Un atelier à soi : Langue de Lutte !

Tu aimes écrire mais tu ne prends pas le temps parce que tu cours partout. Tu n’as pas tenu un stylo depuis que tu as quitté les bancs de l’école mais ta vie est un roman. Tu cherches un endroit bienveillant où partager tes idées noires et tes rêves d’un monde meilleur. L’atelier d’écriture Langue de Lutte, organisé par deux nanas fort chouettes, Alexia et Marianne, est fait pour toi. La preuve en interview .

Yo les copines, Langue de Lutte c’est quoi?

ALEXIA & MARIANNE : C’est un atelier d’écriture en non mixité queer et féministe, qu’on organise tous les mois à La Mutinerie (Paris). C’est un collectif lancé par deux meufs, ouvert à toutes les femmes, personnes queer, trans ou non binaire qui ont envie / besoin d’écrire dans un cadre sorore.

Comment l’idée de monter un tel atelier d’écriture vous est-elle venue ?

ALEXIA : On s’est rencontrée en mai 2017, on participait toutes les deux à un atelier d’écriture animé par Chloé Delaume au Palais de la Femme. C’était féministe et gratuit mais mixte et ponctuel. En sortant de la séance, on a commencé à discuter toutes les deux, on cherchait des ateliers pour continuer à écrire dans un cadre féministe et pas cher… On énumérait nos expériences sans trouver de cadre qui nous convienne, alors on s’est lancé ! On en a parlé à La Mutinerie, qui a tout de suite accepté de nous prêter le bar un après-midi par mois – merci La Mut’! Donc, chaque mois, on crée un événement sur Facebook et La Mut’ le partage. Grâce à leur réseau, on a vite reçu tellement de demandes qu’on a dû limiter le nombre d’inscriptions. On a aussi organisé des ateliers dans d’autres lieux : dans une librairie parisienne pour une expo organisée par des participantes de l’atelier, dans un bar lesbien à Marseille (les 3G <3) et vers Lyon au Rita Plage (merci Wendy Delorme pour la mise en relation!).

MARIANNE : C’est parti d’un constat commun d’un manque et d’un besoin. C’était un pari/besoin d’écrire/de sororité/d’engagement féministe/ d’un lieu à soi (Virginia Woolf) loin d’un diktat patriarcal et capitaliste (atelier gratuit + c’est du travail bénévole pour nous donc possibilité de participation libre et non obligatoire).

Qu’apporte la non mixité ? C’est dur d’écrire quand on est une femme (ou qu’on s’identifie comme telle) ?

ALEXIA : La non mixité crée un espace d’expression libre. Elle permet aux personnes présentes de se retrouver autour d’une expérience commune, de ne pas avoir à se justifier par rapport à / aux oppression(s) qu’elles peuvent subir. Ça permet de créer un lien militant et artistique à travers l’écriture. Certaines personnes viennent plutôt pour le féminisme, d’autres plutôt pour écrire, et on se retrouve aux croisements de ces chemins-là. Quand on est dominé socialement, c’est dur de prendre la parole et la plume, d’occuper l’espace d’expression. Quand pendant toute une jeunesse, on te dit « parle pas trop fort, écris des jolies choses et tiens-toi bien », forcément c’est dur de déconstruire. L’écriture permet de se réinventer, c’est souvent une arme de timides… mais pas que ! En tout cas, sûrement comme dans tous les arts, s’exposer demande d’accepter la légitimité de créer. Et c’est plus facile d’y parvenir quand on est entourée de bienveillance.

illu : Emma

MARIANNE : Dans tout système d’oppression il y a la nécessité d’espace safe pour permettre la libération de la parole, se retrouver sur une expérience commune : ici l’expérience commune c’est l’écriture et revendiquer le féminisme contre une société patriarcale qui s’infiltre partout.

La non mixité queer et féministe choisie, c’est un espace créatif ouvert aux personnes se définissant comme meufs (gouines) trans, non binaire et / ou queer : c’est une façon de véhiculer un féminisme inclusif et d’offrir un espace à toutes les personnes qui peuvent être invisibilisées dans ce genre de lieu que sont les ateliers d’écriture. Les hommes sont sous-représentés en ateliers d’écriture mais ils prennent souvent toute la place : consciemment ou inconsciemment, on assiste à la mise en retrait de certaines femmes. La non mixité permet de retrouver une liberté, un espace où la parole se libère plus facilement. C’est important que les meufs et les queers se réapproprient l’écriture. Pour se sentir bien (bienveillance/pas besoin de faire de pédagogie féministe) et donc il y a un effet thérapeutique : se sentir bien dans un cercle sorore et bienveillant et faire sortir des mots, des textes… Pour se réapproprier cet espace de l’écriture souvent historiquement représenté par des mecs cis blancs / l’élite.

Quelles sont vos deux-trois plus belles/drôles/émouvantes expériences avec cet atelier d’écriture ?

ALEXIA : le texte écrit par Isabelle L (dispo sur le blog https://medium.com/@languedelutte/transition-73029c0413d5) : il me transperce.

MARIANNE : À chaque fois qu’une personne nous dit « merci, grâce à l’atelier je me suis remis.e à écrire » / « je me sens mieux »/ « ça m’aide ». Bref quand on sent que cet espace est tel qu’on le voulait : safe, bienveillant, créatif. Et aussi à chaque fois qu’on entend des textes insolites. Et aussi qu’on se marre, qu’on a des moments de sororité un peu magiques, ça arrive souvent et c’est génial.

