Fan de ma stagiaire lesbienne ! Leçon n°13 : La sex friend

Sidonie travaille dans un ministère où elle cache précautionneusement son homosexualité. Dans le dernier épisode, Sidonie racontait son attirance pour une hétéro…

Open-space, lundi matin, réunion, point sur la situation, objectifs, nouvelles rubriques, rencontres interministérielles, pince-fesses, gros pontes, gros enjeux RH… Vous vous ennuyez déjà ? Patience, il y a la pause-café.

Alice a l’air en forme, moins triste et chiffonnée que d’ordinaire. Bien sapée, pas le t-shirt qui dépasse, pas le cheveu en pétard… Je la regarde, elle lève un sourcil, me fait un demi-sourire et j’ai compris. Communication non verbale entre gouines : il y a de la nénette là-dessous. Allez, allez, il faut parfois prendre la vie comme elle vient et les femmes comme elles arrivent ! C’est une claque coquine aujourd’hui, pan, sur le popotin, administrée par : la sex friend.

Donc, pause-café, pour tout le monde, sauf pour moi, qui retourne dans mon boxe, de l’autre côté de l’open space. Je consulte l’agenda partagé et confirme ma présence aux réunions de l’après-midi. Alice me rejoint. Elle m’apporte un gobelet fumant.

Sidonie : Merci, fayote.
Alice : Pas de quoi.

Elle reste plantée.

Sidonie : Tu veux quelque chose ?
Alice : Partir plus tôt.
Sidonie : Tôt comment ?
Alice : Genre 16 h 00… En fait, c’est compliqué, une histoire de clés… Mais j’aurai tout fait tout pour demain, j’ai écrit les présentations chez moi, j’ai toutes les images, je suis bordée !

Elle joint les mains, elle me supplie !

Sidonie : Arrête ton char. Ok, mais tu rattraperas.
Alice : Oui !
Sidonie : Il se passe quelque chose ?

Je pense naïvement, à cet instant, que peut-être son ex, Rosa, est dans les parages.

Alice : Juste Julie qui arrive ce soir…
Sidonie : Julie ?
Alice : Vous ne vous rappelez pas ? Je vous l’ai présentée à ma crémaillère… Une petite blonde ? Avec des yeux verts ?
Sidonie : Non je ne vois pas…
Alice : Vous deviez être trop occupée à regarder Daphné.

Alice m’accuse de regarder les femmes et de ne pas l’admettre. Je m’évertue à lui expliquer que je peux regarder, admirer même, sans enjeux érotiques. On ne se comprend pas. Peut-être, si je lui expliquais mieux ce qui me lie à celle que j’aime… Mais non, ces choses-là ne se démontrent qu’à soi-même.

Sidonie : Oh… Tu ne vas pas remettre ça avec Daphné ?
Alice : Tiens, je l’ai vue, elle m’a dit de vous passer le bonjour.

Alice sourit, je la connais, l’œil pétillant, elle va m’en coller une.

Alice : Elle vous embrasse…
Sidonie : Tu es vraiment trop con, hein… Bref, tu as une nouvelle copine, là, c’est ça que tu es train me dire, c’est ça l’urgence ?
Alice : Non non c’est une juste une copine, en fait.
Sidonie : Mais il y a urgence quand même. Tu me demandes de partir plus tôt pour une histoire de fesses ? Tu as vraiment tous les culots, toi…
Alice : Avec vous, oui.

On reprend la réunion. Tour de table, distribution du boulot. J’envoie les sujets et demande à la ronde que les volontaires se désignent.

Sidonie : Semaine du Handicap ?

Deux mains se lèvent.

Sidonie : Ok, Astrid et Daphné.

Je dis Daphné au lieu de lieu de Jeanne. Il n’y a pas de Daphné dans mon équipe. Et je me corrige aussitôt. Alice a baissé la tête. Je sais qu’elle rit. Je suis seule au monde. Le lapsus de m*** ! Je suis foutue, foutue, face à Alice, je ne pourrai jamais rattraper un truc pareil ! Et vlan, je me mets ma claque moi-même ! Mortifiée, je suis !

Fin de la réunion, qui s’est éternisée évidemment, débordant sur le travail de publication de la matinée et compromettant donc, pour moi, la pause déjeuner. Vous savez à quoi on reconnait la chef ? C’est celle qui mange toute seule ou pas du tout ! Ceux qui ont blablaté en réunion, qui ont épuisé leur temps de parole et ma patience, prendront leur pause méridienne réglementaire ! Mon équipe m’affame, les chefs de projets veulent ma peau !

Il m’a énervé ce lapsus… Alice passe me voir. Sourire banane.

