Contre Culture, La douce colère d’Oh Mu

Impossible de qualifier Oh Mu, artiste protéiforme et producteurice, iel échappe à toutes les normes. Oh Mu vient de sortir son 4ème EP Contre Culture, a son image, sans fard, avec l’émotion brute des cris de révolte et d’amour. Féminisme, Queer, Neuroatypie, Oh Mu nous offre son regard sur le monde,  tranchant, lucide mais surtout empli d’espoir.

Love, Oh Mu

Qui est Oh Mu ? Avec son 4ème EP Contre Culture sorti récemment, Evan donne vie à l’intensité de ses émotions et idées. Féminisme, Queer, neuroatypie ne sont pas que des concepts et s’incarnent dans ses mots, sa musique, ses dessins. Tout est cohérent chez Oh Mu et nous invite à partir à la rencontre la plus importante, difficile et primordiale : nous-même. Prêt.e.s pour l’aventure ?

Le premier titre de ton dernier EP contre culture s’appelle Alien et tu le qualifies d ‘OH Mu Thème. Oh Mu c’est la créature qui te permet d’être toi profondément depuis 2016, pas un simple personnage derrière lequel tu te cacherais, ni un masque. Comme on vit dans une fiction patriarcale, c’est une expérience commune que nous avons de nous réapproprier nos corps mais aussi ce que nous sommes profondément. Est-ce qu’aujourd’hui tu es parvenu.e à créer ta fiction et comment gères tu cette évolution intérieure ? Penses-tu que tu te sentiras toujours Alien ?

Alien est au tout début de l’EP parce que pour moi c’est une intro «voilà comment je me sens face à cette société, comment j’ai toujours  l’impression d’être une autre personne». Dans la chanson je dis « je suis l’autre des hommes» parce qu’on me met constamment  à cette place là, on ne me donne pas d’autres solutions ni possibilités d’être et ça me frustre énormément. Mais ensuite, l’outro «Indigo» tout à la fin est la réponse positive à tout cela. Ce n’est plus «je suis» mais «on est». Et je me rends compte que nous sommes beaucoup à ne pas être dans les normes. Pour moi, c’est beaucoup d’espoir parce que ça veut dire que j’ai ma manière d’être, ma contre culture qui est une culture propre mais de fait en confrontation avec une culture mainstream omniprésente dans tous nos rapports sociaux, de travail, amoureux, etc.
Et en fait Oh Mu la créature devient au fil du temps et des EP, mon moi profond et il y a de moins en moins de distance entre mon personnage et moi. Et ça c’est cool parce que je ne m’attendais pas du tout à ça. Dans l’EP précédent il y avait une distanciation entre l’alien et moi et à présent c’est plus assumé, je suis comme ça. Et il y a aussi le fait qu’on me conseillait et poussait à cacher le fait d’être autiste dans le milieu musical. D’un côté certains médias voulaient en parler de manière hyper fétichisée en mode «allez parle nous du fait d’être bizarre» et de l’autre côté, certains médias ne voulaient pas du tout en parler tout en le mentionnant. Tout cela ne me convenait pas parce que je n’avais jamais le droit à la parole sur ce qu’on écrivait. D’autant plus que je n’ai jamais voulu vendre une identité et c’est ce qui se passe maintenant. L’industrie musicale est vraiment aux aguets sur tout ce qui est queer, féminisme, neuroatypie afin de créer des artistes»safe» et faire du profit. Et j’ai aussi l’impression que le public n’écoute pas forcément la musique mais va se tourner vers des artistes queers,etc. parce qu’elle est queer, pour son identité. Et en s’attachant à l’identité on est plus dans une forme de combat. Je n’ai pas envie de dire je suis un.e artiste et autiste mais je suis artiste et je combats le validisme.

Il serait comment ton monde ?

Il y aurait beaucoup d’abolition à commencer par la police ! (rires) Il n’y aurait plus de genres, plus de violence liée à la masculinité toxique. Le monde serait plus adapté à tout le monde y compris au handicap et plus de travail ni d’argent surtout. Plus d’écologie, de compréhension et de radicalité !

Dans Daddy, tu parles du fait de ne plus avoir besoin du père. Une manière d’abandonner complètement le patriarcat aussi. Comment cette prise de conscience s’est opérée en toi ? Et qu’est ce que cela implique comme changement dans ta vie ?

