La société, mon corps et moi (partie 3)

Ce texte est un témoignage spontané sur le rapport que j’entretiens avec mon corps et son évolution depuis que je suis toute petite. Il est le résultat d’une réflexion personnelle que je mène depuis plusieurs années. Je ne suis en rien la porte parole de toutes les autres personnes qui luttent au quotidien avec leurs corps mais nous avons en commun notre espace ( le corps) privé devenu public.

( Première partie ici, seconde partie là )

Il y a deux ans, j’ai arrêté de me raser les poils, j’ai tout laissé pousser. J’ai commencé par les aisselles. Je vous raconte pas les remarques des hommes dans ma famille. Dès que je levais le bras, j’avais l’impression de montrer ma vulve. Je me souviens que mon père m’a même demandé si je voulais devenir un mec. J’ai gueulé.

J’ai laissé pousser les poils des jambes aussi. J’ai la chance d’être entourée par des personnes bienveillantes qui partagent la plupart de mes idées alors ce n’est pas difficile à vivre au quotidien. C’est quand je descends dans le sud ou entends parfois certaines remarques, que j’en peux plus, que je bouillonne, que j’ai envie d’être violente.

Pourquoi est-ce qu’on fait chier les femmes avec les poils, de simples poils ? C’est hors de ma portée de compréhension, je ne cherche plus à leur trouver des excuses, j’essaie de les envoyer balader.

Dans tout ça, le fait d’être en dépression n’aidait pas; je continuais à avoir une image hyper négative de mon corps. Puis j’ai commencé à poster des photos de moi à poil sur un blog et à faire des photos d’autres nanas. Ça m’a fait du bien. Ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai commencé à faire des projets vidéos, j’ai écrit ce film porno lesbien, et même si j’avais une image négative de mon corps, au jour le jour, je semblais aller mieux.

Au printemps de l’année dernière, je sortais de ma dépression, je me sentais plutôt bien dans mon corps et j’acceptais aussi que je n’étais plus obligée de me forcer à sortir. Tout ce temps de dépression avait fait mûrir en moi quelque chose et je ne suis plus jamais sortie comme avant. Certes, je me suis beaucoup dé-sociabilisée mais je ne pouvais plus sortir. L’idée d’aller dans une soirée ( lesbienne) provoquait en moi des angoisses et si je savais que j’allais sortir, il me fallait des mois pour me préparer mentalement. Parfois, j’avais envie de pleurer lorsque j’étais sur place, je n’y arrivais pas, c’était trop dur.

Ça a commencé à aller mieux et je suis ressortie doucement mais plus comme avant; je préfère me préserver. J’avais tendance à être tout ou rien: soit restée cloîtrée chez moi pendant des semaines puis sortir beaucoup à nouveau pour me retrouver encore dans un état émotionnel catastrophique. J’ai fait de nombreuses crises, bref, ce fut long et dur et même si je me foutais à poil sur le net, je n’étais pas si bien.

Puis je me suis rendue compte que je ne voulais plus faire des photos sexy de moi à poil mais des photos drôles. Je n’avais plus envie que ma nudité soit sexualisée, je voulais que mon corps sont juste mon corps, tel qu’il est et tel qu’il était quand je suis née. Alors j’ai arrêté de faire des photos sexy de moi.

Puis j’ai encore perdu du poids, toutes mes fringues étaient trop grandes pour moi, je déambulais dans la rue comme un sac à patates, j’avais une vision de moi totalement fausse, j’avais une véritable distorsion de mon image.

Je ne voulais pas acheter de nouveaux habits car j’avais peur de regrossir, j’avais peur aussi d’être à nouveau sexy en portant des fringues à ma taille. Ma libido a complètement chuté, je voyais en toute personne qui me disait que j’étais belle l’ennemi, le patriarcat. Je ne supportais plus quand ma copine me trouvait jolie ou sexy, je n’y arrivais plus, j’avais envie de mettre tous ces compliments de merde à la poubelle. J’avais besoin qu’on me dise que j’étais intelligente, pertinente. Je ne voulais plus avoir de corps, j’étais à nouveau hors de lui.

Je ne me suis pas masturbée pendant près de 6 mois, j’ai refusé toute forme de sexualisation, voire même toute forme de sexualité et bien que je n’étais plus en dépression, c’était difficile. Puis je me suis rappelée une conversation avec ma nièce de 11 ans à qui j’avais dit qu’elle était mignonne et qui m’avait dit “ dis pas que je suis mignonne”. Je me souviens que la fois d’après je lui avais dit qu’elle était intelligente, elle m’avait alors dit merci.

J’avais compris.

On passe toute notre vie à nous complimenter seulement sur notre physique ou même sur le fait que qu’on est gentille et discrète mais pas un mot sur notre intelligence. En même temps on nous traite de cruche ou de salope si on est trop maquillée ou si on fait trop féminine. Il n’y a qu’à voir comment les youtubeuses beauté se font bâcher à longueur de temps. On pense pas que le problème ne vient pas d’elles mais de cette foutue de société qui te force à faire tout et son contraire, à être quelque chose qui n’existe pas. Parce que c’est quelque chose qu’on nous demande d’être, pas quelqu’un.

Ces derniers mois je ne supportais plus de me sentir désirable et sexy, tout en voulant avoir un corps parfait. Je me suis retrouvée dans un des pire casse-têtes de ma vie. J’ai l’impression que mon corps ne m’appartient pas vraiment, j’ai l’impression que je passerai toute ma vie à tenter de trouver des moyens de me le réapproprier et j’essaie de me dire que ces moyens là me feront du bien, qu’il n’y a que ma propre perception qui peut changer, que celle de la société, je n’y arriverai jamais.

Je ne peux pas dire que ce n’est pas grave, car ça me bouffe de l’énergie émotionnelle tous les jours, mais que c’est mieux pour moi, d’accepter qu’il faille me réapproprier mon corps à coups de tatouages, d’expériences capillaires et de tissu aérien (parce que je commence le tissu aérien en septembre et que je sens que ça va me faire du bien), plutôt qu’accepter le compromis.

Tout sauf le compromis.

 

Photos : Ahsley Armitage

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.