Le street art, une contre-culture féministe ?

On reconnait aisément le travail de Banksy et autres Futura 2000. Aujourd’hui, l’art urbain s’est indéniablement imposé sur la scène artistique contemporaine. Cependant une question nous taraude : qu’en est-il des femmes ? Tour d’horizon des femmes street-artistes et des messages qu’elles véhiculent.

Il y a deux ans, la Gare de l’Est abritait l’exposition « Art liberté – du mur de Berlin au street art ». Sur le parvis de la gare parisienne, des plaques du mur de Berlin et des Trabant (les fameuses voitures estampillées ex-RDA) avaient été revisitées par une trentaine d’artistes internationaux. En m’y rendant en charmante compagnie, mon petit cerveau a eu deux réactions : une attirance immédiate pour le côté brut et historique des supports utilisés et une question digne du Bechdel Test, à savoir combien de femmes avaient participé à cette exposition. En regardant de plus près, gros malaise : à part le collectif berlinois 1UP mixte, une seule femme, Faith47, sur 30 artistes. Oui, oui. Une seule femme. La conclusion est donc sans appel : une exposition de street art en 2015, mettant en scène des artistes du monde entier est donc incapable de laisser une place considérable aux femmes.

 

 

Où sont les femmes ?

Petit flash-back personnel. Ma fascination pour le street art a toujours été d’ordre purement artistique et « philosophique ». J’aime le côté éphémère et inattendu, j’aime découvrir une oeuvre d’art au détour d’une rue, en sachant qu’un jour plus tôt ou un jour plus tard, l’œuvre aurait pu ne pas être là. Etrangement, je ne me suis jamais demandé quel était le sexe ou le genre des artistes qui s’activaient dans la rue. D’ailleurs, je me concentrais plus sur l’œuvre que sur l’artiste. Puis j’ai commencé à découvrir des noms célèbres, des affinités (de Banksy à Fred le chevalier, en passant par FKDL) et un beau jour, forcément, je suis tombée amoureuse de Miss.Tic. Enfin, de son travail. Enfin, d’elle. Enfin, des deux ?

 

 

Miss.Tic, c’est un peu comme rencontrer la première fille qui confirme notre attirance pour le saphisme. Celle qui, avec ses pochoirs à la bombe mettant en scène des femmes fatales et des jeux de mots du style « Égérie et j’ai pleuré » nous fait dire que des œuvres de street art peuvent être tout bonnement parfaites. A 59 ans, l’artiste parisienne fait entièrement partie du paysage urbain français, et a même relevé le défi de se faire connaître du grand public. Elle assume d’ailleurs complètement le côté mercantile qui a poussé ses œuvres à apparaître ces dernières années sur les timbres de la Poste ou sur les véhicules de location Ucar. Et puis il y a toute la symbolique derrière ses tags. La symbolique sur les stéréotypes de la femme séductrice, stéréotypes issus des illustrations de mode et des magazines féminins qu’elle transforme pour se les réapproprier et en faire des silhouettes de femmes libertines et donc libres qui s’affichent sur les murs, à la vue de toutes et tous. Et il faut le reconnaître : les références au fétichisme et au sadomasochisme qui lui sont propres sont rarement visibles chez les autres artistes. La seule ombre au tableau, c’est lorsque Miss.Tic refuse de se considérer comme une militante féministe, mais cela nécessite un autre article et un autre débat…

Bref, après cette fascination en demi-teinte pour Miss.Tic, j’en suis venue à me poser la question fatidique : où sont les femmes ? (coucou Patrick !)

L’émergence des artistes femmes et féministes

En fait, les femmes sont déjà là. Moins nombreuses et moins visibles, certes, mais elles sont là. Dans l’histoire du street art, on trouve forcément les pionnières, comme Miss.Tic en France et Lady Pink aux USA, mais aussi Fafi et Miss Van dans les années 90. En 2003, les pochoirs XXL de visages d’hommes qui avaient fleuri dans Paris étaient l’oeuvre de Missill et Yz, cette dernière étant encore considérée comme l’une des femmes les plus actives de la scène française. Et de nos jours ? Derrière les énormes visages colorés aux multiples yeux qu’on voit souvent sur les devantures de magasins se cache Kashink, une trentenaire atypique et engagée, qui, en plus de « porter » la moustache, se bat pour l’égalité femme-homme et a même défendu le mariage pour tous en montant le projet « 50 cakes of gay », peignant ainsi plus de 300 « gâteaux pour tous » en France, aux USA, en Espagne ou encore en Autriche. D’autres noms émergent : Jessy Doudou’Style, l’artiste italienne Alice Pasquini, Vinie grafiiti ou encore Stoul et ses femmes-chats.

