Lorène Abfayer & la psychanalyse queer

Les queers peuvent-iels faire confiance à la psychanalyse ? La psychanalyse est-elle neutre ? Comment le care est controlé par ce système hétéropatriarcal colonial et capitaliste ? Autant de questions que l’on se pose lorsqu’on cherche un.e thérapeute, autant de craintes diffusent qui peuvent nous freiner. Pourtant la santé mentale est au coeur de la problématique de nos communautés sans cesse minorisé.e.s. Bonne nouvelle : la psychanalyse queer existe !

J’ai rencontré Lorène par le biais d’une amie, il y a dix ans. Et lorsque j’ai appris qu’elle ouvrait son cabinet de psychanalyse queer à Paris, j’ai ressenti une grande joie. Entreprendre une thérapie, une psychanalyse c’est aussi une question d’intimité. Et l’intimité repose sur la confiance. La psychanalyse n’est pas neutre, la psychiatrie non plus. Elles sont façonnées dans la majorité,  par le  système politique hétéropatriarcal colonial et capitaliste. Et c’est totalement d’une incohérence absolue de demander à un système qui nous broie de nous comprendre et aider. Ce n’est pas la psychanalyse et la psychiatrie le problème mais la manière dont elles sont pratiquées. Notre santé mentale dépend du système politique dans lequel nous nous trouvons et exprime toute la violence que nous subissons. Avoir un.e thérapeute queer, c’est déjà se sentir en sécurité sur les questions politiques essentielles qui nous occupent. C’est aussi poser les normes de la société comme le problème et créer ensemble, avec le souci commun de ne pas reproduire un rapport de domination,  une relation équitable de soutien et d’échange, un lieu à soi qui nous permet de mieux être avec l’autre.

Rencontre avec Lorène Abfayer, thérapeute psychanalyste queer et féministe exclusivement au service de la communauté LGBTQIPNB+

Les premiers travaux sur l’homosexualité remontent à 1880 et sont essentiellement psychiatriques. L’homosexualité n’est plus une maladie mentale depuis 1990, la transidentité depuis 2019. Si la psychanalyse est un formidable outil de connaissance de soi, c’est aussi un puissant outil de contrôle normatif. Tu m’expliquais qu’il était impossible d’être psychanalyste et queer tant que l’homosexualité était inscrite comme maladie mentale (OMS). Comment est-tu venue à la psychanalyse ? Et comment as-tu vécu l’enseignement de la psychanalyse alors que tu es féministe et queer ?

L’homosexualité en effet considérée comme une «maladie mentale» puis une « pathologie » puis un « vice » et enfin un « trouble » par la psychiatrie et la psychanalyse à travers l’histoire n’a fait que renforcer les discriminations et oppressions faites aux personnes LGBTQIPNB+.
De la même manière que nous récupérons le langage qui nous opprime, mon intention est de réaffecter la psychanalyse comme  outil pour lutter contre le contrôle hétéronormatif qui nous opprime et pathologise.
Ce n’est qu’en 2001 que la psychanalyse cesse de considérer l’homosexualité comme un obstacle a la pratique de celle-ci et lors ce que la psychiatrie a dépathologisé l’homosexualité, la psychanalyse a réagi en passant d’une homophobie relativement monolithique à quelque chose de plus subtil, mais non moins discriminatoire. Loin de disparaître, le préjugé s’est installé secrètement dans les espaces privés. Tout au long de ma vie de femme, lesbienne, queer, non binaire j’ai eu à faire à des hommes cis blancs thérapeutes au service de l’hétéropatriarcat qui m’ont oppressé, délégitimé, jugé, mal traité, abusé, culpabilisé, pathologisé.
Nous méritons mieux que ce vide thérapeutique !
J’ai donc décidé de créer un espace pour les personnes LGBTQIPNB+, en commençant là où les autres se sont arrêté.e.s, à la limite de la différence sexuelle, du binarisme et des libertés d’identifications de genre et de sexualités.                                                                                                                               Comment ai-je vécu l’enseignement de la psychanalyse alors que je suis féministe et queer ? Douloureusement ! J’entrais sur leur territoire en tant que femme, féministe, queer, luttant constamment contre la structure même du (cis)tème psychanalytique qui m’avait opprimé toute ma vie. Même des questions simples, d’un point de vue féministe et queer, ont rencontré la violence et la brutalité que j’ai  moi-même vécues en tant que patiente de la psychanalyse.
Le (cis)tème  hétéronormatif n’a jamais pris le temps de nous comprendre ni même de nous considérer comme autre chose qu’un trouble pathologique, donc en un sens, je réinvente une psychanalyse, ou du moins ma version de celle-ci, avec le point de vu queer comme norme.

