Doit-on se forcer à faire l’amour ?

Doit-on se forcer à faire l’amour ? Ayant eu à affronter moi-même cette douloureuse question dans la plupart de mes relations, l’idée de rédiger un article sur le sujet m’apparaissait comme un mal nécessaire. Non pas pour trouver une réponse à une interrogation personnelle mais pour mettre en lumière l’enjeu social et politique que revêt cette épineuse question.

Parfois, pour une raison ou pour une autre, la fatigue, le stress, ou tout simplement l’absence temporaire de désir, nous coupent l’envie de faire l’amour avec notre partenaire. Mais alors, devrait-on se remuer, faire un petit effort pour ne pas tomber dans un tunnel d’abstinence subie ? Pour faire plaisir à notre partenaire ? Pour ne pas perdre la main ? Le fait même de poser la question induit automatiquement une réponse positive. Et c’est justement le problème.

Quand certaines personnes affirment que l’appétit vient en mangeant, d’autres diront que « se sentir forcée à faire l’amour n’est pas la solution ». Où est la limite entre un « compromis » acceptable et l’obligation, voire… le viol ?

Il est certain que je m’attaque ici à un sujet douloureux sous-tendant un enjeu beaucoup plus grave. Parce que non, se forcer à faire l’amour, que ce soit dans un couple lesbien ou dans un couple hétéro n’est pas normal. Il y a cette idée qu’un couple doit faire l’amour à une certaine fréquence. On privilégie parfois la quantité à la qualité. Certes, faire l’amour est finalement quelque chose d’ordinaire et on tend aussi à trop idéaliser le sexe, à trop vouloir en faire quelque chose de grandiose. Ne pourrions-nous pas juste penser que le sexe représente simplement quelque chose de différent pour chacune d’entre nous, et que le but serait d’arriver à trouver un compromis entre notre vision du cul et celle de notre partenaire?

Et justement, lorsque j’ai passé l’appel à témoignages pour cet article, j’ai eu, pour la première fois, des réponses de couple.

Pour Naïma, en couple avec Flora, le sexe est important et elle ne se sent jamais forcée à faire l’amour:

 » Pour ma part je crois que je ne me force jamais. J’ai toujours très envie de ma copine, du coup ça ne me paraît jamais être une contrainte. Parfois il m’arrive d’être préoccupée par mon boulot et je suis moins réceptive mais comme ma copine sait toujours comment me convaincre, je dirais moi aussi que l’appétit vient en mangeant. Et puis parfois ça ne m’ennuie pas de me « forcer » un peu car cela m’oblige à me sortir de mon côté d’obsédée du boulot et à prendre conscience que se retrouver en faisant l’amour est primordial. » Quant à Flora, il est arrivé qu’elle se force à faire l’amour parce qu’elle est fatiguée mais elle ajoute que « De toute façon si vraiment je ne veux pas, je préfère limite la voir bouder que de faire semblant. »

Tandis que Naïma et Flora misent tout sur la communication, Sandrine et Aline ont trouvé un compromis:

« Sinon, j’ai trouvé une parade : quand elle a envie de sexe et que je ne suis pas réceptive, je sors mon vibromasseur pour qu’elle se masturbe et je lui dis des mots doux à l’oreille, je l’embrasse, et je tiens à être quand même présente, même si l’échange corporel n’y est pas » nous confie Sandrine.

Dans le même genre de compromis, Judith nous avoue qu’elle préfère faire plaisir à sa partenaire si elle a pas envie de sexe :

 » J’ai une libido assez étrange et j’ai tendance à être prise par mes projets donc parfois, je suis pas du tout réceptive sexuellement aux caresses. J’ai envie d’un contact sensuel, mais pas de sexe, tandis que ma partenaire a une libido résistante à toutes épreuves. Du coup, je préfère lui donner du plaisir. Puis finalement, ça me va très bien. J’ai pas forcément envie d’utiliser mon sexe, je trouve parfois que ça demande trop d’efforts de concentration. Sinon je lui demande de me caresser ou me gifler les fesses. Ça me suffit et je n’ai pas d’efforts à faire. »

De ces témoignages, j’ai bien envie de relever que finalement, la réciprocité dans le sexe n’est pas une obligation. On peut avoir envie de recevoir sans donner et inversement. Sommes-nous constamment obligées de jouir ou de se faire plaisir en même temps ? Quid de l’idéalisation du sexe : l’orgasme ou le plaisir simultané?

Il y a beaucoup trop d’injonctions sexuelles. On nous impose et on s’impose un rythme, une fréquence, une qualité, une réciprocité. On s’impose un désir continu, croyant que celui-ci doit être toujours présent pour faire l’amour alors que désir et consentement sont deux choses différentes.