 

 

Une démarche féministe se met en place à travers le travail des ces artistes. Par exemple, la graffeuse brésilienne Anarkia Boladona consacre réellement son art au féminisme, aux droits des femmes et à leur défense face au sexisme et aux violences conjugales. A travers ses fresques, elle appelle à favoriser l’égalité des droits, notamment en terme de travail, d’accès à la culture et à l’éducation, de liberté sexuelle… Elle en a même profité pour créer le réseau Rami (réseau féministe d’art urbain) qui soutient les femmes des communautés de Rio de Janeiro par des ateliers de prise de parole et de discipline artistique. Comme elle le dit elle-même : « On se sert de l’art comme d’une arme pacifique et d’un instrument de transformation culturelle pour lutter contre le machisme. »

En Europe, des structures se mettent également en place. Le but du projet Women’s Forum Street Art Project, organisé par le Women’s Forum for the Economy and Cociety, est de promouvoir et valoriser les femmes dans le domaine de l’art. Il permet ainsi de voir l’art comme un mouvement d’émancipation et organise de nombreuses performances réalisées par des femmes artistes, comme à Paris, dans le XIIIème arrondissement où Kashink (encore elle) a récemment réalisé en live une gigantesque fresque. A Londres, le Femme Fierce, Female Street Art Festival de Londres, a quant à lui réuni en mars dernier 150 street artistes (uniquement des femmes, cela va de soi), autour d’expositions, de workshops et conférences, avec, en toile de fond, la lutte contre les violences faites aux femmes.

 

 

La problématique de l’occupation de l’espace urbain par les femmes

Cela pourrait presque paraître normal que le street art, lui-même perçu par essence comme une contre-culture, devienne un mouvement artistique féministe. Or, si la place de la femme dans cet art urbain est malheureusement la même que dans d’autres domaines, il faut prendre en considération un autre aspect du street art. Cet art est un phénomène ambivalent puisque, même s’il attire désormais le grand public et qu’il voit ses meilleurs représentants être reconnus et exposés. Mais il est à la base lié à la délinquance, à la dégradation des lieux publics, et revêt donc un caractère illégal. Dans l’imaginaire collectif, le graffeur (et pas l’artiste, les mots sont importants) est un bad boy qui abîme l’espace urbain en agissant la nuit et, la nuit étant propice aux agressions, il est « normal » que les femmes y soient moins actives.

Le milieu urbain structure les comportements entre hommes et femmes. La ville est véritablement un endroit sexué où la liberté de mouvement n’est pas la même pour tout le monde, où les femmes usent de « stratégies » quand elles marchent dans la ville, , où les 2/3 des loisirs qui sont mis en place par les pouvoirs publics sont à destination des garçons… Même si les collectivités territoriales commencent à s’emparer du problème, la rue demeure le territoire des mâles virils et dominants. Voilà pourquoi les femmes, y compris les artistes, y sont sous-représentées.

Concernant le machisme à proprement parler entre street artists, peu d’échos. La plupart des hommes et femmes sont inversement respectueux et admiratifs de leur travail. D’ailleurs, comme le dit si bien Kashink : « J’aimerais que le fait d’être une femme artiste, qui plus est une femme street artist, ne soit plus un sujet. » Bientôt, promis.

Samedi 28 octobre 2017 à l’Aérosol, Barbi(e)turix met les femmes dans le street art à l’honneur dans le cadre de l’évènement Barbieturix X L’Aérosol ! Programmation complète ICI

 


Marion

Marion aime les mots sexy et/ou complexes, construire (sous la torture) des responsive sites et frimer en tweetant des citations de Rainer Maria Rilke tout en regardant The Walking Dead. Twitter : @RainbowGirl007