Minute Sapphistoire : le lesbianisme à travers l’histoire de l’occident

Au cours des dernières années voire décennies l’histoire de l’homosexualité a été le sujet de nombreux ouvrages. Malheureusement, c’est le plus souvent de l’homosexualité masculine dont il est question, les études sur l’homosexualité féminine restent, elles plutôt rares.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce vide. Le manque de sources primaires tel que les récits écrits par des femmes. La société était déjà dominée par des hommes pour qui la vie de leurs homologues ne revêtait pas grand intérêt, et qui n’ont donc pas écrit à ce sujet. Ou encore l’épreuve du temps, au court duquel beaucoup d’œuvres ont été perdues ou détruites volontairement ou non.
Le manque d’intérêt scientifique sur l’homosexualité féminine et plus largement la sexualité des femmes, ainsi qu’une volonté d’invisibilisation de celles-ci. En effet, es rares textes écrits sur le sujet ont été confrontés à la censure ainsi qu’aux interprétations sexistes gommant toute homosexualité féminine des récits.
Il y a aussi l’invisibilisation systématique des travaux des femmes au cours de l’histoire, et donc des lesbiennes et le désintérêt des chercheurs masculins contemporains ( qui sont encore en majorité ) sur ces sujets. Heureusement, les milieux universitaires se diversifiant, ces dernières décennies le champ des sciences sociales s’est doté de nouvelles analyses grâce à la présence de chercheurs et chercheuses issues des minorités qui ont apporté de nouvelles approches.

Chapitre 1 : L’Antiquité Grecque et Romaine

L’homosexualité masculine est omniprésente pendant l’Antiquité et lorsque l’on visite les musées d’histoire antique on peine à se demander si l’on n’a pas atterri au musée du phallus tant ces sociétés étaient phallocratiques par essence.

 

La sexualité dans l’Antiquité Grecque

Tout d’abord pour bien comprendre le contexte de l’époque, il faut savoir que le terme « homosexualité » n’apparaît dans la langue allemande qu’en 1869 et définit uniquement les hommes homosexuels. Avant on parlait de relations entre deux hommes ou deux femmes. Parler d’homosexualité dans l’Antiquité est donc anachronique dans un sens bien plus fort qu’on ne l’imagine.
Dans l’antiquité, la vision de la sexualité n’est pas liée au sexe ou à l’identité de genre comme elle peut l’être aujourd’hui. Si à notre époque notre sexualité est souvent lié au genre qui nous a été attribué à la naissance, afin de nous orienter vers une sexualité hétérosexuelle, les Anciens, ont une vision des choses bien différente. Ils n’ont pas de sexualité à proprement parlé, mais des pratiques sexuelles selon leur classe sociale, indifféremment du genre de leurs partenaires. En d’autres termes, les personnes ne sont pas classées selon une potentielle sexualité (homo/ hétéro/ pan/ bi tc), mais par une échelle hiérarchique (nobles/ citoyen.nes/ esclaves, etc).
Il y a certes des hommes et des femmes (et cela influe évidemment leur position dans l’échelle sociale d’une société déjà patriarcale), mais il y a surtout des dominant.es et des dominé.es, une domination représentée par l’acte de pénétration (voilà donc peut être d’où nous vient cette idée que celui qui pénètre est celui qui domine, en tout cas à l’époque celui qui pénètre est celui qui détient le pouvoir).

L’historienne Virginie Girod, le dit très bien il y a «l’homme ( et la femme)  libre dominant socialement et pénétrant physiquement à tous les autres, qui, par nature, devaient lui être soumis et pénétrés. » Il y a donc des pénétrant.es et des pénétré.es, et c’est cette vision qui va encadrer les pratiques sexuelles. Cette logique de pouvoir, s’étend aux pratiques orales/annales/vaginales. Par exemple, donner une fellation à un homme est dégradant, à l’inverse en recevoir une (d’un homme ou d’une femme indifféremment) est gratifiant. Quant au cunnilingus, c’est l’ultime déshonneur ( on ne sait pas si nos philosophes préférés avaient percé les secrets de l’existence, ce qui est sûr c’est qu’ils n’avaient pas percé ceux des femmes ). Selon son rang et sa classe, on aura de plus en plus de liberté sexuelle notamment avec celleux des classes nous étant inférieures. Une femme noble aura plus de liberté qu’un homme esclave, ou qu’un homme de rang inférieur. L’immoralité a cette époque, ce n’est pas telle ou telle pratique, mais le non-respect de la hiérarchie sociale au sein de la sexualité.

