Un recueil des photos censurées d’Instagram

Arvida Bystrom et Molly Soda, deux jeunes artistes de l’ère digitale, viennent de sortir un livre compilant des images bannies d’Instagram qui, n’ayant pas trouvé leur place dans l’histoire « online », la trouveront peut être dans l’histoire de l’art.

« Nous sommes conscients qu’il arrive parfois que des personnes veuillent partager des images de nudité à caractère artistique ou créatif, mais pour un bon nombre de raisons nous n’autorisons pas la nudité sur Instagram. Cela inclut les photos, les vidéos et les autres contenus numériques présentant des rapports sexuels, des organes génitaux ou des plans rapprochés de fesses entièrement exposées. Cela inclut également certaines photos de mamelons, mais les photos de cicatrices post-mastectomie et de femmes qui allaitent activement un enfant sont autorisées. La nudité dans les photos de peintures et de sculptures est également acceptable. »

(extrait des Règles de la communauté Instagram)

La couverture est tout ce que j’attendais : du rose et des poils. Ça fait un moment que je suis le travail d’Arvida Bystrom et de Molly Soda sur internet, leur esthétique volontairement girly à outrance, avec juste ce qu’il faut de dérangeant. Pour la petite histoire, en septembre 2015, Arvida publie le statut suivant: « Peut-on organiser une cérémonie pour tous les posts bannis d’Instragram ». Ce à quoi Molly répondit: « Nous devrions en faire un livre ». De là est né « Pics or it didn’t happen » (qu’on traduirait par « prouve le par une photo, sinon ça n’a pas existé », une phrase utilisée dans le cadre de forum sur internet pour prouver un fait invérifiable »), la preuve par 300 pages de la censure normative des corps féminins (mais pas que) sur la plateforme du réseau social.

Ces corps qui dérangent tant, sont-ils réellement dérangeants? Il ne s’agissait pas ici d’exposer seulement leur travail personnel, mais d’offrir une tribune à d’autres regards et d’autres voix. Car ces images bannies en disent long sur les injonctions de notre société à percevoir le monde à sa façon, à nous dicter ce qui est « safe » et ce qui ne l’est pas. « La censure qui se produit sur ces grands sites (Facebook, Youtube, Instagram etc.)… des gens l’exercent. Je crois qu’on oublie ça trop souvent et qu’on se dit juste que c’est un robot bizarre ou un pouvoir supérieur qui retire toutes nos photos », souligne Molly Soda.

Au début du livre, un article de Sarah T. Roberts nous rappelle que ce sont des « modérateurs de contenu » qui, suite à des signalements d’usagers, se chargent de faire respecter « le bon goût et les normes sociales » à l’autre bout du monde. À l’intérieur du livre, il y a quelques surprises. Outre les classiques tétons/ seins/poitrines/fesses, vous y trouverez aussi des sécrétions qui, même roses à paillettes, ne sont pas tolérées. Les poils pubiens, les menstrues, et l’art non plus. Encore moins les femmes matures, les genres et les corps différents. Bannis aussi, des « camel toe » et des corps complètement habillés. La cerise sur le cupcake, une jeune femme voilée avec un téléphone à l’oreille. Des images faites par des anonymes, ou des artistes comme Petra Collins, Harley Weir ou Rupi Kaur, leur sélection est vaste. Mais à l’heure où la frontière entre IRL et URL devient floue, les problématiques et tabous autours de certains corps restent bien réels.

 

Linda