Daddy a plusieurs prismes de lectures. A la fois c’est tout ce que j’ai vécu de manière littérale avec mon père qui était violent physiquement et psychologiquement. Quand tu vis ce genre de violence tu la perpétues tant que tu ne l’as pas déconstruite : quand tu vis ce genre d’amour qui est violence tu vas rechercher le même type de relation parce que tu n’auras vécu que cela, que tu ne sais pas ce que veut dire être aimé.e pour qui tu es, recevoir de l’affection sans chantage affectif, etc. Après avoir compris tout cela, je me suis rendu.e compte que je recherchais toujours la validation soit d’un mec cis soit d’une personne ayant de l’autorité dans son domaine et/ou de la société. Tout ce qui représente le père en fait. Et à partir du moment où tu sors du patriarcat, tout change :  je me suis libéré.e de tout ça. La seule validation dont j’ai besoin c’est la mienne et je parviens enfin à sortir de la culpabilité. Je n’ai plus besoin d’une validation extérieure y compris dans nos communautés.  Il y a beaucoup de personnes dans nos communautés qui pensent que la non binarité n’existe pas ou que l’autodiag autiste est une manière de se rendre intéressant.e ce qui est juste du validisme en fait.
Cette chanson est vraiment importante pour moi parce qu’elle représente la scission entre le moi d’avant qui cherchait des pères ou des frères partout et moi maintenant qui juste osef quoi ah ah ah

J’ai l’impression qu’avec cet EP, tu es plus apaisé.e. La colère est toujours là et c’est plutôt sain la colère dans le monde dans lequel on vit, mais il y a quelque chose de très doux aussi. Peux-tu me parler de ta colère et de la manière dont tu la gères ?

Le fait de m’appeler OHMu n’est pas anodin, ça vient des créatures de Nausicaa qui sont d’énormes insectes pacifiques, protecteurs d’une forêt. Mais si tu les énerves ou touche une seule personne de leur groupe iels peuvent détruire des villes entières. Nausicaa a aussi beaucoup de colère en elle et tout l’enjeu est de voir comment elle la gère pour avancer. Dans ce dernier EP, ce qui a été hyper libérateur pour moi c’est le fait de laisser cette colère s’exprimer en disant les choses beaucoup plus directement. Y compris dans la musique où je  mélange des sonorités plus hardcore et techno notamment dans je m’en fous. Et pour moi, c’est hyper important de me réapproprier ces sonorités qui sont plutôt perçues  comme très masculines. J’ai toujours préféré le rock, le punk etc. et en grandissant je n’ai pas exploré cela. Le fait de revenir à ses sonorités c’est aussi me réapproprier les racines de ce que je suis et je pense aller de plus en plus là-dedans.
C’est aussi parce que dans l’industrie musicale on a voulu me coller l’étiquette pop et m’obliger à chanter comme une personne qui sait chanter. Et ça c’est très sexiste parce que je peux tout à fait faire des musiques pop avec du sens tout en ayant une voix monocorde. J’ai pas besoin d’avoir une voix lascive ou dans la performance.
C’est marrant que tu parles de douceur parce que c’est vrai qu’il y a de la douceur dans des titres comme dingue. Je dis toute ma colère mais sur le ton de la rigolade, de la dérision d’un schéma de domination parce qu’on mérite bien mieux que ces schémas dans nos relations. Dans indigo qui est le morceau le plus calme de tout l’EP, c’est la prise de conscience que grâce à ma colère il y a autre chose de possible. Si je n’étais pas en colère je resterai coincé.e dans un enfermement mental et sociétal qui ne me convient pas. Quand on accepte sa colère on parvient à la gérer et à faire des choix radicaux qui nous libèrent.

Artiste pluridisciplinaire, non binaire et neuroatypique, es-tu confronté.e à des difficultés particulières dans le milieu musical ? Comment cela s’exprime t-il ? Et est-ce que c’est cela qui t’a poussé à la production également ?

Le milieu musical est fait pour très peu de personnes. À partir du moment où tu ne rentres pas dans la case d’homme cisgenre blanc hétérosexuel tu vas devoir te mouler à ce qui est demandé. même en étant un mec tu es sur-exploité. Il n’y a personnes d’heureux.se dans cette industrie. C’est un milieu hyper violent avec énormément de pression sociale. Le plus dur pour moi c’est d’être perçue comme une femme  et d’être autiste. Le fait d’être perçue comme une femme fait qu’on va minimiser ma parole, mon avis et remarques. Et vu que je suis autiste, c’est encore pire. On va dire ah oui iel est bizarre, trop intense, iel exagère. Toutes les fois où je me suis énervé.e en plus, je disais tout haut  ce que tout le monde pensait tout bas.
Les artistes dans le système vont reproduire les schémas de domination. Par exemple, sur mon compte t’as pas l’air autiste, une personne qui travaille pour Sony m’a contacté pour que je fasse de la pub à un de ses artistes queers qui parle dans une de ses chansons de trouble psy. On me proposait de faire des lives avec l’artiste sans me payer. En gros, il me demandait de faire de la pub à cet artiste en validant le fait que c’est safe sans aucune contrepartie et surtout aucun respect de mon combat. Je trouve ça très violent. Cette industrie voit la révolte de notre génération et elle veut faire du profit là-dessus. C’est comme Angèle qui est devenue l’effigie féministe de l’industrie musicale. Mais ce féminisme est hyper lisse et un outil capitalise. Je n’ai rien contre Angèle en tant que personne mais je remets juste en question le produit Angèle. Dans ce milieu, les personnes veulent faire du profit, il y a beaucoup de sexisme, de queerophobie, de validisme, de racisme,  ça c’est la réalité.
Le faire de me produire c’est aussi une manière de combattre le capitalisme et de garder ma liberté et mes idées. Il y a d’autres modèles d’être artistes en 2020 en étant indépendant.e.s et d’avoir son public. Alors je ne parviens pas à en vivre totalement mais je suis honnête avec moi-même et je n’accepte pas de servir un système qui est tout ce que je combats. Pourquoi être artiste et accepté que son message et sa musique soit lissé, détourné ? J’ai pas envie de servir cette société neurotypique, quand on est autiste on ne supporte pas l’hypocrisie et l’incohérence, et en fait tant mieux !