La pédérastie comme institution éducative

Durant la Rome et la Grèce Antique, la pédérastie est une institution morale et éducative, qui prend la forme d’une relation entre un jeune homme/étudiant et un vieil homme/professeur (à savoir qu’à quelques exceptions près l’espérance de vie pour les hommes était entre 35 et 40 ans et un peu moins pour les femmes). Les règles à son sujet ne sont pas les mêmes selon les cités, ainsi les âges de la majorité sexuelle des jeunes hommes diffèrent ainsi que la possibilité de relation sexuelle ou non. Cette institution devient la base de l’éducation des élites. Ce que l’on sait moins c’est que les femmes ne sont pas totalement restées sur le banc de touche.

Sparte ancienne société matriarcale ?

 

Si dans nos esprits la société spartiate est une société très virile et masculine, il se pourrait qu’en réalité, elle fût à la base une société matriarcale et polyandre (polygamie féminine : lorsqu’une femme à plusieurs époux) qui aurait été plus tard soumise au patriarcat lors des différentes invasions étrangères. Et il semble que quelques traces de cette société aient survécu au sein de la société spartiate que l’on connaît.

Plutarque écrit  : « Les femmes spartiates ont sans doute été assez irrévérencieuses et se sont sans doute comportées de façon extrêmement virile, surtout à l’égard de leurs maris, puisqu’a la maison, elles détenaient un pouvoir sans partage et qu’à l’extérieur elles intervenaient en toute liberté dans les affaires d’État les plus importantes ».
Il nous rapporte aussi qu’à Sparte par exemple, où l’éducation est obligatoire pour les hommes et les femmes, l’homologue féminin de la pédérastie existe. Si l’éducation n’a pas le même but final : former des guerriers puissants pour les premiers et des mères vigoureuses pour les secondes, l’entraînement est relativement similaire. Il faut se rappeler que pour la société spartiate le but ultime et de produire et d’élever de solides guerriers.

Les hommes et les femmes sont séparé.e.s, mais toustes deux suivent un enseignement intellectuel (particulièrement pour les spartiates qui se doivent d’être cultivées) ainsi qu’un entraînement physique, le plus souvent nu.e.s (forcément ça pousse à l’intimité).
L’homosexualité féminine n’y est pas vue comme une fin en soi mais comme un loisir qui permet soit aux jeunes filles de s’initier à la sensualité soit aux femmes d’attendre leurs époux et donc d’éviter une potentielle tromperie avec un homme (cette conception très masculine de l’homosexualité des femmes va d’ailleurs traverser les âges ). Bref, autant vous dire qu’entre ça et les entraînements nus dans la boue, elles n’ont pas dû enfiler que des perles.

Les Amazones dans la mythologie grecque

Autre figure nous étant parvenue : celle de l’amazone. Selon la mythologie grecque, les amazones auraient été un peuple de guerrières féminines. Extrêmement déterminées, elles combattaient à cheval (d’où la position équestre « monter en amazone ») et coupaient l’un de leur sein afin de pouvoir plus facilement tirer à l’arc ( cette dernière allégation pourrait cependant être dû à une mauvaise traduction des textes anciens). Autre particularité, elles auraient vécu exclusivement entre femmes, à l’exception d’une fois par an où elles allaient s’accoupler avec les hommes de la ville voisine. Au terme de leur grossesse, les garçons étaient (selon les versions) tués, mutilés ou renvoyés chez leurs pères pour y être élevés tandis que les amazones gardaient les filles.
Si elles sont aujourd’hui une figure centrale du lesbianisme, aucun récit ne fait état d’histoire d’amour ou sexuelle entre amazones. Du coup, certain.e.s d’entre vous diront que c’est pas très lesbien tout ça. C’est le cas si on considère le lesbianisme sous l’unique spectre de la sexualité, d’autant qu’ici il n’est question que de sexualité reproductive. Si on parle de relations, quoi de plus représentatif qu’une communauté autarcique de femmes prenant soin les unes des autres ?

