Comment sortir de la sexualité pour mieux y revenir ?

De la révolution sexuelle à Sex Education, de la Grèce antique à 2020, privée ou publique, la sexualité est le sujet le plus évoqué, fantasmé, recherché et vendeur. Si on en parle plus, en parle-t-on mieux ? Et surtout qui en parle ? Et pour qui ? Parvenons-nous à produire autre chose qu’une sexualité binaire et organique? Et au fait qu’est-ce que la sexualité ?

Impossible de passer à côté de la saison 2 de Sex Education : critiques unanimes, déferlante de promo, tout le monde en a parlé y compris les non hétéros. Moi aussi, j’ai bingé la série et pourtant subsiste un goût amer, après le divertissement et la satisfaction de voir à l’écran des sujets tels que le consentement, le harcèlement ou encore la sororité. Et lorsque j’entends ma communauté s’émerveiller des représentations queer de Sex education, je me sens bien seule. Sous l’esthétisme cool et la jeunesse rebelle qui fait fi des normes, qui sont les queers de Sex education ?

photos : iel était une fois

Il y a Eric et Adam, dont la principale relation est une relation de harcèlement et de culture du viol. Alors oui, Adam subit une pression énorme du méchant système patriarcal et de son père et si cela peut expliquer son comportement, en aucun cas il ne saurait être une excuse. La saison 2 de la série préfère montrer une relation gay sur le principe binaire dominant/dominé où l’amour serait dû au syndrome de Stockholm plutôt qu’à un partenaire doux, aimant et compréhensif qu’incarne Rahim. Bien évidement on peut  évoluer, mais est-ce nécessaire de ne parler d’homosexualité qu’en termes de domination, de souffrance et de projection hétéro ? La maltraitance, les coups, les humiliations, ce n’est pas de l’amour.

Et il y a Ola et Lily, le couple de lesbiennes le plus ingénieusement pétrie de lesbophobie invisible. Ola dont la queeritude vestimentaire  n’aura surpris personne a une relation avec Otis qui est amoureux de Maeve. Curieusement, le désir d’Ola envers Lily surgit pile au moment où elle est déçue par Otis. Dans le fantasme hétéro, le lesbianisme c’est être déçu.e par les hommes cis, tant il est impossible de vivre sans eux et ne pas dépendre de leur validation. Lily, c’est la fille excentrique obsédée par les aliens et la sexualité phallique. Et même si j’ai adoré l’esthétique de son opéra cosmique, passé le plaisir visuel, j’ai été frappé par l’omniprésence de la théorie freudienne. Pas étonnant donc que les psys recommandent la série aux ados ! Non, parce que la lesbienne obsédée par les bites, ça ne vous rappelle rien ? Freud et sa théorie de l’envie du pénis, ce grand moment de frustration dans la vie d’une petite fille lorsqu’elle découvre que son sexe a été tronqué et qu’il lui manque quelque chose.

La scène de sexe entre Ola et lily donne raison à la thèse freudienne de l’absence de pénis et de l’hystérique qui, au travers du symptôme de paralysie, restitue l’existence d’un pénis fantasmé, incorporé. En effet Lily révèle à Ola qu’elle souffre de vaginisme, « une contraction musculaire prolongée ou récurrente des muscles du plancher pelvien qui entourent l’ouverture du vagin » et lui explique comment elle se masturbe en stimulant son clitoris. Scène suivante : Ola et Lily se masturbent côte à côte jusqu’à l’orgasme. Cette  scène est plutôt cool en soi, je veux dire se masturber c’est de la sexualité et le faire avec sa/son/ses partenaire.s c’est hyper excitant parce qu’intime. Sauf que la lesbienne qui souffre de vaginisme et qui se masturbe comme seule illustration de la sexualité lesbienne franchement, avec un programme aussi vu, ça me laisse plus que songeuse! Véhiculer l’idée que le sexe entre gouines n’est que masturbation, donc sexe incomplet pour la théorie et le régime politique hétéro, c’est asseoir le modèle hétéronormatif.

