Vernon Subutex : ce qu’on a pensé de la série

Adapter Virginie Despentes n’est pas une mince affaire. C’est pourtant le défi que s’est lancé Canal+, qui lance lundi 08 avril une mini-série de 9 épisodes consacrée à la trilogie Vernon Subutex.

La série s’ouvre sur une scène de liesse, une bande éméchée pénétrant à l’intérieur de Revolver, le magasin de disques tenu par Vernon Subutex. A la fois gardien du temple et chef de bande, Vernon voit graviter autour de lui toute une communauté de keupons, de rockeurs et de potes « en guerre contre la tiédeur ».  La voix-off pose le cadre : l’ancien disquaire, aujourd’hui sur le carreau, est le seul vestige d’une époque révolue, celle où le rock’n’roll tenait lieu de religion.


Un casting disque d’or

La série étonne tout d’abord par la qualité de son casting. On découvre Romain Duris campant un Vernon Subutex mal rasé et flegmatique, tout juste expulsé de son domicile. Un choix motivé par l’empreinte laissée par l’acteur, symbole de la génération « Péril jeune », comparable à celle qu’incarne Subutex aux yeux de ses anciens copains. Tandis que ce dernier se met en quête d’un endroit où dormir, renouant pour l’occasion avec ses vieilles connaissances de l’époque, le récit dresse le portrait d’une génération qui a grandi en écoutant les Bérurier Noir et qui se réveille vingt ans plus tard, embourgeoisés pour certains, inadaptés pour d’autres.

Émilie la célibataire dépressive et Xavier le scénariste raté réussissent avec brio à incarner le drame du conformisme et l’ignorance du privilégié. Le personnage de Sylvie, caricature de bourgeoise névrosée, livre les scènes les plus drolatiques. Céline Sallette étonne dans le rôle de la Hyène et Fishbach se révèle en hétéra détournée. Leur idylle dévoile quelques belles scènes de sexe lesbien et on se délecte de la tension sexuelle qui lie les deux personnages. On salue également le choix de deux acteurs trans pour incarner Marcia (sublime Inès Rau) et Daniel (Eloi Ferry). Petite déception : le personnage de Patrice n’a pas été retenu. Dommage car il représentait par sa violence le sexisme de toute une gauche radicale.


Parti-pris narratif

La trilogie, best-seller vendu à 320 000 exemplaires, est un récit polyphonique, porte-voix d’une génération désenchantée et radioscopie crue et poignante de la société parisienne contemporaine, intensément incarnée par une galerie de personnages hauts en verve et en couleur. On démarre donc la série curieux de découvrir comment Cathy Verney, la réalisatrice (de la série Hard notamment) est parvenue à retranscrire la verbosité hargneuse de la trilogie.

Il faut dire que le style Despentes n’a jamais rencontré d’adaptation à sa hauteur. On se rappelle les décevants « Les Jolies choses » ou « Tel père telle fille ». La série ne réussit qu’en partie le pari de la traduction télévisuelle. D’abord parce qu’elle s’est refusée à retranscrire la polyphonie du récit en optant pour une seule voix, celle de Vernon. Le parti-pris est le suivant :  polariser l’action sur la recherche des cassettes d’Alex Bleach. Le choix d’une trame policière place le personnage de la Hyène et d’Anaïs au centre de l’intrigue, faisant au passage de leur idylle un moteur essentiel des épisodes.

Chaque épisode s’ouvre sur la découverte d’un nouveau personnage, au gré des déambulations du héros. Puisque la série adopte le point de vue de Vernon, c’est lui qui découvre et donc scrute chacune de ses anciennes connaissances et non plus le contraire. Or, la force du récit de Despentes tenait précisément à la cruauté du regard des personnages sur un Vernon en proie à l’ultime déchéance sociale : se retrouver à la rue.

De l’indifférence polie à la compassion restreinte, ou plus simplement au mépris de classe, chaque rencontre dressait le portrait d’une société désabusée, ayant délaissé idéaux et liberté par compromis. Le compromis c’est le noeud de la réflexion du livre. Que faut-il abandonner pour survivre à la société ? Son confort comme Vernon ? Sa dignité comme Alex Bleach ? Sa sensibilité comme la Hyène ? En se concentrant sur le mystère des cassettes, la série fait elle-même un compromis : elle réduit la claque sociologique que représente le livre pour ne préserver que son essence nostalgique…

Reste donc la nostalgie, portée par de nombreux flash-backs et une bande-son vibrante. Une nostalgie qui n’a pas le goût amer du regret. Plutôt la douceur d’une main tendue par la Hyène. Qui a dit que le spleen n’était plus à la mode ?

Vernon Subutex, sur Canal + à partir du 08 avril.

Lubna

Grande rêveuse devant l'éternel, Lubna aime les livres, les jeux de mots et les nichoirs en forme de ponts. Elle écrit sur l'art, avec un petit a : bd, illustration, photo, peinture sur soie. Twitter : @Lubna_Lubitsch