La Constellation : queer-lieu, culture et carrot cake

Un nouveau tiers-lieu culturel a ouvert à Paris cet été : La Constellation est un coffee shop LGBTQI +, vegan, sans alcool et quiet-queer friendly, où il se passe des choses. Entretien sur l’envers du décor avec sa créatrice, Laureline, qui m’accueille un jour de fermeture. C’est l’heure du déjeuner, elle me propose de partager son appétissante assiette de courgettes farcies et je regrette déjà d’avoir apporté ma salade industrielle, mais je sais que je rattraperai mon karma alimentaire sur le dessert.

Ici, pas de musique et beaucoup de lumière, partout de l’Internet et des prises pour travailler, un comptoir dont la hauteur a été pensée pour les Personnes à Mobilité Réduite (PMR), des coins isolés pour se protéger des virus et des autres, des mètres de distance entre les grandes tables carrées et de vastes espaces de liberté pour que circulent aisément tous les corps invités.

L’accessibilité est au coeur de la Constellation : toute morphologie et petits budget bienvenus. Plat du jour bio, vegan et de saison à 10 euros, alors qu’on est en plein deuxième arrondissement d’une ville où le prix du mètre carré flirte avec les gagnants de l’Euromillion. Mais pas question de gentrifier la périphérie, Laureline veut que tou.te.s les Queers puissent s’approprier le capital centre-ville. Pour les lecteur-ices qui ont la chance de vivre loin de Paris, sachez que le quartier des Halles, c’est pile sur la route des trains de banlieue et du précieux métro 14, seule ligne qui dispose dans toutes ses stations d’installations pour les PMR. Bref, La Consté c’est grand, c’est en plein Paname, on y mange bien pour pas cher et on s’y bat contre le travail gratuit donc oui : « ce lieu coûte une blinde, c’est une catastrophe financière mais tout le monde peut venir , alors VENEZ ! Chaque euro nous aide à rester ouvert » Message reçu, message transmis : allez-y pour la carte des boissons chaudes ou fraîches et pour la Bibliothèqueer  (tous les livres sont empruntables gratuitement et les BD pour 5 euros d’adhésion par an). Mangez-y seul-e ou en tête-à -tête et gardez un œil sur la programmation !

Au menu culturel : conférences, ateliers, concerts, tables rondes, expositions, cercles de lecture, pop-up stores et appels à projet super open. Et cela en toute inclusivité, pour donner de la visibilité à des personnes et à des voix qui n’ont pas accès à d’autres espaces. Chaque mois, les événements se déclinent autour d’un thème. (SPOILER ALERT) En voici quelques uns à venir : “les communautés dans la communauté, la santé, la vieillesse, les familles choisies, la diaspora asiatique, le black history month, les fluidités, le handicap, les fiertés, les personnes grosses et tous les corps en été” (titres pas définitifs et termes non contractuels). D’ailleurs je frime un peu en glissant « tiers-lieu culturel » dans mon chapô , alors que je ne suis pas sûre d’avoir bien compris la définition Wikipédia, Laureline m’explique : « Un tiers-lieu, c’est un endroit qui n’est ni ta maison ni ton lieu de travail et où tu peux faire des choses, sans forcément devoir consommer ». Ce concept, qui aurait été théorisé par de valeureux-ses hippies dans les années 80, est aujourd’hui appliqué à deux types de lieux : culturel ou numérique. Hélas les subventions publiques visent surtout ces derniers et Laureline le regrette d’autant plus qu’elle a perdu ses financements pendant le confinement : « Mais hey, qui s’en fout de la culture ?” C’est la start-up nation ! Dans notre monde capitaliste, où « 1 euro = 1 vote », La Constellation a pu voir le jour grâce aux soutiens d’une collecte et à l’investissement de sa gérante. Dans sa vie d’avant, Laureline travaillait pour de grandes marques de luxe. Son chômage lui permet de réaliser ce projet et jusqu’ici tout va bien, mais bientôt ce sera la course contre la précarité. Je connais le sujet, alors je mets les pieds dans le plat (de courgettes).

Comment on fait pour survivre d’un lieu pareil, sans vente d’alcool ni subvention ? En essayant d’attirer une population LGBTQI+ qui ne sort pas ailleurs. Au-dessus du bar, il y a cette citation de Hannah Gadsby en lettres brodées : « Where do the quiet gays go ? » La Constellation, ça pourrait devenir cet endroit fait par et pour les quiet queer. En détox post-WetForMe ou avec vos potes qui déclinent vos invitations de soirée – comme moi, petit ourson disparaissant des réseaux à chaque proposition d’apéro.

