Parle à mon coude : PMA 2018

Le comité éthique a tranché, les engagements politiques ont été pris –et repris, et pourtant rien, NADA. Théâtre de l’absurde ou jeu de dupes, 2018 a eu le mérite de resituer les choses : que vous vouliez des enfants ou pas, la PMA est un débat qui porte clairement et nettement la question des droits de toutes les citoyennes lesbiennes dans la société française, de la visibilité des lesbiennes dans l’espace public et dans la république. Car enfin l’évidence a été formulée : la question concerne d’abord les femmes et en particulier les lesbiennes!!!

OLALA, mais dites-moi pas que c’est pas vrai, c’est tout à fait, et en même temps, incroyable, tant de clairvoyance. Non en fait, il n’y a pas eu de clairvoyance, il y a eu surtout la mobilisation des concernées. Retour sur cet avènement et cette histoire qui n’en finit pas de finir.

La loi du 17 mai 2013 du mariage pour tout.es ouvre également l’adoption aux couples homosexuels et reconnait qu’un enfant peut avoir deux parents du même sexe même si la PMA n’est pas autorisée pour ces couples. Promesse de Hollande lors de sa campagne en 2012 et durant la première année de son mandat, la PMA pour toutes, après maintes tergiversations, ne voit pas le jour. Le 5 mai 2014, le collectif FièrEs enterre symboliquement le courage politique du gouvernement.

FièrEs -enterrement du courage politique de Hollande en 2014

Dans une interview pour L’Obs, Emmanuel Macron déclarait en février 2017 : « Une des erreurs fondamentales de ce quinquennat a été d’ignorer une partie du pays qui a de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié cette France-là ». Un commentaire scandaleux, qui n’a pas manqué de susciter la colère, en particulier celle de Christiane Taubira qui a rappelé la violence des attaques personnelles qu’elle a dû endurer pour avoir porté la loi de 2013, sans compter la résonance de ces termes pour toute la communauté LGBTQI+ et sans évoquer ce qu’au fond signifie avoir de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment lorsque des concitoyen.nes  homosexuel.les demandent d’avoir les même droits que les hétérosexuel.les sans entamer en rien la jouissance de ces mêmes droits pour la partie de la population qui mâche le vieux chewing-gum de la rage…

Dans un courrier aux associations LGBT daté du 16 avril 2017, le président se disait « favorable » à une loi ouvrant la PMA « aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires ». Il indiquait également attendre que « le CCNE ait rendu son avis (…), pour pouvoir construire un consensus le plus large possible ». La PMA figurait en effet sur le site de campagne du candidat Macron, elle figure encore, sur le site du Président en ces termes « Nous sommes favorables à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes. Il n’y a pas de justification juridique pour que la PMA ne leur soit pas ouverte. Pour avancer de façon pédagogique, nous souhaitons attendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), afin d’assurer dans la société un vrai débat, pacifié et argumenté ».

Mais ça c’était en 2017. Malgré des positions déployant clairement les versants politique, juridique et éthique de la question, 2018 a été marquée du sceau de l’inconséquence politique crasse. Emmanuel Macron disait chercher un style. Ce sera le style Raku pour le côté déco-enfumage. Retour sur la chrono.

23 mai : un dîner était organisé à l’Elysée sur le thème « procréation et génomique » où les échanges ont surtout porté sur l’ouverture de la PMA pour toutes. Sur les vingt personnes invitées, trois femmes étaient présentes : la sociologue Irène Théry, la Ministre de la santé Agnès Buzyn et une représentante des mères célibataires (blog Icimamasolo). Zéro lesbiennes, premières concernées.

29 mai : 47 députés de La République en marche (LaREM) signent une tribune « La PMA pour toutes, un acte d’égalité » dans Libération appelant à légaliser la PMA pour les femmes célibataires et en couple homosexuel. Ils rappellent qu’il s’agit d’un engagement de campagne du président Macron.

11 juillet : Dans un rapport sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État considère que le droit n’oblige à rien : « ni au statu quo ni à l’évolution des conditions d’accès » à la PMA. C’est la position dite du « ni-oui-ni-non ».

18 juillet : Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux annonce que le projet de loi portant sur les questions de bioéthique, comprenant un volet sur la procréation médicale assistée (PMA), sera débattu à l’Assemblée nationale début 2019 et que le texte sera présenté en conseil des ministres par le gouvernement « avant la fin de l’année » 2018.

25 septembre : Le comité consultatif national d’éthique (CCNE) se déclare favorable à l’ouverture de la PMA dans sa contribution terminale à la révision de la loi de bioéthique, position déjà adoptée en juin 2017. Un rassemblement de La Manif pour Tous se tient devant les portes du CCNE. Initialement prévu devant le siège du CCNE également, le rassemblement à l’initiative d’Insomnia pour faire entendre les voix des concerné.es a été déplacé plus loin, rue de Varennes.