Lula Hyers

Sex education, c’est l’inclusivité au rabais où comment être charitable avec les minorisé.e.s et leur donner des miettes. Isaac, le voisin handicapé de Maeve en est le parfait exemple. C’est peut-être révolutionnaire pour les privilégié.e.s mais avoir recours à un.e comédien.ne noir.e, queer, handi, etc. pour jouer son propre rôle c’est le minimum syndical. Ce n’est pas audacieux, c’est juste normal. C’est un peu comme les hétéras qui s’enorgueillissent si leur mec fait la vaisselle. La manière dont est traité le personnage d’Isaac est validiste et négative. Il est évident qu’il se noue entre elleux un lien émotionnel intense et aucune critique n’émet l’hypothèse qu’il peut être amoureux d’elle, en excluant par là-même les handi du champs de l’amour et de la sexualité. Non, ce qui est évoqué c’est qu’il veut la protéger d’Otis. Parce que les femmes ont toujours besoin d’être protégées, évidemment. Et faire jouer le mauvais rôle à Isaac, celui qui sépare le couple hétéro, c’est perpétrer la culture validiste de l’handicapé.e qui est l’œuvre du diable et indigne d’être aimé.e.

Derrière cette vitrine alléchante, tous les clichés normatifs sont maintenus, pis encore, ils donnent l’illusion d’une société plus inclusive parce qu’on parle une minute d’asexualité et qu’il y a des gays, des lesbiennes et un handicapé (mais où sont les trans ?). Et c’est le parfait fonctionnement du féminisme médiatique, ce féminisme fait pour les blanches hétéras cis bourgeoises valides qui ne veulent surtout pas changer de système mais récupérer  leur part du gâteau. Avec cette attitude condescendante des dominant.e.s qui se posent en sauveur et font de leur existence hyper normée un modèle universel excluant et rejetant de fait ce qui ne leur est pas conforme et identique. Si le mouvement #MeToo a permis de poser le féminisme comme une nécessité politique et de susciter un regain d’intérêt pour les plus jeunes, en aucun cas il n’a permis de remettre en cause le régime hétérosexuel.

Corinne Cumming

La seule chose qui a changé depuis les années 1970, c’est que d’autres ont déjà préparé le terrain. Ces autres ce sont les gouines qui très vite ont été exclues du mouvement des femmes parce qu’elles remettaient en question, de par leur simple existence, la légitimité de l’hétérosexualité. Aujourd’hui, le féminisme dont on parle le plus tolère les gouines parce qu’il y a eu Wittig et les Gouines rouges mais il ne remet toujours pas en question le régime hétérosexuel. Le problème de certaines hétéras c’est qu’elles ne supportent pas de ne pas parvenir à se passer des hommes cis et qu’il leur est en même temps inconcevable de relationner avec eux en étant totalement satisfaites. Et plutôt que de  remettre en cause ce système, elles préfèrent reporter leur souffrance sur les queers et plus précisément en ce moment sur les femmes trans. Ça donne une Marguerite Stern par exemple qui reporte sa haine des mecs cis sur les femmes trans (à cause d’un essentialisme génital totalement absurde). Ou une Maïa Mazaurette empêtrée dans sa névrose hétéra qui s’auto-proclame spécialiste du cul et se sent menacée par les queers.

Parler de sexualité lorsqu’on est blanche et hétéra et découvrir que soudain le clitoris existe et que la sexualité phallocentrée n’est pas épanouissante comme si on venait de découvrir une planète bleue habitée dans notre galaxie, pour moi, gouine, ce n’est pas révolutionnaire. Axer la sexualité autour du clitoris, comme ce fut le cas avec le pénis, s’inscrit purement dans la binarité de ce système patriarcal, hétéro et cisnormé, capitaliste et validiste. Pas toutes les femmes ont un clitoris (les femmes trans, les femmes qui ont été excisées, les personnes intersexe). Et qu’en est-il pour elleux ? Sont-elleux autorisé.e.s à avoir une sexualité ?  La sexualité se résume-t-elle aux organes génitaux ?

Lula Hyers

Comme s’il fallait à tout prix rentabiliser nos corps et les ériger en outils de plaisir et d’orgasme pour rendre ce système plus supportable. Les organes génitaux sont des outils du patriarcat car ils servent à procréer et maintenir ce système oppressif et tout ce fétichisme sacré autour des organes génitaux exprime pour moi une impasse et névrose hétérosexuelle. De Foucault à Califia, la sexualité reste le terrain de la chair, du génital, du matérialisme. De la performance à la subversion, que recherchons-nous réellement ? La sexualité est supposée être l’épanouissement de la rencontre de deux ou plusieurs corps. Dans l’hétéro-patriarcat, elle assure la reproduction et le maintien des oppressions. Nous, queers, sommes-nous pour autant parvenu.e.s à sortir de cette binarité ? Si les pratiques sont devenues des performances, nous sommes-nous défaits des normes sexuelles ?

