KARIN DREIJER : « Les lesbiennes ont besoin d’endroits safe pour s’exprimer”

Voilà. C’est Arrivé. Karin Dreijer nous est apparue comme dans un songe. Un rêve. Un halo de lumière froid et incandescent. On y a pas cru au début. Évidemment. Parce que The Knife. Parce que Fever Ray. Parce que Karin est une icône, le genre d’artiste dont on doute un peu toujours de l’existence véritable. Puis on a commencé à se faire à l’idée que la Wet allait accueillir le samedi 9 septembre prochain, une des artistes les plus brillantes que les années 2000 aient connu.

Une chance non ? Parce qu’on doutait forcément de la revoir un jour sur scène, depuis l’annonce il y a 2 ans de la fin de The Knife. Pleurs et larmes avaient abreuvé réseaux sociaux et fosses de concerts, bars et clubs, personne ne semblait s’en remettre. Et alors qu’un retour avec Fever Ray se prépare en coulisses, Karin a décidé de donner vie à …Karim. Karim, nouveau visage, créature de la nuit pour un éternel recommencement artistique. Au côté de Karam, sa compatriote de platines, Karim agite les foules de Stockholm avec un fol exotisme enneigé, et s’ouvre enfin : féministe dans l’âme et dans le poing, pronfondément queer et engagée contre toutes formes de racismes, Karin Dreijer n’est donc pas juste un mythe. Karin Dreijer est une femme, une femme brillante. Une légende faite os, chair, et cœur. Rencontre.

Dans une des dernières interviews que tu as donné en tant que membre de The Knife, il y a un peu plus d’un an, tu as déclaré que The Knife devait rester quelque chose d’uniquement plaisant. Qu’est ce tu voulais dire à l’époque ?

On voit beaucoup de groupes qui continuent de jouer, qui deviennent des institutions, et se mettent à fonctionner quasiment comme des entreprises. J’aime quand la musique joue avec les idées, les concepts et pour ça, il faut que ce soit fait dans un environnement agréable, cette création doit toujours être guidée par le désir.

L’industrie de la musique est devenue un peu glauque non ?

Pour être honnête, j’y suis très peu connectée aujourd’hui. Je crois qu’après toutes ces années, j’ai réussi à créer ma propre niche dans la musique, qui fait que je n’ai pas à être confrontée avec son industrie. Je fais la musique comme je l’entends, sans penser à la production visuelle derrière ou aux vidéo-clips, je garde les droits pour moi et je la produis sur mon propre label. Ensuite, je donne l’autorisation à d’autres labels de la distribuer quand elle est prête. Et je suis consciente qu’en faisant ça je suis vraiment privilégiée. Mais c’est aussi ça qui fait que je continue. La plupart des artistes ne gagnent pas leur vie en vendant des disques ; tu sais il y a beaucoup d’artistes qui font des choses à côté, des choses qui la plupart du temps n’ont rien à voir avec la musique, afin de faire un peu d’argent. Faire ça pour moi, ce serait comme me liquider. Mais en même temps, il y a tellement de voies nouvelles et alternatives pour sortir sa musique aujourd’hui… c’est ça qui permet à une musique moins commerciale d’avoir sa chance au même titre que les autres aujourd’hui.

Il y a quand même une question qui me taraude un peu… The Knife, c’est définitivement fini ?

Je n’en sais rien. Tout ce que je sais c’est que pour le moment Olof et moi n’avons pas prévu de continuer pour le moment.

Dans votre toute dernière performance avec The Knife, Shaking The Habitual, vous avez en quelque sorte révolutionné la façon de donner un concert en préenregistrant voix et instruments. Comment vous est venue cette idée à l’époque ?

Tu sais, quand on a lancé The Knife avec Olof, c’était en 1999, nous étions très frileux à l’idée de faire des lives. On a commencé la scène en 2006. Avec Shaking The Habitual, pour la première fois en 7 ans, on a juste décidé de ne pas faire de live. On ne voyait pas l’intérêt du live dans la musique que l’on faisait. En 2006, on a commencé avec une vingtaine de concerts qui ressemblaient plus à une performance vidéo qu’à un concert banal. Mais à l’époque on ne pensait pas encore du tout à quelque chose comme l’album de Shaking The Habitual. Le déclic est venu plus tard. Un jour, notre amie la grande artiste Kim Einarsson, nous a dit : “vous deux, vous devriez commencer à danser !”. Elle avait eu la même expérience que nous. Comme nous, regarder des mecs faire de l’électro derrière un ordinateur, ça la barbait pas mal. Puis on s’est tous dit que c’était une idée super, un truc sain, puis on était tous partant pour un peu d’exercice ! (sourire) On a monté un groupe de dix personnes, des danseurs, des chorégraphes, des programmateurs, producteurs, artistes en tous genres et on s’est mis à faire une sorte de “boeuf” ; à coups d’improvisations, de discussions, les idées du show ont commencé à germer. L’aspect collectif de la création de ce show était essentielle, on a essayé de le mettre sur pieds d’une manière non hiérarchique.

Et ça s’est senti sur scène ! Au quotidien, ça veut dire quoi pour toi Shaking The Habitual ? (ndlr, secouer/bouleverser l’habituel/les habitudes)

C’est une phrase qui m’aide à garder à l’esprit l’idée de tout rendre “queer”. Pour moi, il s’agit de questionner la norme en permanence, de jouer avec, de travailler avec, puis de la détruire. Cette norme construite sur l’idée de patriarcat, de capitalisme, de racisme, de sexisme. Cette façon de penser reste avec moi, chaque jour de ma vie, et sans aucun doute quand je fais de la musique.

Certaines personnes ont critiqué ce show, après coup et votre public semble en être sorti divisé. Comment vous avez vécu ça à l’époque ?