« Moi, je me suis très souvent forcé à faire l’amour, dans ma vie, pour ne pas blesser l’autre, pour de l’argent, pour qu’elle me fasse jouir après, pour un tas de raisons. Oui on se force peut-être tout-e-s par moment. C’est normal. Même dans le couple par exemple : elle a envie de se faire prendre, toi tu aurais préféré juste lui mettre un doigt ou la sucer vite fait mais elle veut se faire prendre, alors tu te forces. C’est pas si grave ? Le désir est une chose différente du consentement. » nous confie Arnaud.

Je pense qu’il est toujours essentiel de demander à notre partenaire si elle est d’accord pour telle ou telle pratique. Le viol, c’est l’absence de consentement, qu’il soit verbalisé ou non. On ne demande jamais assez, partant du principe que si l’autre ne dit rien c’est qu’elle en a envie, en oubliant alors qu’on peut avoir peur de dire simplement non, parce qu’on apprend pas à dire non, surtout aux petites filles. Mais aussi parce qu’on apprend pas à demander, parce que le cul, dans notre société, c’est automatique et que les absents ont apparemment toujours tort.

 » Globalement, j’ai toujours peur de me forcer dans un couple hétéro, bi, ou gay car y a une injonction au sexe dans le couple. À cause d’une certaine pression sociale, j’ai peur de frustrer l’autre, qu’il ou elle soit vexé-e ou ne puisse pas entendre pas mon refus. J’ai passé toute mes relations à avoir peur depuis mes agressions, qu’on ne respecte pas mon consentement. C’est très important que mon-ma partenaire me répète que le sexe n’est pas une obligation, que je dois pas me forcer, qu’il-elle n’est pas malheureux, triste si je n’ai pas envie » nous confie Marion.

Nancy ajoute que ce n’est que récemment, en s’impliquant plus dans le féminisme, qu’elle a approfondi la notion du consentement :

« Depuis que je m’engage dans le féminisme, je suis beaucoup plus consciente des dynamiques de pouvoir qui peuvent avoir lieu  au sein d’un couple/d’une relation, et je veille à respecter le consentement de l’autre autant que possible ! Avec ma copine ça se passe très bien sur ce plan. On parle beaucoup, je pense que ça débloque pas mal de choses. J’ai plus souvent envie de faire l’amour qu’elle, alors parfois je me retrouve dans des situations un peu frustrantes où je ne dis rien par peur de l’embêter et qu’elle ressente le cul comme une obligation, mais souvent on en parle, et si j’ai envie et pas elle, elle va me faire l’amour et puis ça s’arrêtera là. Ça me met un peu mal à l’aise parfois, mais elle m’assure que ça lui fait plaisir. « 

On vit dans une société qui ne nous apprend pas le consentement. Depuis tous petits, nous sommes forcés à obéir: « Fais un bisou à untel-le sinon tu n’auras pas de bonbons ». On apprend pas à dire non, nous devons faire ce qu’on nous dit sans aucune explication. En parallèle, tout un tas d’injonctions pèsent sur nos épaules : un couple en bonne santé fait l’amour tous les deux jours, il faut absolument avoir un orgasme dans une relation sexuelle, il faut sans cesse désirer sa/ son/ des partenaires sinon cela veut dire que la relation touche à sa fin.

Mais non. On peut faire l’amour sans désir, sans orgasme et pourtant y avoir consenti. Le tout n’est pas de se sentir forcée, d’être forcée. Il faut demander à l’autre si elle a envie de telle pratique, se dire que ce n’est pas parce que l’autre ne dit pas non qu’elle consent. Avoir en tête que le consentement n’est pas une chose tangible et facile. Que cela relève souvent du non dit, qu’on a souvent peur de dire non, peu importe d’ailleurs la demande.

Il y a peu, alors que je demandais à ma partenaire de m’accompagner à vélo quelque part car je n’avais pas envie d’y aller seule, elle m’a dit oui sans vraiment dire oui. J’ai alors insisté, elle a fini par dire non. S’en est suivi tout un exercice où j’essayais de la convaincre de m’accompagner (et cela fonctionnait) pour qu’elle arrive à être ferme et à dire me non. Elle n’en avait clairement pas envie, mais avec les yeux doux et les bonnes paroles, elle était prête à accepter. Pourquoi une telle réaction ? Peut-être parce que pour elle c’était une preuve d’amour ?

On croit parfois que céder aux désirs de l’autre est une preuve d’amour alors que c’est simplement la société qui apprend, aux femmes surtout, à hocher la tête sans conviction. L’effort, c’est avant tout au demandeur de le faire, et d’entendre le « non » sous un « oui » à demi-mot.

 

Sarah

images : fuckyeahdykes

 

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.