Charlotte de Bruges, gouine de l’apéro

Charlotte de Bruges, comme les chocolats (c’est un pseudo hein !), sera présente le 27 juin prochain  pour une table ronde « gouine de jour vs gouine la nuit » pendant le cycle We Luv Gouine. Militante 2.0 elle manie l’humour comme personne d’autre. Attention rencontre lol et enrichissante !

Charlotte de Bruges est née avec la manif pour tous. Profondément agacée par le ton des propos, elle envoie des mails trollesques à l’Institut Civitas et obtient des réponses de haut vol. Face à la violence des débats, son arme est l’humour et la dérision. Depuis, elle continue sur les réseaux sociaux, plus spécialement avec son tumblr et décortique l’actualité à coup de paint drôles, féministes et ça fait du bien ! En attendant de la retrouver le 27 juin à 20 h 30 à la Bellevilloise, nous l’avons rencontré.

 

Les débats autour du mariage pour tous ont été très violents. Comment as-tu fait pour gérer la colère ? L’humour te permet-il d’évacuer totalement toute cette violence homophobe décomplexée ?

C’est très exactement la colère qui m’a motivée. Je ne crois pas que la colère doivent être absolument gérée, canalisée, je crois au contraire qu’il est nécessaire de montrer sa colère, surtout quand on n’est pas un homme cisgenre, dont la colère est considérée comme un trait de caractère viril. Le contexte « mariage pour tous » en France était en effet ultra violent pour les communautés LGBTQI+, c’était partout et tout le temps : en sortant de chez nous on marchait sur des pochoirs homophobes, en entrant dans le métro on tombait sur des sweats roses et bleus « manif pour tous », à la machine à café au travail on avait l’opinion de Jean-Michel de la compta sur ce qu’est une vraie famille, le soir on se retrouvait entre trans-pédés-gouines mais on ne parlait que de cette actualité et le week-end on allait contre-manifester. Dans ce contexte de colère quotidienne, j’ai eu deux réflexes de survie mentale : le premier a été l’humour, avec la création de mon pseudo Charlotte de Bruges et mon activité de troll, ça me faisait beaucoup de  bien ; le second a été l’éloignement, faire un pas de côté, subir le truc depuis Bruxelles au lieu d’être en plein dans la violence à Paris. Et ça, crois-moi, ça a sauvé ma relation amoureuse.

 


Est-ce-que les choses ont changé depuis 2012-2013 ? Je veux dire au niveau du discours et traitement médiatique autour de nos droits et existences. Et d’autre part du côté de celleux qui nous sont opposé.e.s.


Malheureusement la violence ne s’est pas arrêtée le jour où la loi « mariage pour tous » a été votée, le mal était fait et la brèche était ouverte. Mais les médias mainstream ont tellement mal géré la couverture des événements en 2012-2013 qu’il ne pouvaient que faire mieux par la suite. Là il faut saluer l’énorme travail des associations et notamment de l’AJL qui s’est donné pour mot d’ordre « plus jamais ça ». Grâce à ce collectif de journalistes LGBTQI+ qui veillent en permanence sur le traitement médiatique des questions nous concernant, on peut mesurer les lacunes (la maltraitance médiatique des trans, l’invisibilité des lesbiennes sur la question de la PMA par exemple), et c’est un outil essentiel pour organiser la résistance.


Le rapport 2018 de SOS Homophobie constate une hausse de 42 % d’augmentation d’agressions lesbophobes. Penses-tu que ce soit lié directement aux débats autour de la PMA ? A l’après Me Too ? Ou à des choses plus profondes ?