C’est drôle parce que l’on a eu beaucoup de retours après notre show de 2013 effectivement. Certaines personnes l’avait trouvé excluant, alors qu’au contraire on le voulait incluant ! Mais en soi, nous avions à l’époque beaucoup de nouvelle idées qu’on avait pas encore eu le temp d’essayer pour la première version. Pour le show de 2014, on a tout retravaillé pendant quelques mois. Olof et moi on a continué les cours de danse et certains danseurs ont appris à chanter et à jouer d’instruments. Je pense que le show a évolué au fil des ans et ça a été une expérience fantastique de pouvoir le faire évoluer de cette manière.

Tu as composé la musique du spectacle Vahák. Tu peux m’en dire un peu plus s’il-te-plaît ?

Vahák signifie violence en Sami ; les Sami sont un peuple indigène minoritaire suédois. C’est un spectacle qui aborde le sujet de la violence coloniale contre ce groupe de personnes mais aussi celui de la violence homophobe qui règne en Suède. Il s’agit de voir comment ces deux formes d’oppression rentrent en corrélation. Váhak aborde aussi la question des alliances possibles et nécessaires entre les populations queers de différents groupes minoritaires. C’est la metteuse en scène Nasim Aghili qui m’a contactée il y a un an, à la fin de notre dernière tournée avec The Knife, elle m’a donné carte libre et je me suis retrouvée à composer les 60 minutes de musique du spectacle, quelque chose qui ressemble beaucoup à ce que je fais avec Fever Ray. La Première a eu lieu en septembre et le spectacle tourne en Suède en ce moment.

Pourquoi avoir décidé de prendre part à ce projet ?

En fait, je n’avais aucune idée du degré de violence auquel avaient à faire la population Sami. Cette violence qui a été engendrée en premier lieu par le gouvernement suédois et qui existe encore. Puis le fait que cette violence soit liée, dans le spectacle, à la violence à laquelle doivent faire face les populations queers, rend le sujet encore plus pertinent. Ce sont des histoires qui ont été tues pendant trop longtemps et qui devaient être urgemment racontées.

Tu as toujours été très engagée dans les questions de genre, ça te vient d’où ?

Il y a 15 ans, j’ai travaillé dans un magazine en tant que rédactrice. J’étais entourée de femmes brillantes, des féministes géniales qui m’ont beaucoup influencée ; elles m’ont appris à donner forme à des choses, des sentiments que je n’avais jamais su comment exprimer.

Elle en est où la Suède sur la cause féministe ? On a l’impression, du point de vue français, que vous êtes pas mal plus avancés que nous…

Je crois que la Suède est coincée dans une démocratie sociale où seul le féminisme des femmes blanches compte. Par exemple, au même moment où les politiciens annoncent le droit à un mois supplémentaire de congés paternité pour tous les papas, ils décident de rendre temporaires les visas des populations qui fuient actuellement leurs pays alors qu’ils devraient être permanents et laissent des femmes se noyer dans la mer Egée. Le droit des femmes en Suède ne concerne que les femmes issues d’un système hétérocentré. Il concerne les classes moyennes, les classes qui ont de toute façon déjà le moyen de s’exprimer. Je ne pense pas que le féminisme puisse évoluer de façon verticale. On a un parti politique ici qui s’appelle Feministiskt Initiativ (Initiative Féministe), je trouve leurs idées intéressantes mais je trouve que même en leur sein il y a un manque de perspective de classes, ce qui me semble super important. Je pense que le féministe doit être intersectionnel (ndlr, Intersectionality : concept américain qui vise à mettre en corrélation diverses formes d’oppressions/discriminations) antiraciste, percevoir les choses d’un point de vue des classes sociales et être assez queer pour pouvoir évoluer.

Toi tu es quel type de féministe ?

Intersectionnelle et queer.

Tu penses quoi des femmes qui ne sont pas féministes pour un sou et pensent qu’aujourd’hui les femmes et les hommes sont égaux ?

Toutes les statistiques et études montrent que les femmes et les hommes, encore de nos jours, ne sont pas égaux. Donc je pense que ces personnes devraient lire et s’informer un peu plus (sourire).

Sache que c’est un honneur pour nous de te recevoir ! Mais qui est Karim au fait ?

Alors Karim c’est Karim & Karam. Karam est ma collègue DJ du duo. Karam c’est une sorte de dance, et Karim veut juste danser. C’est pour ça qu’on a créé ce duo, c’est une belle manière de profiter de la musique.

Vous avez des grosses soirées lesbiennes en Suède ?

Je dirais qu’ils n’y a pas vraiment de clubs lesbiens à Stockholm. Il y a quelques bars lesbiens et certains bars organisent des soirées lesbiennes. Parfois on peut trouver des soirées cooles mais c’est très rare. Et je trouve ça triste. On en discute souvent avec mes ami(e)s, on aimerait de remédier à ça mais on a pas encore trouvé le bon endroit. To be continued…

Pourquoi penses-tu que la société actuelle a besoin de soirées gouines ?

Parce que les lesbiennes sont géniales et ont besoin d’endroits safe pour s’exprimer !

Tu te vois où dans 10 ans ?

J’espère que je serai toujours aussi curieuse de tout, prête à prendre des risques et que je continuerai à faire ce que je fais aujourd’hui.

Karim & Karam seront en dj set samedi 9 septembre pour la WET FOR ME – idols edition au Cabaret Sauvage. Préventes et infos ICI

Adeline

Caution musicale de la team et rédactrice en chef du mag Heeboo, Adeline est amatrice de sonorités brutes et de soirées sans façons. Elle aime : le bleu / ponctuer ses interventions de points / râler. Ses soirées à elle (et à tout le monde) : Sneaky Sneaky.