Lesbophobie ordinaire en milieu féministe

Cet article date de quelques mois. Et pourtant il est encore plus d’actualité. Alors qu’on parle de plus en plus de féminisme, le régime hétérosexuel résiste de toutes ses forces aidé par les hétéras. Que ce soit Marguerite Stern ou dernièrement Maïa Mazaurette, certaines féministes hétéras rejettent le queer et perpétuent l’oppression dont elles sont victimes, empêtrées dans le régime héterosexuel, tiraillées entre leur impossibilité à se défaire du patriarcat et leur dépendance aux mecs cis, elles défendent en bon soldat leurs privilèges de femmes blanches cis hétéras bourgeoises racistes grossophobes et validistes coûte que coûte.

Le manque de solidarité de nombreuses féministes avec les lesbiennes et les bies me laisse un peu perplexe. Pourquoi certaines féministes ont-elles constamment besoin de préciser qu’elles ne sont pas lesbiennes ? Et la sororité dans tout ça ?

Comment osez-vous penser que je suis hétéro ?

« les féministes ne sont pas toutes lesbiennes, moi je suis hétéro »

L’écriture de cet article me vient en réaction à un discours féministe qui m’a souvent gêné. Une copine sur son profil facebook qui explique que les féministes ne sont pas toutes “des lesbiennes qui montrent leurs seins avec des poils sous les bras”, une intervenante en conférence qui veut prouver que les féministes ne sont pas toutes “anti-mecs », des podcasteuses qui rappellent toutes les quatre secondes qu’elles sont hétéras…
Alors oui, le patriarcat a largement et durablement implanté dans les esprits que les féministes étaient des lesbiennes vieilles filles moches poilues sorties des années 60. Mais ne serait-ce pas aussi le patriarcat qui laisse penser certaines qu’il faut être jeune-hétérosexuelle-épilée pour se déclarer féministe* ? La stigmatisation associée au terme féministe les pousse visiblement à revendiquer leur éloignement vis-à-vis des clichés qui entourent les féministes.
Bien sûr que ces clichés sont sexistes et qu’ils doivent être dénoncés. Mais ils ne doivent en aucun servir de carte de visite type « moi, féministe surtout pas lesbienne » pour asseoir une légitimité. C’est problématique de ne pouvoir se dire féministe qu’au prix de se différencier des féministes lesbiennes (et des féministes non-épilées !).

* J’imagine la pression qui incite à se différencier de modèles féminins stigmatisés peut être dû à entourage très machiste et une confrontation forte à des remarques, ou à un féminisme “récent” qui fait qu’on n’“assume” pas encore tout à fait, puisqu’on avait avant soi-même une conception négative du féminisme.

Ne pas jeter la sorcière avec le reste du chaudron

Le patriarcat invite à stigmatiser le féminisme (la “terreur féministe” menaçant la terre) en le renvoyant à d’autres figures féminines stigmatisées, toutes celles qui échappent au « marché de la bonne meuf » (ces sorcières de lesbiennes, vieilles, célibataires). Celles qui luttent contre la domination masculine sont associées à  celles qui n’ont pas besoin sexuellement des mecs cis hétéros, qui ne cherchent pas à leur plaire ou qui ne leur servent pas à se reproduire. Le patriarcat fonctionne comme un mec relou dans un bar : il te drague et quand tu lui dis non, il te dit que t’es moche-pas-cool-lesbienne-ou-quoi. Donc la moindre des choses, de la part de nos copines féministes hétéras, ce serait de ne pas réitérer ce discours, y compris sous forme argumentative édulcorée.

«On veut juste répondre aux mecs qui pensent que toutes les féministes sont lesbiennes »

Est-ce qu’on s’en fout pas un peu d’argumenter auprès des mecs  qui pensent que toutes les féministes sont lesbiennes ? Est-ce que c’est plus important que la sororité avec les copinettes bies et lesbiennes ? Je suis désolée, mais les mecs qui pensent encore que toutes les féministes sont lesbiennes et qui vous le disent, c’est soit de la grosse provoc, soit un gros déni de toute l’ère post Me Too. Donc envoyons-les chez Angèle balancer leur quoi, si elle a la patience de s’en occuper.