Je ne suis pas sociologue alors je ne me lancerai pas dans une analyse de ce chiffre accablant. Je ne peux parler que de mon ressenti : je ne me sens pas plus en sécurité en tant que lesbienne en Belgique qu’en France. Pourtant j’ai plus de facilités ici, si je le souhaitais je pourrais accéder à la PMA, si mon épouse accouchait demain je pourrais directement me déclarer mère de l’enfant… J’ai beau être privilégiée par rapport aux lesbiennes qui vivent en France sur ce point, je ne suis pas épargnée par la lesbophobie. On l’a vu lors des dernières élections européennes, l’extrême droite qui nous nie et nous maltraite est en progression partout, en France comme en Belgique. Et tant qu’on chipotera* sur nos droits d’exister et de faire famille ici où là, c’est sûr que ça n’arrangera rien au climat. Quant aux conséquences du mouvement #metoo, là encore je ne suis pas sociologue, mais je suis féministe, alors oui c’est sûr je suis sensible aux violences de genre qui placent les lesbiennes à la croisée du sexisme et de l’homophobie, il faut dire qu’on est complètement dingues de vivre en nous passant d’alpha mâles reproducteurs !!
* c’est du belge

Internet a permis l’émergence d’un nouveau militantisme 2.0. Qu’est ce qui te plait dans cette manière de militer et est-ce si différent de la manière plus traditionnelle ?


Différent certainement, car internet n’a pas remplacé les actions dans la rue, disons que ça a élargi le terrain de militance, mais aussi pour nos opposant·e·s. Moi je n’ai milité qu’en ligne quasiment, je ne suis pas au sein d’un collectif ou d’une asso, je suis nulle en fabrication de pancarte. C’est sur internet que je suis à l’aise, parce que tu peux y faire entendre ta voix sans engager ton corps. La violence est toujours là évidemment, mais sous une forme très différente, que j’ai l’impression de mieux savoir encaisser. Ce qui me plait particulièrement avec les médias sociaux, c’est la grande accessibilité, tout le monde peut s’en saisir pour dire et montrer l’oppression. Pas besoin d’avoir un diplôme, un rang social, ou une grande somme d’argent pour accéder au pouvoir-parler. Mes petites actions ont toujours été fabriquées avec du rien : une boîte mail, un profil facebook, les outils de Paint… Et puis j’aime bien la mocheté, les trucs bancals, mal faits, et ça, internet en regorge.


En terme de visibilisation, les lesbiennes sont toujours encore les grandes perdantes. Est- il, d’après toi, plus facile d’être une lesbienne aujourd’hui ?


Les lesbiennes, les folles, les trans, les queers racisé·e·s, réfugié·e·s… Toutes celles et tous ceux qui n’entrent pas dans les limites acceptables de l’hétéronorme sont les éternel·le·s perdant·e·s de l’équation fatale genre / race / classe. Est-ce que ça s’améliore ? Évidemment ça progresse, il y a de plus en plus de gouines visibles dans les médias, dans le sport, dans l’art et la culture, mais qu’est-ce que ça progresse lentement ! On est quand même très loin de l’égalité, quand on voit l’effet que nous fait le moindre coming out de meuf… Alors oui, on se rend compte qu’on revient de très loin quand on écoute les témoignages de nos aînées, mais je refuse de me contenter de cette lente évolution sous prétexte que « c’était pire avant ». Et puis le genre a la peau dure, même au sein des communautés LGBTQI+ où l’on traite parfois bien mal la diversité des identités et des sexualités.


Tu participes dans quelques semaines au premier festival lesbien, bi et trans que BBX organise, We Luv Gouine. Tu es plutôt gouine de jour ou gouine de nuit ?

Ahah ! Tu peux demander à toute la gouinerie de Paris et de Bruxelles, rares sont celles qui m’ont déjà croisée après minuit. Je suis une gouine de l’apéro !

Soyons clair.e.s, tu es sans doute à la tête du grand lobby LGBTQI+. Alors est-ce que ça rapporte ? Tu ne chercherais pas une assistante par hasard ?

Je me fais un fric fou grâce à mon réseau de trafic d’embryons, que je blanchis via une société écran de gardiennage de chats. Il y a un poste qui se libère à la compta, avec Jean-Michel, ça t’intéresse ?

 

We Luv Gouine x La Bellevilloise, jeudi 27 juin 2019, 20h, gratuit

 

Delphine

Extraterrestre passionnée de métaphysique et de pizza, elle parle de féminisme, cinéma et surtout de l'invisible.