Sappho

Parmi les figures qui ont survécu jusqu’au XXI siècle on trouve donc la fameuse Sappho qui vécu autour dès 630 av-JC. Très reconnue en son temps comme poétesse, la majorité de son œuvre n’a malheureusement pas traversé les siècles, et seuls des fragments nous sont parvenus.

À ce jour, nous ne possédons qu’un seul poème entier, grâce à Denys d’Halicarnasse, historien de l’époque, qui retranscrit l’intégralité du poème dans l’un de ses ouvrages. Ce fameux poème « Ode à Aphrodite » relate une prière que Sappho adresse à la déesse Aphrodite afin que l’élue de son cœur réponde à ses avances. Dans le fragment 94, elle fait allusion à des relations sexuelles entre femmes.

Comme toute personnalité ou œuvre ayant lien avec la question de l’homosexualité, la sexualité de Sappho ainsi que le caractère lesbien de ses écrits à très souvent été analysé comme des sentiments purement amicaux ou platoniques envers d’autres femmes. Oubliée au Moyen Age, redécouverte à la Renaissance, elle devient, à la fin du XIX, le symbole suprême de l’homosexualité féminine, son nom Sappho donne naissance à plusieurs termes :  saphisme (homosexualité féminine), saphique ( relatif à l’homosexualité féminine), tandis que son lieu de résidence, l’île de Lesbos donne vie aux termes lesbienne/lesbianisme.Pour approfondir vous pouvez aller lire les articles de Jude et Anne- Fleur à son sujet !

L’Antiquité Romaine

Si l’antiquité romaine n’est vraiment pas lesbienne friendly, on trouve malgré tout quelques pistes pour nous suggérer que celles-ci existaient bien. Des études ont permis de prouver que tant que l’Empire romain ne devient pas chrétien les amours entre femmes ne sont pas condamnées, même pour les femmes mariées. Cependant au delà de l’aspect pénale il est inconcevable pour les romains que les femmes puissent prendre du plaisir sans l’intervention d’un homme.

Martial, pour faire simple c’est un peu l’oncle Michel du repas de Noël. Il fait parti de ces romains qui ne comprennent pas que des femmes puissent refuser des hommes, et dont l’homosexualité féminine de certaines de ses congénères semble particulièrement horripiler. Dans ses écrits Il s’en prend donc à plusieurs femmes qu’il accuse de lesbianisme. La première Bassa, n’a jamais été vu avec un homme nous dit-il, et à son grand dam ce n’est pas parce qu’elle est vertueuse, mais bien parce que cette dernière préfère prendre du bon temps avec d’autres femmes. La seconde Philénis, décrite comme « la femme au pénis », autant vous dire qu’on sent d’autant plus pointer son agacement devant cette femme qui se prend pour un homme. En effet, d’après Martial celle-ci pénètrerait de jeunes hommes, et comble de l’insolence elle estimerait même que les hommes sont indignes de ses caresses orales, qu’elle réserve aux femmes.

Autre source, les écrits de Lucien de Samosate, qui nous raconte l’histoire de Mégilla et de sa compagne, qui invite un soir une troisième femme, Lééna, à les rejoindre dans leur lit. Lééna découvre alors une nouvelle facette de Mégilla, qui se présente comme le plus beau des garçons et se fait appeler Mégel, ce dernier lui explique qu’il est né « femme, mais avec les goûts et les désirs d’un homme ».

 

Pour aller plus loin :

Louise-Marie Libert , L’histoire de l’homosexualité féminine
Virginie Girod, Les Femmes et le sexe dans la Rome antique
Boehringer Sandra, L’homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine
Bonnie Zimmerman, Encyclopedia of Lesbian Histories and Cultures
Luke Roman, Monica Roman, Encyclopedia of Greek and Roman Mythology

Roxanne Valin

Globe-trotteuse et passionnément tête en l’air, elle adoucit son côté radical par son amour des chaussettes pilou-pilou et des macarons pistache. Elle parle genre, lutte des classes et patriarcat sans invitation. Sa devise « the personal is political »