La presse féminine, outil d’émancipation des femmes?

La presse féminine est légère, réjouissante, distrayante. Du moins, c’est ce qu’elle donne à voir aux femmes qui la lisent. On reproche pourtant aux magasines féminins de diffuser un double discours extrêmement contradictoire entre l’injonction à être mince avec ces numéros spéciaux sur les régimes permettant de perdre dix kilos en trois jours avant la plage et la nécessité de s’accepter tel que l’on est parce que c’est “au naturel que les hommes nous préfèrent” (Grazia).

On peut imaginer ce double discours comme récent, symbole des crispations de l’émancipation des femmes dans un monde qui reste très masculin. Pourtant, des publications récentes montre que l’injonction à la minceur dans les magasines féminins prend racine dans les années 1930 et qu’elle est alors symbole de la femme moderne. Retour sur cet apparent paradoxe.

Quand la beauté devient accessible à toutes

C’est donc dans les années 1930 que le souci de la beauté commence à être médiatisé par la presse féminine et qu’elle cesse d’être une grâce pour devenir “un but, qui, avec quelques astuces, peut être atteint par toutes les femmes” (Marie-Claire, 1931). Face à un marché de masse naissant, dans lequel l’envie est institutionnalisée et la consommation apparaît comme un remède à tous les maux, le rôle majeur de cette presse a été de transmettre aux femmes l’idée que la beauté doit être le signe d’un travail visible sur le corps. Dans cette perspective, la presse féminine ne se limite pas à prescrire aux femmes des régimes alimentaires ou des règles de beauté. Elle leur apprend également des styles de vie, des disciplines intérieures, des organisations rationnelles de leur emploi du temps.

En s’adressant aux femmes, les magazines féminins repèrent un champ d’objets sensés intéressés “la femme”. Ils donnent pour acquis des attentes, des expériences vécues, des nécessités partagées. Ce faisant, ils contribuent à la reproduction d’un sujet “femme” qui rendrait donc toutes les femmes semblables par leurs centres d’intérêt, leurs existences, leurs difficultés. Ce mythe de la femme qui court après la beauté permet dès lors de préserver le pouvoir des hommes face à la montée de l’indépendance économique des femmes.

D’après le critique d’art John Berger “les hommes regardent les femmes. Les femmes se regardent elles-mêmes en tant qu’objets de regards. Ceci détermine le rapport entre hommes et femmes mais aussi le rapport des femmes avec elles-mêmes.” mettant ainsi en exergue comment les magasines féminins transmettent aux femmes le regard qu’elles portent sur leur être. Il ne faut donc pas réduire le rôle des magasines féminins à un simple miroir des intérêts et des opinions d’un certain groupe social à une époque donnée. Ils contribuent plutôt à créer ces intérêts et l’autodéfinition même du groupe que constitue les femmes.

L’objectif du corps idéal : un moyen d’émancipation?

La presse féminine s’insère donc la construction d’une “nouvelle silhouette idéale” pour les femmes de l’entre-deux-guerres. Les proportions d’un corps idéal s’amincissent au fur et à mesure. Le corps des femmes doit alors s’étirer, s’amincir, se raffermir. Ce n’est pas un hasard si la chirurgie esthétique gagne en visibilité à la même époque. Plus précisément, au fur et à mesure que la mode rend le corps féminin plus visible, les vêtements raccourcissant toujours davantage et la mode du maillot de bain se répandant sur les plages, les corps féminins doivent être “plus beaux qu’ils ne l’ont jamais été “ (Marie-Claire, 1938).

L’enjeu n’est pas voilé : le fait de garder la ligne acquiert la signification économique de la conquête de son propre corps par les femmes de la bourgeoisie. C’est que la vie “artificielle” et “sédentaire” alourdit la silhouette des femmes. Le travail de bureau et l’enfermement dans la ville deviennent les ennemis principaux de la minceur et de la beauté. C’est pour cela que les magazines préconisent l’achat d’une résidence secondaire à la campagne et la nécessité de ne pas travailler tout en ayant un époux qui vous “offrira les belles parures dont nous rêvons toutes” (Elle, 1927).

Ce n’est pas par hasard que cette culpabilisation des femmes sur leur apparence physique apparaisse dans l’entre-deux-guerres: même si elles n’ont pas encore obtenu le droit de vote, elles acquièrent pendant ces années une visibilité cruciale dans l’espace public. Citons par exemple la diffusion massive du travail salarié et l’accès aux loisirs publics. Dans ce contexte, la minceur peut être choisie afin d’incarner des valeurs jusque là essentiellement perçues comme masculines : la rigueur, le contrôle de soi, la maîtrise. On ne peut donc pas exclure qu’à l’époque, la minceur soit perçue comme une expérience libératrice des carcans sociétaux, mettant par exemple à distance le culte de la maternité et de ses rondeurs.

Mais on peut aussi avancer que le corps mince et “travaillé” devient une partie du bagage désirable des femmes modernes justement à cause de la discipline qu’il requiert. C’est d’ailleurs dans les périodes de bouleversement des genres et des hiérarchies sociales que l’imaginaire du corps féminin change le plus radicalement.

Finalement, la presse féminine semble par essence prise dans ce discours antinomique entre cette croisade contre la négligence physique qui s’incarnerait par le surpoids et la volonté de professer une rhétorique de l’émancipation. Est-ce que ce paradoxe a bouleversé le rapport entre les deux sexes? De toute évidence, non. La souplesse de la femme, prête à transformer son corps s’inscrit en effet à l’époque et encore de nos jours en opposition à la force de l’homme qui, lui, résiste et ne change pas d’avis au gré des circonstances ou des modes. Pas très féministe donc, la presse féminine.

 

 

Marie B.

Accro au Scrabble, aimant les rousses façon Faye Reagan, Marie affectionne au moins autant la politique que les romans fin de siècle.