Histoire de la fesse en Occident : petit tour d’horizon cul(turel)

La fesse, objet de fascination et de désir, de dégoût et de tabou, tour à tour exposée ou refoulée, a une longue histoire culturelle qui n’a certainement pas attendu Kim Kardashian et les butt selfies. Un des premiers objets artistiques connus est la Vénus de Willendorf – une statuette du Paléolithique plus que bootylicious.

Une obsession ancienne, donc, même lorsqu’il n’y avait pas encore d’internet à casser. De Rubens à Ingres, de Velázquez à Corot, la représentation de nus féminins, fesses bien en vue, n’a cessé de jouer avec la fascination qu’exercent ces rondeurs à la fois hautement érotisées et implicitement ou explicitement interdites, du fait de leur proximité immorale avec le saint des saints ou leur association avec des fonctions corporelles taboues (saluons au passage Freud et sa théorisation du stade anal).


Vénus hottentote par Saartjie Baartman

Côté masculin, les fesses ont toujours fait partie intégrante d’un idéal esthétique hérité de la Grèce antique et transmis à travers la peinture et la sculpture de la Renaissance. La fesse masculin, moins immédiatement sexualisée, s’intègre plus discrètement dans une conception virile d’une perfection autant morale que physique. Le derrière masculin musclé n’est certainement pas offert aux regards comme marchandise érotisée de la même façon que le nu féminin a pu l’être. Mais ici aussi, la représentation fessière a été un moyen d’exprimer discrètement une sexualité qui n’ose dire son nom. Nombre d’artistes, de Donatello à David Hockney ont représenté des corps qu’ils n’auraient pu admirer ouvertement – et la fesse masculine a ainsi aussi pu servir de code visuel à destination d’un public homosexuel.

Socio-politiquement, le XIXe siècle cristallise parfaitement les contradictions obsessionnelles dont nous continuons à hériter. Siècle d’accélérations industrielles et de repli moral, il a perfectionné à la fois l’emprisonnement du corps féminin blanc et bourgeois et les théories scientifiques racistes dont les régimes fascistes du XXe siècle se sont faits le prolongement. Le corps, et tout ce qui fleure un tant soit peu la bestialité, devient à cette époque hautement suspect; les femmes respectables sont des anges dans la maison, des modèles de vertu domestique, des madones, et tous leurs attributs sexuels doivent être refoulés autant que possible – ni les seins ni les fesses ne débordent de la nouvelle respectabilité bourgeoise.

Au même moment, l’Europe s’enflamme pour les corps considérés comme hors norme de ce qu’on appelle alors les races inférieures. L’exemple le plus tragiquement célèbre est celui de Saartjie Baartman, surnommée la « Vénus hottentote » ; capturée en Afrique du Sud et vendue comme esclave, cette jeune femme d’origine Khoïsan fut exhibée à partir de 1810 comme bête de foire à travers l’Europe pour la taille et le rebondi exceptionnels de ses fesses, dansant à moitié nue devant un public pour lequel un tel corps n’était qu’à quelques degrés d’une sexualité animale débridée.


Vénus de Willendorf

Et nous n’en avons pas fini avec ces contradictions ; dans notre culture à dominante raciste et patriarcale, les femmes racisées sont encore représentées comme objets à la fois de désir et de mépris pour leurs corps et leurs sexualités supposément débordants. Et la fesse, surfant à nouveau sur une vague de sur-érotisation, redevient objet de fascination et vecteur de célébrité sur Instagram quand des femmes blanches s’approprient cette sexualisation d’une manière qui oscille entre le #empowerment et l’auto-marchandisation. Partout ce cul, plus fantasmé, plus rebondi, plus exhibé que jamais, tout pétri de maints imaginaires et d’injonctions contradictoires.

Texte issu du fanzine #20 spécial Fesse(s) 

Kit

Kit est un croisement entre ta prof de lettres préférée et un monstre sous-marin tentaculaire énervé et misandre, un animal hybride qui hante les bibliothèques et les failles spatio-temporelles.