Quels conseils pourriez-vous donner à celles qui souhaitent se lancer dans l’écriture?

ALEXIA : De se lancer. Solo ou à plusieurs. D’écrire avec des gens. De venir aux ateliers ? Héhé.

MARIANNE : De ne pas avoir peur des cadres : écrire en atelier ne rend pas ton écriture meilleure, mais ça t’oblige à gratter quelques mots sur ta feuille au lieu de flipper devant la page blanche. L’énergie du groupe, les inspirations qu’on lit et les propositions de consignes encouragent et rassurent, tu es là entourée de gens qui écrivent, tu as 20 minutes à tuer… tu n’as que ça à faire donc tu commences à écrire et ensuite… on ne s’arrête plus ! Alors que chez soi, toute seule, on a plus de mal à s’imposer des espace-temps créatifs. La contrainte artistique volontaire favorise l’imagination, c’est un moteur créatif, un tremplin vers l’écriture.

Quelles auteures brillent pour vous comme un phare dans la nuit? Quelles sont celles qui vous ont donné envie d’écrire?

ALEXIA : Virginie Despentes. J’ai lu Baise-moi à 13 ans et ç’a été une révélation. J’ai pensé wow… On peut écrire comme on parle, on peut écrire des gros mots, on peut écrire le sexe et la violence. Moi aussi je veux faire ça. Tout pareil ! Donc voilà, enfant je voulais devenir écrivaine, et ensuite ado j’ai voulu écrire du Despentes !

MARIANNE : Virginia Woolf. Ses romans, ses nouvelles m’ont fascinée quand j’étais étudiante. Mrs. Dalloway ou Orlando notamment. La force et la poésie de ses mots, sa façon de faire tenir en un paragraphe des sentiments insaisissables, des instants de vie puissants. Ses essais féministes comme « Une pièce à soi » m’ont donné envie d’écrire, de me lancer.

Vous faites quoi vous dans la vie? Quelle part prend l’écriture dans votre quotidien ?

ALEXIA : j’ai tout un tas de jobs en même temps : rédactrice Web, consultante éditoriale, animatrice de lutte, chargée de cours depuis très peu… et écrivaine en cours ! Depuis plusieurs mois, je recueille les témoignages de femmes cisgenres sur leur rapport à la vulve, la sexualité et la maternité. L’idée étant de publier un livre… bientôt !

MARIANNE : Je suis prof d’anglais en collège. Je n’arrive pas à écrire aussi régulièrement que je le voudrais. Je travaille sur un roman depuis un an mais je n’ai pas toujours de créneaux assez longs pour avancer efficacement. J’écris plus pendant les vacances. Mais l’atelier, sa préparation, me permet d’aller chercher des inspirations, de réfléchir sur mon écriture et bien sûr de partager un moment d’écriture une fois par mois au moins. En fait, l’écriture est toujours assez présente, parfois je note juste un mot que j’aime ou quelques phrases qui me viennent sur un bout de carnet. J’écris des chansons aussi. Bref l’écriture n’est jamais vraiment loin.

C’est quoi Langue de Lutte demain ?

ALEXIA ET MARIANNE : Les participantes nous proposent souvent plein de super projets, par exemple de regrouper les textes écrits pendant l’atelier dans un fanzine, ou d’aller animer des ateliers dans les festivals ou d’autres lieux en France. Mais c’est souvent du bénévolat et on n’a pas le temps de mettre en place de nouveaux projets en plus de l’atelier, qui nous demande déjà du temps d’organisation et de préparation. On aimerait bien faire des ponts avec d’autres collectifs pour que ce soit possible. Aussi, on a participé à l’émission de radio Langue de Fronde (dispo ici : https://languesdefronde.noblogs.org/post/2018/11/21/750/) et c’était génial, on aimerait bien recommencer.

C’est quand le prochain atelier ? On fait comment pour s’inscrire ? On est obligée de lire son texte si on y va ?

ALEXIA & MARIANNE : C’est le 20 février ! On a créé un événement Facebook sur notre page https://www.facebook.com/pg/languedelutte/about .Pour s’inscrire il faut envoyer un mail à atelierlanguedelutte@gmail.com . Attention, les places sont limitées !

Personne n’est obligée à rien : surtout pas à lire. Ça peut être angoissant et là n’est pas l’idée. On lit si on a envie, et on écrit ce qu’on veut. On propose un thème par séance (par exemple : La liberté, Le corps/les poils, Les vêtements, La ville, La nourriture, Les héroïnes, etc.) mais si les personnes viennent avec l’idée d’écrire un truc précis ou si la suggestion de consigne ne les inspire pas, on les encourage à suivre leur envie et écrire ce qu’elles veulent. On propose cet espace pour créer, mais ça reste collaboratif et amateur, on ne donne pas de retours techniques, ce n’est pas un cours. On lance des cadres mais il n’y a ni hiérarchie ni obligation : chacun.e en fait ce qu’elle/il veut. Lire à voix haute est un exercice à part, presque théâtral. Nous, on ne fait pas de retour à l’oral, on n’est pas prof, juste on s’écoute simplement et c’est ce retour-là qui fait du bien : s’autoriser de prendre l’espace, la parole, et constater qu’en retour, on reçoit une écoute attentive et bienveillante. On n’est pas là pour se perfectionner ou échanger des techniques de narration. On lâche nos mots de lutte et ça fait du bien !

 

Cassandre

Cassandre - Balade sa tignasse hirsute au musée / au ciné / en librairie / en festival / en club, et souhaiterait le don d’ubiquité pour Noël.