Si la sexualité ne se résumait qu’au plaisir, la masturbation pour moi serait suffisante et tellement plus efficace. Or, le modèle imposé de la sexualité et du plaisir est une injonction à l’altérité comme seule condition valide de l’orgasme épanouissant et complet.  J’envisage la sexualité comme un lieu d’échanges et de découvertes pas comme une nécessité de besoin de validation de l’autre. Lorsque j’éprouve du désir charnel, je cherche à être proche de l’autre, créer un lien, avoir une intimité. La masturbation nous permet de saisir notre corps et comprendre ce qui nous procure du plaisir organique mais aussi d’explorer nos désirs. Être intime avec soi-même, proche de ses émotions, accepter sa vulnérabilité, autant de conditions essentielles pour établir des connexions intimes et profondes avec l’autre. Mais ce n’est pas ce qui est abordé en général dans la sexualité où le génital devient performatif et l’émotionnel subalterne, voire optionnel. Toujours cette dichotomie binaire entre la matière et l’esprit. La sexualité n’est-elle qu’affaire d’échanges de fluides et de matières ? Où est le champ des possibles entre le cul et l’amour ?

Maisie Cousins

Comme avec le langage et les mots, je me sens limitée dans mon corps pour exprimer mes émotions.  Ce qui est érotique pour moi ce sont ces émotions provoquées par le désir et/ou le contact à l’autre. On ne parle jamais de nos émotions sexuelles et désirantes, de ce que l’on ressent lors de l’expérience émotionnelle et sensitive de l’orgasme. Pour moi, l’orgasme est un moyen de me saisir moi-même entièrement, c’est un média de connexion entre ma matière et mon esprit pour expérimenter mon existence globale, détruisant le postulat binaire patriarcal de la dichotomie corps/esprit. Jouir avec l’autre, c’est une possibilité concrète de ressentir l’invisible qui nous lie à lui aussi. J’ai longtemps envisagé la sexualité comme un outil de plaisir organique parce qu’il me permettait de saisir ma chair et que j’ai toujours eu du mal à ressentir mon corps, étant plus proche de mes émotions. Je lie cela au fait d’être autiste mais aussi et surtout à ce système patriarcal capitaliste binaire hétérocisnormé et validiste que je désirais alors toujours inconsciemment.

Nous sommes sans cesse contrôlé.e.s par les normes y compris émotionnellement. Les émotions influent et modifient notre matière et sont une source extraordinaire d’informations sur notre rapport au monde. Nous n’avons pas appris à y prêter attention  ni à être l’écoute de ce monte intérieur, de cette intelligence émotionnelle. Réduire la sexualité à l’organique, c’est reproduire le cis-tème patriarcal capitaliste et se trouver à nouveau dans une impasse de frustrations et de brouillard émotionnel. Parce que le rapport à l’autre, c’est avant tout de la communication et la capacité personnelle à la compréhension émotionnelle. Partir à la rencontre de l’autre c’est être confronté.e à sa matérialité mais surtout à ses émotions. La sexualité réduite à la matière nous entrave dans nos désirs et nous réduit à nos identités et au fantasme essentialiste. Tant que nous n’aborderons pas le domaine réel de l’intimité émotionnelle et que nous ne lui accorderons pas une place dans nos vies, ce système perdurera. L’émotion est ce qui nous permet d’être en relation directe avec nous-mêmes, le monde et d’expérimenter la liberté or le pouvoir des normes mises en place est de nous tenir à distance de nous-mêmes et donc des autres.

La sexualité c’est la rencontre de la matière et de l’émotion, c’est le désir d’un lien profond à soi et à l’autre, d’un échange intime et vrai. L’injonction au génital dans la sexualité est limitant, entravant et cantonne le plaisir au capitalisme patriarcal hétérocisnormé validiste. Le plaisir n’est pas une obligation génitale car on peut éprouver du plaisir à être avec une personne, échanger avec elle, être au contact de ses émotions et cette expérience si intime et sensorielle surpasse la simple expérience génitale. Tant que la sexualité sera génitalocentrée, elle s’inscrira dans l’hétérocisnormativité patriarcale, capitaliste et validiste, et pour moi l’analyse queer peut permettre la remise en question du génital grâce à la contestation de l’hétérocisnormativité et de la neurotypie. Et ça, c’est hyper excitant et profond !

 

Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.