26 septembre : l’AJL (Association des journalistes lesbiennes, gays, bi.es et trans) publie un long communiqué « PMA pour toutes : où sont les voix des lesbiennes ? » qui dénonce l’absence des lesbiennes dans le débat sur la scène médiatique : « Le constat est simple : le nombre de femmes invitées à s’exprimer sur l’extension de la PMA est très faible, tandis que les hommes et les opposant.es à l’évolution du droit – La Manif pour tous et l’Église catholique en tête – sont de tous les plateaux ». Sont ainsi citées plusieurs lesbiennes expertes, reconnues ou connues dans leur domaine, qui n’ont pas été sollicitées par les médias pour s’exprimer.

2 octobre : Macron reçoit à l’Elysée les parlementaires LREM des commissions des Affaires sociales. Au cours de la réunion, le président aurait déclaré : « Sur ces sujets plus intimes, ne comptez pas sur moi pour passer à la hussarde, il n’est pas question de brutaliser les consciences. On ne gagne jamais à passer en force ».

3 octobre : Le Conseil d’Etat publie sa décision après avoir été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par un couple de femmes infertiles qui avaient en vain demandé un accès à la PMA au CHU de Toulouse. Le couple avait argué que la loi réservant la PMA uniquement aux couples hétérosexuels infertiles ou risquant de transmettre une maladie à l’enfant, « méconnaît le principe d’égalité devant la loi ». Ce à quoi a répondu le Conseil d’Etat : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ».

7 octobre : La formule présidentielle « il n’est pas question de brutaliser les consciences » est critiquée via le hashtag #CeQuiEstBrutal.

11 octobre : Francetvinfo reprend le communiqué de l’AJL, « Ne vous inquiétez pas pour nos enfants, ils sont aimés »: lesbiennes ou célibataires, elles ont eu recours à la PMA et veulent peser dans le débat ». La journaliste Marie Labory et sa femme s’expriment dans une vidéo.

15 novembre : le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux annonce que le projet de loi sur l’ouverture de la PMA aux femmes homosexuelles et célibataires ne sera finalement pas en discussion à l’Assemblée nationale en janvier 2019 mais l’été prochain.

22 novembre : Emmanuel Macron reçoit des associations de défense des droits de personnes LGBT : l’Inter-LGBT, SOS homophobie, l’Association des parents gays et lesbiens, l’Association des familles homoparentales, l’Association nationale transgenre, la Fédération LGBTI+, Flag !, Gaylib, le Mag Jeunes LGBT, Le Refuge, Urgence Homophobie et l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean Jaurès en présence de la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa pour évoquer les agressions homophobes et l’extension de la PMA au couples de femmes.

Aucune association représentant les lesbiennes et les bies n’avaient été initialement conviées. In extremis Alice Coffin, porte-parole de La Conférence Lesbienne Européenne et Veronica Noseda représentante des Dégommeuses se font inviter. Emmanuel Macron assure que l’extension de la PMA à toutes les femmes sera promulguée en 2019 et confirme la création d’une commission interparlementaire de sénateurs et de députés, en amont du dépôt du projet de loi en conseil des ministres.

Alice Coffin et Veronica Noseda quittent la table en signe de protestation : aucun engagement calendaire n’est pris.

Les femmes célibataires ou homosexuelles en couple sont autorisées à pratiquer la PMA dans 8 pays européens, en Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède. Les Françaises le plus souvent vont dans les pays voisins, l’Espagne et la Belgique.

En Espagne la loi de 2006, promulguée sous le gouvernement socialiste de Zapatero, précise que l’accès à la PMA est ouvert à toute femme «indépendamment de son état civil ou de son orientation sexuelle». En 2014, la ministre Ana Mato (Partido Popular-droite) exclue les lesbiennes et les femmes seules de l’accès à la PMA dans les centres publics : dans plusieurs Communautés Autonomes, les Tribunaux saisis donnent raison aux couples de femmes. Ils rappellent que le texte ministériel ne peut se substituer à la loi de 2006 et souligne le caractère discriminatoire  de la situation. Les socialistes, à nouveau au pouvoir, ont promis la disparition du texte Mato pour 2019.

Quant à la Belgique, elle ouvre la PMA à toutes les femmes en 2007.


Au terme de l’année écoulée, passé l’avis réitéré du CCNE, nous ne pouvons que rappeler la volonté exprimée d’Emmanuel Macron d’avoir un vrai débat argumenté et d’avancer de façon pédagogique lorsque dans les faits, la création d’un organe de consultation supplémentaire dont on mesure mal la légitimité est annoncée, lorsque les arguments d’une partie fondamentale des concernées sont escamotés et audibles par la force unique d’une poignée de femmes déterminées.

Il n’y aura pas de consensus sur la question, l’opposition formelle est doctrinaire, elle restera.

Il y a un moment où il faut arbitrer, prendre des décisions, tenir ses engagements.

Faire le job en somme.

Isabelle Mornat

Isabelle aime les cabinets de curiosité et la vieille techno hardcore, la confusion des sens et les concentres Harley au clair de lune.