Le discours de  Preciado : «La psychanalyse est face à un choix historique sans précédent : soit elle continue à travailler avec l’ancienne épistémologie de la différence sexuelle et légitime de facto le régime patriarco-colonial qui la soutient, devenant ainsi responsable des violences qu’elle produit, soit elle s’ouvre à un processus de critique politique de ses discours et pratiques.» ( Je suis un monstre qui vous parle, discours des journées internationales de la cause de l’École des causes freudiennes) prend tout son sens. Lorsqu’on est queer et qu’on cumule les oppressions ( racisé.e, neuroatypique, handicapé.e, gros.se, trans, migrant.e, etc.) la santé mentale est une question politique, une réelle question de survie. Cependant, l’accès à la psychanalyse effraye aussi et n’est pas accessible aux personnes qui on en souvent le plus besoin. Comment pratiques-tu la psychanalyse ? Et comment tes engagements politiques s’expriment-ils ?

Le livre de Paul B Preciado est un ouvrage essentiel, il est la clé qui ouvre le champs des possibles à de nouvelles approches psychanalytiques , dans mon espace, être queer est la norme. Il  ne s’agit pas de normaliser d’après le modèle hétéropatiacal mais de donner un sens d’appartenance et de validation au sein de la société dans son ensemble. Il n’y a pas de problème LGBTQIPNB+, l’hétéronormativité, le monopole cis et le régime patriarco – colonial sont à la source de nos problèmes. La plupart des personnes queer ont lutté contre l’homophobie et la honte intériorisée.
Même si vous n’êtes pas en thérapie pour parler explicitement de votre sexualité ou de vos questionnements liés au genre, avoir un-e thérapeute queer peut fournir un sentiment de sécurité émotionnelle et permet de vous sentir compris-e-s, accepté-e-s et célébré-e-s pour tout ce que vous êtes. Ainsi la déconstruction des pressions sociétales hétéronormatives fait absolument partie du travail..
Etre psychanalyste queer au service de la communauté LGBTQIPNB+ est un acte politique et je le revendique en temps que tel.
En ce qui concerne l’accès à la psychanalyse qui peut effrayer ou ne pas être accessible je pense tout d’abord que le fait d’avoir  affaire avec un-e praticien-n-e qui fait partie de la même communauté que soi aide énormément et il me tient à cœur de rendre ma pratique accueillante aux personnes à mobilité réduite en ayant un espace qui leur est accessible, aux personnes qui ont des difficultés financières en pratiquant le « sliding scale » ( tarif en focntion des revenus), aux personnes précaires en proposant le bénévolat , en informant, en écoutant et en étant en perpétuelle évolution.

Le XIXème siècle avec l’essor du capitalisme a normalisé aussi la sexualité en définissant des identités. Jusqu’à Kertbeny qui inventa le terme «homosexualité», il n’y avait pas d’identité homosexuelle et on parlait plutôt de pratiques sexuelles. Foucault avec la notion de bio-pouvoir (soit un pouvoir capable de générer des façons d’être par le biais de techniques de classification et de normalisation) révèle que notre société  a moins recours aux lois mais s’appuie sur de puissantes normes sociales. Si l’identité permet de se définir et de se sentir légitime à un moment dans un système qui nous nie, elle nous contraint aussi à une binarité de pensée et nous fait réagir toujours en fonction de la norme. Peut-on échapper aux normes y compris dans nos espaces ? Quels sont les moyens d’y parvenir selon toi ?

La position des normes, plus souvent implicites qu’explicites, qui régissent les institutions psychanalytiques elles-mêmes est au fond de cette problématique, le but n’étant pas d’échapper à la norme qui renvoie aux subjectivités historiques de la marge, il s’agit de se réapproprier les formes et les expressions et trouver comment la déconstruire et comment annuler sa suprématie afin qu’elle ne soit plus oppressive.
Hormis le développement de systèmes de luttes et d’organisations militantes pour continuer a faire avancer les choses, je considère que le fait d’avoir créé un espace dans lequel la norme est exactement à l’endroit de nos identités est important. En tant qu’acte politique et après les thérapies de conversions et autres formes de tortures mentales infligées par tant de praticien.n.e.s cis hétéro – patriarco – colonialistes, constater l’existence même d’un lieu de thérapie dans lequel nous sommes valorisé.e.s, encouragé.e.s, compris.e.s et validé.e.s est selon moi le premier pas vers une déconstruction de la norme et un droit d’exister tant dénié.

L’inconscient, découverte majeure de la psychanalyse, a aussi été brièvement abordé par Descartes à travers le cogito. Il place la conscience comme étant un fondement de la raison et il y a ce qui lui échappe qu’il qualifie de folie. SI Freud va plus loin avec le concept d’inconscient, il demeure toujours binaire et ne permet pas une critique radicale des normes ni leur éradication. On se retrouve toujours avec ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. L’inconscient n’est-il pas finalement l’expression de notre résistance aux normes ? La preuve que quelque chose dans la société ne va pas ?

Freud  affirme qu’une grande partie de ce qui se passe dans notre tête nous échappe complètement, car nous n’avons aucun contrôle sur notre inconscient et en ce sens il est tout a fait possible qu’une forme de lutte, de résistance aux normes constituent une grande partie de cette inconscient du fait des pressions sociétales hétéronormatives.
La preuve que quelque chose dans la société ne va pas se trouve à l’intérieur de nous, de nos mal-êtres, de nos angoisses et de nos peurs. Je reçois tous les jours de patient-e-s LGBTQIPNB+ victimes de discriminations, homophobies, transphobie, et autre systèmes d’oppression banalisés.

