Ellen Ripley, l’héroïne ultime

Il y a un peu plus de vingt ans, Jean-Pierre Jeunet partait à la conquête d’Hollywood pour réaliser le quatrième volet d’Alien. Dans ses négociations avec les studios, Sigourney Weaver lui aurait été d’une grande aide. L’occasion de revenir sur l’évolution de son mythique personnage en quatre films (et 289 années d’existence).

Lorsque Ridley Scott prépare Alien, le 8ème passager, il a en tête un homme dans le rôle principal. Fort bien inspiré, le patron de la Fox lui conseille d’en faire une femme. Sigourney Weaver, 30 ans, seulement trois films à son actif et quelques minutes à l’écran, sera sa tête d’affiche. A l’origine de ce pari audacieux, son physique androgyne lui vaut d’être distinguée au casting. La voilà donc débarquée à bord d’un vaisseau, à la tête d’un équipage trompé sur le motif de son départ dans l’espace : la mission ne consiste pas à éliminer les aliens mais à les ramener sur Terre coûte que coûte.

Au lieu de mettre son potentiel au service de la Compagnie, Ripley l’utilise pour détruire son saint graal : l’alien. Cela fait d’elle une rebelle en lutte contre une autorité arbitraire et impitoyable. A cet égard, la Compagnie a bien des choses en commun avec le patriarcat. Niveau symbolique, c’est du lourd. L’industrie du blockbuster n’est pas familière des femmes puissantes, mais elle va devoir s’habituer.

This is Ripley, last survivor of the Nostromo, signing off.

En 1984, du même côté de l’Atlantique, James Cameron n’a pas encore noyé le Titanic mais fait déjà couler beaucoup d’encre grâce à Terminator. Avec Sarah Connor, il explore la brèche ouverte par Ripley et impose une redoutable combattante comme personnage principal. Deux ans plus tard, c’est donc en toute confiance qu’on lui confie les rênes d’Alien.

Malgré la qualité du film, le conservatisme d’Alien, le retour a de quoi donner des aigreurs. Ripley y est en proie à des cauchemars, impuissante face aux tractations de la Compagnie et, instinct maternel oblige, mère de substitution d’une fillette abandonnée. Pour parfaire le tableau et parce qu’il doute que ses (mémorables) apparitions en marcel culotte aient pleinement convaincu, Cameron lui donne un joli prénom, Ellen, au cas où on serait tentées de la prendre pour un mec. Pourtant, c’est aussi dans ce deuxième film qu’elle prend les armes (souvenez-vous de sa double mitraillette) et rend la violence intrinsèque à son personnage.


Certains voient donc cette évolution comme LA percée militante de la saga, où Ripley endosse l’avenir de l’humanité et réapprend la vie à une fillette traumatisée. Pour Antoine de Baecque, cela suffit à faire d’elle la « promesse d’une histoire apaisée », et surtout, l’incarnation de « l’héroïne contemporaine par excellence », aka la « mère célibataire ». La single mum comme idéal révolutionnaire ? On a quand même vu mieux.

Alien3 ou le retour du côté obscur

Lorsqu’Alien3 entre en production, il y a du boulot pour rendre à Ripley son mojo originel. David Fincher (encore un homme) n’y va pas par quatre chemins : la lieutenante du Nostromo commence par se raser la tête pour éviter d’en faire un motel à parasites. Et parce qu’elle porte un specimen qu’elle veut préserver de la Compagnie, elle finit par se jeter dans une cuve de métal en fusion. A travers cette maternité ambivalente, c’est toute la complexité du personnage de Ripley qui se dévoile. Car si elle se suicide pour éviter les conséquences catastrophiques du retour de l’alien, il est aussi permis de penser qu’elle le fait pour que personne ne s’approprie son corps. Par cette complexe approche de la gestation, Fincher fait de Ripley une véritable menace : elle porte en elle une forme de vie hostile, à la fois source de danger et promesse de filiation. Désormais intimement liée à l’alien, la présence du féminin présage de celle du monstrueux.

Alien, la résurrection : clonage et caetera

Il y a donc vingt ans, Jean-Pierre Jeunet s’attaque à un défi de taille : ressusciter Ripley pour les beaux yeux de Hollywood. En SF tout est permis, clonage de pointe compris. En toute logique, la clôture de cette quadrilogie s’intitulera donc : Alien, résurrection. Coproductrice du film, Sigourney Weaver tient à ce que le réalisateur de Delicatessen impose son style sur la franchise. Elle le défend donc face aux producteurs et le supplie d’écrire un rôle pour Dominique Pinon, acteur fétiche de l’univers de Jeunet. Ce sera chose faite.

Souvent critiqué, Alien : la résurrection est pourtant l’opus qui jette le plus grand trouble sur la définition du genre. Fil conducteur du dernier opus, le clonage réactive habilement les tensions entre le masculin et le féminin, l’humain et le monstrueux. Surtout, il vient doter le pouvoir patriarcal incarné par la Compagnie d’une capacité de procréation : dispensée des femmes pour donner la vie, elle peut prospérer en toute sérénité.

Last but not least, l’Alien de Jeunet, c’est aussi l’arrivée de Call (Winona Rider) avec qui on espérait que Ripley fasse autre chose que du basket. Malheureusement, Call est une androïde, et son corps ne s’embrase pas à la vitesse de nos esprits … Réalisateur du premier Alien, Ridley Scott a après-coup confié que si c’était à refaire, il n’hésiterait pas à mettre en scène des relations homosexuelles … On attend.

 

 

Marion R

Quand elle ne cherche pas un sens à sa vie, Marion parle des films qu'elle n'a pas vus et de ceux dont elle se souvient mal.