Sidonie : Ne dis rien.
Alice (elle souffle) : J’ai bien entendu votre message chef, j’embrasserai Daphné pour vous…
Sidonie : Fiche le camp ! Et ne vas pas lui raconter !
Alice : Allez, vous me faites de la peine, on mange ensemble ?
Sidonie : Je n’aurai pas le temps.
Alice : Mais si, j’irai chercher un truc vite fait.

35 minutes avec Alice, une rasade de fraîcheur, de vraie vie, un soda en canette, la formule de midi, du soleil dans ma journée et une claque coquine qui ne m’est pas destinée.

Alice : Non ? La meuf avec qui tout est possible, tout le temps ? Vous n’avez pas connu ça ? Allez…
Sidonie : Non…

Non, je ne connais pas la relation à la sex friend, pour moi ces deux mots ne vont pas ensemble, je ne vois pas, non, je n’ai pas ça en magasin, il ne faudra pas compter sur moi dans cet épisode. Sex + friend, je n’atteins pas le concept. Amies dans le sexe, amies par le sexe… On fait comment, on se met d’accord ? Ce sera juste du cul, ça te va ? Mais… Rien que de le déterminer à l’avance, fait que j’aurai peur que ça ne fonctionne pas, pour moi, voyez ? La panne, plutôt, en perspective, le truc gênant : Écoute, non, faisons l’opération inverse, soustrayons le sexe, et restons friends.

Alice : Ce n’est pas compliqué. Julie est marrante, belle, elle a des fossettes, des beaux cheveux, la peau dorée, la bouche charnue, elle me plaît, elle me dit juste « bonjour » et j’ai envie de la…
Sidonie : Ok, ok !
Alice : Elle est toujours open ! On s’est retrouvées dans des plans pas possibles. On a fait ça partout, je crois.
Sidonie : Et pendant Rosa tu la voyais ?
Alice : Non, là non.
Sidonie : Et quand Rosa t’a quittée, tu l’as appelée ?
Alice : Non. C’est plutôt elle qui m’appelle. Des fois quand elle a le cafard, on se fait un plan, et ça va mieux.

Le cafard ? Mais moi si j’ai le cafard, je n’appelle personne et je n’ai pas envie de sexe. Et s’il a pu m’arriver de combiner les deux, je ne crois pas que le résultat ait été mémorable… Et comment peut-on être « toujours open » pour quelqu’un ? Même en aimant profondément, cela ne me paraît pas possible… Cela ne m’est pas possible !

Alice : Vous ne comprenez pas de quoi je parle, hein ?

Non. Sex friend, plus j’y réfléchis, plus on dirait un truc à la noix inventé pour l’été par la presse féminine. Ils nous ont collé ça à la rubrique Hygiène de Vie, à côté de la recette de cuisine détachable ? Alors, quel sextoy êtes-vous, profondément ?

Ou alors, les codes entre les individus ont tellement changés que je suis complètement à côté de la plaque ? J’ai tendance à estimer l’amitié, cela me paraît très complexe, noble, rare… Comptez vos véritables amies. N’est-ce pas qu’elles tiennent sur les doigts d’une main ? Une amie n’est pas facile, gentille, disponible tout le temps. Elle peut être possessive, jalouse, chiante et qu’on l’aime quand même (celle-ci, oui, je l’ai en stock.). L’amitié n’est pas simple, le sexe non plus, comment associer deux choses complexes pour n’en faire qu’une qui soit limpide ?

Sidonie : Donc, elle t’appelle, vous trouver un endroit, vous faites ce que vous avez à faire… Elle s’en va, et ça ne te fait rien ?
Alice : Si.
Sidonie : Mais tu n’as as envie de la revoir ?
Alice : Pas tout de suite.
Sidonie : C’est bien un peu compliqué quand même…
Alice : Non, c’est très simple.
Sidonie : Mais comment tu peux être certaine de ses attentes à elle ?
Alice : Elle ne me demande rien. Juste d’être là quand il faut.
Sidonie : Et ça fait combien de temps que ça dure ?
Alice : Trois ans.
Sidonie : Trois ans ! Elle n’est pas train de devenir ta copine, plutôt ?
Alice : Mais non ! C’est mon plan cul… Avec de la tendresse et de gentillesse par-dessus.
Sidonie : Mais pas d’amour.
Alice : Pas d’amour. Pas de dépendance.
Sidonie : Pas de rupture. Pas de jalousie ?
Alice : Non. Pas de tabous. Souvent on ne se parle pas, on se voit juste pour…
Sidonie : Et c’est bien ?
Alice : Oh oui, c’est même top…
Sidonie : C’est l’occasionnel qui vous plaît ?
Alice : Peut-être, se laisser aller à un truc irrépressible…

Il doit me manquer un bout de cerveau, il y a des cases que je n’ai pas, je dysfonctionne… Je vois bien le sexe irrépressible, mais alors, je parle davantage de passion et j’y mets des sentiments, mêmes s’ils sont violents et désorganisés. Le sexe est alors une composante de la relation, mais ne l’y réduit pas… La sex friend, c’est m’expliquer qu’on va aller au cinéma, mais juste le temps de la scène de fion, parce que le reste du film, on s’en fiche.