Home, Oh Mu

Dans un de tes textes, tu parles de la honte que l’on peut ressentir à faire certaines choses, à être soi-même dans le moment présent. Cette société aussi nous renvoie pas mal de honte d’être nous-mêmes avec toutes ses normes. C’est quoi le plus dur : de découvrir qui l’on est vraiment ou de parvenir à l’être au quotidien ?

Le plus dur c’est parvenir à l’être au quotidien. Je pense que l’on sait tou.te;s qui on est mais qu’on met des masques depuis toujours, neuroA ou neuroT. Mais même lorsque tu sais tout cela, c’est hyper dur à mettre des mots dessus et accepter. Il m’a fallu 11 ans pour accepter que j’étais autiste. La société te dira toujours c’est dans ta tête, tu te crées de problèmes, c’est  la mode. Du coup tu sais plus ce que tu ressens et tu doutes et ça repousse le processus d’accès à soi.
A partir du moment où tu es honnête avec toi-même les choses se mettent en place naturellement. l’energie que tu vas renvoyer va aider les gens aussi sans s’en rendre compte. Quand t’es aligné à ce que tu fais les coses se font naturellement et la plce que tu dois avoir devient plus évidente. Le plus dur c’est vraiment tous les masques qu’on nous oblige à mettre d’autant plus que toutes les normes ne sont jamais atteignables. Le système n’est pas fait pour que tu sois bien. Se sortir de cette culture ça permet de comprendre que tout le monde a une place dans la vie donc il n’y a plus de concurrence ni de besoin de validation. Avant j’avais bcp besoin d’acheter des habits pour performer le fait d’être queer et là cette année j’ai presque pas acheté d’habits et je me sens encore plus queer. Quand tu sais qui tu es tu n’as plus besoin de la validation des autres.

Sur ton compte militant t’as pas l’air autiste, tu parles de la neurodiversité d’un point de vue politique, de ce que tu vis et ressens. Quel est ton rapport au militantisme ?

J’ai toujours eu un rapport difficile juste avec le mot militantisme. Je ne parvenais pas à m’incorporer là-dedans déjà parce que je suis neuroatypique et que cela me prend beaucoup d’énergie. Lorsque j’ai vu que je pouvais m’exprimer sur instagram et même si je me fais harceler, c’est le format qui me convient.  Le fait d’être autiste me permet aussi de faire les choses différemment et de ne pas correspondre au modèle militant. Par exemple, aller en manif me prend beaucoup d’énergie et me demande de me sur adapter à la vision neurotypique. Les AG ne sont pas pour moi le lieu qui me permet de m’exprimer. Ni les conversations discord etc. Mon compte m’a aussi permis de me comprendre moi-même et de l’importance de parler de ce que je vis en fait et que ça aide les autres aussi. Et cela m’a permis aussi de gagner en légitimité parce qu’être autiste c’est dépendre de la légitimité que le corps médical va nous donner et que le diag est oppressif et n’est fait que pour les hommes cis blanc hetero. Être autiste c’est se sur adapté tout le temps et les personnes qui pensent que certain.e.s se disent autiste pour faire genre c’est totalement absurde. Qui se fait passer pour un.e autiste ? Quel en est l’avantage ?

 

Qu’est-ce que représente le queer pour toi et te sens-tu à l’aise dans le milieu ?

C’est avant tout une vision politique de qui je suis. Dans cette société, non binaire pour moi c’est affirmé que je n’appartiens pas à la norme des genres. Que je ne me sens pas homme ou femme, j’aime les personnes pour ce qu’elles sont pas pour leur genre. Affirmer être non binaire c’est juste du bon sens. Dans le milieu queer je ne me sens pas très à l’aise parce que je ne suis pas très attaché.e à l’identité. Je peux tout à fait comprendre l’importance des termes butchs ou fem mais je n’ai pas envie qu’on me considère en ces termes. Je me sens plus à l’aise dans un milieu queer trans et neuroatypique.

Tes projets ?
J’aimerais pouvoir faire des concerts dès que la situation sanitaire le permettra. D’être encore plus radicale et de prendre plus de place avec mon discours militant sur le validisme. J’ai envie qu’on nous entende !

 

Contre Culture

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T’as pas l’air autiste

 

 

Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.