L’histoire de la psychiatrie est violente et clairement du côté de celleux qui ont le pouvoir. Les femmes, les racisé.e.s, les handicapé.e.s, tout.e.s les personnes «non-conformes» ont été pathologisé.e.s et le demeurent. L’existence du DSM-5 ( manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) demeure la norme. Contrairement à la médecine, on parle par convention de «maladies mentales» en psychiatrie. Les manières différentes de réagir aux normes nous place en «malade», condamnant toujours celleux qui diffèrent et qu’il faut «soigner». Beaucoup de traitements deviennent de véritables thérapies de conversion au service des normes. Alors que le véritable problème c’est cette société. Comment guérir des normes ? Comment fait-on pour survivre au milieu de tant d’incohérence et violence ?

L’invisibilisation de la santé mentale est en train de diminuer, les communautés qui expérimentent les mêmes oppressions se regroupent sur les réseaux sociaux pour dénoncer ces tabous.
La stigmatisation de la santé mentale notamment par les politicien.n.e.s et les médiats empêche toute discussion sérieuse autour de ce sujet ainsi que la facilitation à l’accès aux soins et autres rituels de bien-être.
En termes de psychanalyse, beaucoup de ses défauts ont été exposés et, comme le dit Paul B Preciado dans son dernier livre Je suis un monstre qui vous parle la ligne a été tracée. Continuez à suivre les pratiques actuelles ou prenez le temps de réfléchir, faites les changements nécessaires et allez de l’avant. J’ai franchi cette ligne simplement en existant et en ouvrant ma pratique.
Ne pas se conformer aux assignations sociales de genre est  violent et en réaction à ces violences il me semble important de proposer  de la douceur et de la bienveillance car il s’agit avant tout de réparer les dégâts perpétués sur nos corps et nos psychés queer et trans depuis des siècles.
La survie passe aussi selon moi par la communauté, l’entre-aide, la mise en place de systèmes d’information et de soutien.

Ce système hétéropatriarcal capitaliste colonial et validiste n’a jamais été aussi visible depuis la pandémie. Le bio-pouvoir se matérialise et renforce le pouvoir juridique de l’Etat. Nos manières de vivre, socialiser, créer et entretenir du lien sont modifiées. La parole est au centre de ton travail. Les normes sociales et le système politique régissent notre manière de communiquer. Qu’est-ce qui est problématique dans notre communication ? Qu’est-ce qui entrave nos liens ? Se rend-on réellement compte à quel point ce système nous abîme ?

La Covid-19 met en lumière et en exergue des problématiques qui existent depuis bien longtemps. le capacitisme et le validisme sont à la source des problèmes de santé mentale. C’est un cercle vicieux qui implique que la pression liée à l’obligation de la performance conduit à des défaillances mentales,  qui conduisent à des répercussions sur le corps menant à des formes d’incapacités, qui entravent la performance, qui accentuent le validisme . Tant que ce système n’est pas changé, nous ne pouvons pas avancer, et c’est là que notre unité queer, la force que nous et celleux qui nous ont précédé ont tirés des abus endurés juste pour exister, est plus que nécessaire.

Nous vivons dans une puissante et omniprésente fiction patriarcale où tout est politique. Dépatriarcaliser  toute cette fiction est-il suffisant ? Qu’est-ce que ton métier t’apprend et te donne t’il de nouvelles perspectives politiques ? Et surtout comment abordes-tu le futur?

Le futur doit être queer , dans tous les sens du terme.
Comme le dit Virginie Despentes « Arrêtons de croire que nous n’avons pas le choix. Arrêtons de croire que nous ne sommes pas maîtres de nos futurs. Déposons les armes, engageons-nous
dans la révolution de la douceur et de l’empathie. »
Nous avons le pouvoir de créer nos propres normes au sein de la société actuelle, si nous le choisissons.
Historiquement, cela signifiait une action mais pas nécessairement dans les rues. D’innombrables mouvements à travers le monde comme Black lives matter ont ciblé la racine du problème, le capitalisme sous le régime hétéronormatif et patriarco-colonial, en utilisant leur pouvoir économique pour créer un changement sociétal. Et c’est ce dont nous avons besoin.
nous avons besoin de personnes queer soutenant les personnes queer
nous avons besoin de personnes queer soutenant les entreprises queer
Nous avons besoin de personnes queer comprenant les luttes des  personnes de notre communauté queer
Nous avons besoin que notre communauté montre au monde que l’on peut faire mieux que  la société hétéronormative cis aujourd’hui.
Nous devons écraser le système capitaliste et le remplacer par un système plus bienveillant et empathique où tout le monde peut prospérer.
Nous avons besoin d’une révolution queer.

Lorene Abfayer
Thérapeute Psychanalyste
Exclusivement au service de
la communauté LGBTQIPNB+
Quartier de l’horloge
75003 Paris
07 72 12 68 57
mail : lorene@queertherapie.com

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Instagram : Ici

 

Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.