Répression et homophobie en Tchétchénie : le point avec Amnesty International

Plusieurs médias ont relayé l’information ces derniers jours : des homosexuels seraient maintenus en détention en Tchétchénie. La situation est grave et préoccupante. On fait le point avec Dorothée Delaunay, responsable de la commission orientation sexuelle et identité de genre de Amnesty International, qui a accepté de répondre à nos questions.

De quels témoignages dispose Amnesty International sur place, quelle est la fiabilité des sources ?

Il est très difficile d’avoir des informations vérifiées, rien que l’accès aux personnes est compliqué puisqu’elles sont en danger. Certaines témoignent malgré tout sous couvert d’anonymat. On travaille depuis longtemps avec Novaya gazeta, le journal russe qui a alerté l’opinion internationale, et qui réunit des sources sur place. Nous sommes conscient.e.s de la prudence nécessaire dans les éléments que l’on avance, c’est un sujet très sensible qui peut mettre en danger les relais d’information tchétchènes et russes.

Depuis quand ces « camps » existent-ils ?

Nous n’aimons pas le terme « camp », ça fait immédiatement écho aux camps de concentration. On parle plutôt de « détention secrète », parce que l’analogie peut être problématique et qu’il est impératif d’être précis. Ces lieux existent selon le journal russe depuis quelques semaines, il a fallu le temps de regrouper les informations, de les trier, de récupérer les premiers témoignages de ceux qui sortent.

En dehors de ces lieux de détention et de torture, quelle est la situation des LGBTI+ en Tchétchénie ?

La question des droits humains en général est compliquée, comme en Russie. Il s’agit d’une homophobie quotidienne – non pénalisée – comme à travers les « crimes d’honneur ». On le voit à travers les déclarations de hauts responsables politiques (Alvi Karimov, attaché de presse du président Tchétchène Ramzan Kadyrov : « Vous ne pouvez pas arrêter ni réprimer des personnes qui n’existent pas dans notre République […] si de telles personnes existaient en Tchétchénie, les forces de l’ordre de devraient pas s’en inquiéter puisque leurs propres proches les auraient déjà envoyés là d’où ils ne pourraient jamais revenir » (sic), sur Radio Free Europe). Ces crimes faits en toute impunité constituent un cercle vicieux : plus il y a de crimes, moins ils sont punis, c’est une incitation et les gens se sentent autorisé.e.s à les commettre.

On a parlé également de « traques sur internet », qu’en est-il ?

Ça a été une pratique en Russie (par l’organisation homophobe Occupy Pedophilia) il y avait quelques années, mais nous n’avons pas de confirmation pour la Tchétchénie. Il s’agissait pour des individus d’aller sur les sites de rencontres gays, de se faire passer pour des membres puis de séquestrer et torturer leurs cibles.

Vous avez parlé de la Russie, la Tchétchénie entretient des rapports très étroits avec le pays dirigé par Poutine. Quels liens existent-ils sur les questions LGBTI+ en particulier ?

Amnesty a publié un rapport sur la situation en Russie. La loi de 2013 sur la propagande des relations sexuelles « non traditionnelles » est toujours en vigueur. La liberté d’expression est souvent compromise, les manifestations sont interdites, les associations comme les pussy riots par exemple, sont traquées. Le climat en ce qui regarde les droits humains est très hostile. Cela se traduit par des limites de financements, un harcèlement de la part des forces de l’ordre. Des associations sont déclarées comme « agents étrangers », et ces organisations sont contraintes de fermer.

Quel est le plan d’action sur place, y-a-t‘il une mobilisation tchétchène ou russe en dépit des représailles ?

La mobilisation sur place vient de la société civile, même si elle n’a pas d’existence légale. Les LGBTI qui agissent malgré les lois, et tentent de faire reconnaître leurs droits. Amnesty a un bureau en Russie, qui s’est inquiété par ces lois là il y a un certain temps déjà.

Un rassemblement est prévu aujourd’hui, une pétition a circulé, comment agir ici ?

Amnesty International n’est pas la seule association à agir. Les deux actions que vous mentionnez sont d’écrire aux autorités, et d’impulser une dynamique de solidarité internationale. Les faits de se rassembler ou de signer une pétition sont pris en sérieux par beaucoup de gens dans beaucoup de pays. Une manifestation comme celle de jeudi soir est importante : il s’agit d’un message adressé aux responsables politiques en Tchétchénie. Les événements ne resteront pas invisibles, et des réponses claires sont attendues sur ce qui se passe. Les réactions de personnalités publiques en France sont un autre vecteur de communication non-négligeable. L’importance de l’événement de demain est à la fois symbolique et factuelle. Il faut que les autorités se sentent obligées d’agir, qu’il y ait une réelle pression internationale pour que ces enlèvements s’arrêtent, que les victimes soient protégées à la sortie des lieux de détention et torture puisqu’elles ne peuvent bien évidemment pas aller porter plainte aux commissariats.

Dans quels pays européens la situation est-elle préoccupante ?

En Europe la situation est diverse. Les personnes LGBTI+ ne sont la plupart du temps plus pénalisées, mais pas nécessairement protégées pour autant. La lutte contre les discriminations est essentielle -au-delà de la simple dépénalisation- les crimes de haines ne sont parfois pas différenciés des agressions diverses comme des vols à l’arrachée. Dans certains pays, organiser des marches des fiertés reste compliqué. La reconnaissance des droits des couples et des familles LGBTI+ est également limitée. Très récemment, on peut noter le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la stérilisation forcée des personnes transgenres en France. Condition nécessaire au changement d’état civil, cette loi est condamnée internationalement. Ce genre de condamnation n’est pas seulement un message aux responsables politiques et législatifs français, c’est aussi une incitation pour d’autres états à reconsidérer le respect des droits humains dans leur propre pays.

Rassemblements :

  • Jeudi 13 avril 19h-21h place de la Colombie, Paris 16

Appel de : Inter-LGBT, SOS homophobie, Amnesty International France

  • Vendredi 21 avril 18h-20h place de l’Hôtel de Ville Paris

Appel de : Act-up Paris

Pétition d’Amnesty International

 

Un grand merci à Dorothée Delaunay

Cr : Maciej Luczniewski

Hélène

Helene LC

Hélène aime parler politique et philosophie, mais s’autorise des déviations artistiques, parce que ne pas faire la critique du nouveau film de Kristen Stewart, c’est quand même dommage. Quota gamine de BBX.