Si vous avez un sang-froid pédagogique à tout épreuve, vous pouvez leur dire qu’il y a des hommes féministes par exemple, ou mieux vous leur expliquer pourquoi leur remarque est sexiste. Mais faut-il continuer à dire ces phrases ?
« Il n’y a pas que des lesbiennes féministes, moi par exemple je suis hétéro »,«  On n’est plus dans les années soixante, toutes les féministes ne sont pas lesbiennes », etc.

On devrait s’excuser d’être lesbienne et féministe parce que ça nuit à votre argumentaire ? Imaginez : « je vais me taper des mecs en fait parce que là je dessers le féminisme, je renforce le cliché ».

Non, ce qu’on devrait faire, c’est ne plus accepter cette lesbophobie ordinaire. Quand vous dites ces phrases, vous montrez votre peur d’être perçues comme lesbienne. Vous avez peur que l’on identifie votre groupe militant aux lesbiennes. Vous avez peut-être peur d’être lesbienne tout court. Vous avez intériorisé le fait qu’être lesbienne, c’est pas bien.

Pas besoin de faire de la charité

Quand vous faites une remarque lesbophobe ou que vous avez  un discours très hétérocentré et qu’on vous le fait remarquer, mieux vaut ne pas faire comme si les lesbiennes étaient des petits chatons à protéger et que ce n’est pas ce que vous vouliez dire. [C’est par ailleurs vrai que beaucoup de lesbiennes sont des chatons et / ou ont des chats, mais ce n’est pas l’enjeu de cet article.] Pas la peine de dire « pardon, je suis pas du tout homophobe, j’ai plein de potes lesbiennes » (sic), « j’adore les lesbiennes, ce que je voulais dire c’est», « non mais les lesbiennes ont été super importantes pour le féminisme », « c’est génial d’être lesbienne »


Ce qui me dérange là-dedans c’est de considérer le fait d’être lesbienne comme un truc hyper extérieur à soi, une catégorie à bien délimiter et à mettre de côté par tous les moyens. Non seulement cela peut irriter des lesbiennes et des bies, mais cela peut aussi inhiber des personnes qui s’interrogent sur leur sexualité ou qui ont des difficultés à l’assumer.

L’énigme

« Mais c’est vrai qu’il y a quand même beaucoup de lesbiennes dans les milieux féministes ». Ce n’est pas le sujet… Mais si vous vous posez la question, oui bien sûr, il y a pas mal de lesbiennes féministes. Ce n’est pas automatique (!), on trouve aussi des lesbiennes misogynes voir lesbophobes. Mais si de nombreuses lesbiennes deviennent féministes, c’est qu’elles sont confrontées à une double dose de misogynie, celle associée à leur genre et à leur sexualité. Natacha Chetcuti-Osorovitz montre dans Se dire lesbienne que toutes  les lesbiennes qu’elle a interrogées sont passées par des moments d’interrogation sur leur genre (ex : mais c’est vrai que je jouais à action man quand j’étais petite). La société leur renvoie qu’étant lesbienne, elles ne sont peut-être pas vraiment des femmes. Ces interrogations et oppressions liées à leurs parcours de genre et de sexualité minoritaires poussent davantage à réfléchir aux normes et peut-être une envie plus forte de les remettre en question. Cela peut contribuer à expliquer pourquoi on trouve beaucoup de personnes lesbiennes et bies dans les milieux féministes. Ce qui est sûr, c’est qu’elles n’ont pas du tout envie d’être confrontées à de la lesbophobie de la part de leurs consoeurs hétéras.

Je suis énervée contre le patriarcat, pas contre les féministes. J’imagine que, selon son entourage, se dire féministe est plus ou moins facile et que s’éloigner des clichés est un premier mécanisme de défense. Est-ce que faire comprendre aux mecs cis-hétéros qu’il y a des féministes hétéros leur permettrait de comprendre que le féminisme n’est pas un automatisme lié à la sexualité d’une personne et qu’ils peuvent l’être aussi ? Hélas, il y a fort à parier que l’argument les fassent au mieux distinguer les “bonnes féministes” (les hétéros), des “pas bonnes”, les clichés (les lesbiennes).


La société nous fait intérioriser de hautes doses de misogynie, de lesbophobie, de transphobie, de racisme. C’est pourquoi nous devons, y compris aux sein des luttes féministes, penser nos combats et nos discours de manière inclusive.

Longue vie aux féministes lesbiennes poilues, et à tou·te·s les autres !

Gertrude
Bie au poil mi-long, croisement entre une gouine rouge et bébé chat. Enragée contre le patriarcat mais ne mord pas.