ramené à la Folie. Pareil, on te demande 10 euros, on te donne un sac poubelle, et quand tu rends ton sac poubelle tu récupères ton argent. Des initiatives comme ça, ça fait du bien. Je n’ai vu aucun comportement déviant, et quand tu sais tout ça, tu ne peux passer que de bons moments. Et c’est aussi ce qu’on essaie de faire à Lesbos.

Une anecdote pour terminer ?
Anais :
Deux françaises qui étaient venues au festival un peu au hasard, en mode “un festival de gouines à Lesbos, pourquoi pas”, et en fait elles ont adoré.
Audrey : Beaucoup de gens de l’année dernière reviennent, ce qui est pour moi un signe de réussite. Il y a aussi des gens de l’international, mais on espère aussi voir des grec.ques, parce qu’il est vrai que c’est difficile à faire bouger, des grec.que.s à Lesbos, c’est trop près de chez eux !

Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour cette nouvelle édition ? Du beau temps ?

Anais : Il fait toujours beau à Lesbos, et c’est le moment idéal pour y aller en Mai.
Audrey : De fêter nos 10 ans ou nos noces de diamant !

Ne ratez pas la fête le 31 mars à la Folie pour celles et ceux qui ne peuvent pas venir à Lesbos !