Alice : Elle ne va pas me demander de lui raconter des salades, d’enrober les choses. C’est en toute liberté, on fait ce qu’on veut, on peut essayer des trucs…
Sidonie : Tu es tendre avec elle ?
Alice : Ça dépend de ce qu’elle veut.
Sidonie : Toi on t’appelle et tu t’adaptes ?
Alice : Voilà.
Sidonie : Et cet après-midi, tu t’adaptes, donc.
Alice : Oui.
Sidonie : Elle vient d’où ?
Alice : Montpellier.
Sidonie : Elle vient exprès de là-bas ?
Alice : Mais non ! Elle a un truc de boulot, on en profite pour se voir.
Sidonie : Et ensuite, vous restez en contact, vous vous téléphonez ?
Alice : Pas trop, on ne se raconte pas nos vies, on s’écrit plutôt des trucs chauds, quand un rendez-vous est fixé. Elle me donne des indices, la couleur de ses sous-vêtements, ou des trucs de cul, carrément.
Sidonie : Mais tu l’invites à ta crémaillère, quand même.
Alice : Elle était aussi montée pour le boulot, c’était l’occasion…

J’écarquille les yeux. Non ? Elles l’ont fait ce soir-là ? Alice sourit. Mais crache ton soda, elles l’ont fait, mais quelle époque ! Le sexe à la demande, livraison à domicile, aucune facture à payer ! Les psychanalystes vont disparaître ! Les gens iront très bien, compartimentant leurs relations, simplifiant, version presse féminine : prenez une sex friend, mangez des carottes, détachez la recette, soyez épanouie, quoi !

Alice : C’est très courant, vous savez. Vous débarquez, on dirait…

Et vlan ! Je débarque dans une époque où l’on s’écrit des SMS de cul pour entretenir l’amitié, pardon ! J’ai grandi sans internet, sans téléphone portable, j’ai écrit de vraies lettres, après beaucoup de brouillons, pour créer un espace privilégié avec quelqu’un, une dimension que l’on soigne, où on se livre, où l’on parvient plus finement à exprimer ses sentiments. Sentiments… On voudrait me faire croire que notre époque n’en a plus besoin ? Pourquoi s’encombrer ? Pourtant Alice est tellement amoureuse de Rosa ! Elle la pleure tous les jours ! Et certains jours plus que d’autres ! Je le sais, c’est alors moi qui la récupère, c’est mon boulot de chagrin friend ! Alors qu’est-ce qu’une petite Julie peut compenser ? Alice y trouve bien quelque chose ? Le sexe, oui, bon… Le fait d’être désirée, peut-être, attendue quelque part, pas perdue pour tout le monde ? Qui tout le monde ? Non, mais, est-ce que tout le monde a une sex friend, sauf moi ? Je vais regarder les lesbiennes autrement ! Elle a une sex friend, elle, et elle, et elle aussi ? Elles ont toutes une nénette dédiée uniquement à la gaudriole ? Dont elles ne connaissent ni l’environnement, ni le quotidien, ni la famille ? Dame ! Et si j’en avais une, moi, ce serait qui ?

Alice : Bah Daphné, par exemple !

Honnêtement, plus jeune, j’aurai probablement tenté l’expérience avec Daphné. Quoique, j’aurai hésité avec Alice. Mais non, j’aurais eu leur âge, donc j’aurais été moderne, sans souci, SMS de cul, libérée, j’aurais choisi les deux ! Alternativement ? Ensemble ? On peut combiner plusieurs sex friend, sans doute ? Partouze friends, ça existe ? Trêve de plaisanterie, une sex friend, aujourd’hui, dans ma vie ? Non… Je pourrais argumenter, répondre : plans de couple, rendez-vous inopinés, hammams surprises et autres réjouissances de cinq à sept, que rien ne saurait égaler, et qui viennent écrire, avec d’autres scènes, une histoire plus large, un film personnellement enthousiasmant. Mais, emmener Alice sur ce terrain-là… Une autre fois peut-être. Pour l’heure, je dois filer en réunion et vais les enchaîner jusqu’à ce soir.

Sidonie