Pourquoi nos communautés sont-elles systématiquement associées au monde de la nuit ? D’après Laureline – et son pote journaliste à Têtu, la fête est une place d’ombre que les hétéros ont accepté de nous laisser, en s’appuyant bien profond sur le cliché des Queers dévergondé-es. Avec mon interlocutrice on est d’accord pour dire qu’en aimant ou non l’alcool, on fait quand même un tas de trucs en plein jour, aussi. « Nous ne sommes pas des vampires ! » s’écrit-elle. C’est toujours bien de le rappeler. Pendant qu’on papote, Laureline s’attaque au pliage d’une immense pile de torchons, qui serviront à sécher des paires de mains.

C’est que, dans ce café, on évite le gaspillage. Tasses dépareillées, vaisselle chinée, chaises récupérées, foule de poubelles à trier derrière le bar et menu imprimé au dos d’articles aux titres aguicheurs (« 10 thèses franco-allemandes sur le racisme » je regrette ma LV2 espagnol). Voilà, on recycle jusqu’aux idées. Et comme je prépare mon prochain atelier d’écriture sur le thème des utopies queer et féministes, je pose à Laureline cette question-vestige de mes propres vies professionnelles antérieures en espace ouvert : la Constellation dans le futur tu vois ça comment ? Laureline me parle d’un endroit d’échanges où on passerait du bon temps, où toutes les dernières infos sur les recherches universitaires queer pourraient être discutées. Elle rêve de réunions broderie et de cours de peinture « pas prise de tête autour de la couleur où on viendrait jouer avec de l’acrylique et sans se juger ». Elle a des projets de formation, des partenariats à mettre en place avec des Ressources dites humaines, pour favoriser l’embauche et le bon traitement de personnes LGBTQI+ en entreprise.

Je termine mon interview par deux questions à la con. Non. Deux questions spontanées et pas du tout inspirées des histoires vraies de ma vie privée.

J’en peux plus de bosser dans ma chambre de bonne de 9m2, est-ce que je peux venir ici avec mon ordi et squatter toute l’aprem ou faut pas abuser c’est pas non plus un espace de coworking ?
Laureline : Oui bin oui, bien sûr, viens ! Après bon, si tu passes huit heures ici pour boire une grenadine à 2 euros 50, avant d’aller consommer des trucs sales et chers dans un endroit plein de mecs, tu fais bien ce que tu veux de ton argent mais tu verras comment tu te regardes dans ton miroir (rires rires rires). Non mais, on a des étudiants qui viennent squatter toute l’aprem y’a pas de souci. Et d’autres personnes qui ont de la thune pour des banana bread (4 euros la tranche – note de l’autrice) et tant mieux !

Ok. Deuxième question. Toute ressemblance avec ma propre existence ou The L World serait tellement fortuite : imagine qu’une meuf sexy m’invite à boire une limonade à la Constellation.
Laureline : Ouais. Et bin ?
– Bin d’après toi, est-ce que c’est un date ?
Laureline se penche vers moi, tête légèrement inclinée vers la gravité de ma question : – Attends, cette meuf sexy tu l’as rencontrée ici ou ailleurs ?
– Bin, ailleurs ! Et elle m’a invitée ici. Alors tu penses qu’elle me drague ou pas ?
– Ecoute j’ai envie de te dire : comme on est gay on sait jamais quand on se fait draguer alors je dirais… Ouais, je pense qu’elle te drague ! En fait, ce serait deux hétéras dans un film on serait sûres qu’elle te drague mais là comment savoir ? Accepte et vois ce qu’il se passe !
– Ok. Bon bin je note ça alors, pour l’article.
– En tout cas j’ai déjà vu des dates ici, si c’est ça ta question. Pour l’article.

 

Après ce point Planet potin autour de deux parts de gâteau-tuerie-dans-ma-bouche, je finis de déchirer le dessert atomique et termine mon café tout doux avant de faire un tour dans les salles désertes de La Constellation. Je prends des photos vides sur lesquelles j’ai envie de coller des visages-comètes, pour faire briller cette initiative cool et calme, à découvrir et à faire vivre. Camarade de l’adolescence, des études, de la freelancerie, personnes anxieuses, neuroatypiques, sensibles au bruit, timides, n’ayant pas envie de picoler ni de parler, ou bien voulant s’ouvrir petit à petit… et à tou.te.s les autres amateur-ices de culture et de carrot cake : vous pouvez soutenir ce tiers-lieu en venant y consommer de belles choses, ce qui inclut événements et pâtisseries. Au royaume des queer introvertis, le goûter intime est politique.

La constellation, 13 rue dussoubs Paris, 75002

Horaires :
Ouverture du mercredi au samedi de 12h à 21h – le dimanche : fermeture à 20h. Mais tout se transforme et les heures d’ouverture sont donc susceptibles d’évoluer. La programmation change aussi souvent. Consultez les réseaux avant de passer !
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Alexia Tamécylia

Autrice de Vulves et animatrice des ateliers d'écriture féministe Langue de Lutte. Un penchant pour le lance-flamme, la marge radicale et les extrêmes menthe-chocolat.