Fan de ma stagiaire lesbienne ! Leçon n°11 : Hétérosexuelle, non merci !

Sidonie travaille dans un ministère où elle cache précautionneusement son homosexualité. Dans le dernier épisode, Sidonie et sa jeune stagiaire Alice, s’éternisaient dans l’open-space pour tenter de trouver l’origine de leur sexualité.

Alice et moi poursuivons notre discussion dans l’open-space, alors que la nuit est tombée sur la ville et que notre verre de whisky est à moitié plein, ou vide.

Nous admettons qu’une certaine souffrance accompagne notre orientation sexuelle, qu’être lesbienne peut représenter une croix plus ou moins lourde à porter. Souhaiterions-nous pourtant être différente ? Pour faire plaisir à Papa et à Maman, peut-être… Alors, en imaginant qu’ils nous plaisent (ce qui va être compliqué) et sans nous départir de notre féminisme, est-ce qu’aimer les hommes présenterait réellement un avantage ? Allez, je prends ma claque, les garçons aussi, onzième leçon : Hétérosexuelle, non merci !

Si nous avions été hétérosexuelles, notre vie serait-elle la même ? Notre emploi, notre ville, notre quartier, nos loisirs, nos amis, seraient-ils ceux d’aujourd’hui ? Et nos préoccupations, notre conscience politique, nos lectures, notre consommation de whisky ?

Alice : Non, ce serait différent.

Alice compare avec sa sœur, qui n’a qu’un an de moins qu’elle. Cette cadette suit ses études en Lorraine, leur région d’origine, et vit avec un jeune homme depuis environ deux ans. Elle l’a rencontré à l’Université. Elle fréquente en général les gens avec qui elle partage, ou a partagé, un établissement d’enseignement. Elle aime la course à pied, le yoga, se destine à une carrière médicale, qu’elle envisage mener près de son domicile actuel. Mis à part le sport et la profession exercée, elle me rappelle assez ma sœur aînée : Prince charmant rencontré très tôt, un an ou deux après le Bac, dans sa tranche d’âge, dans sa région, dont elle va très peu s’éloigner.

Les homosexuelles seraient-elles plus enclines à se déraciner ? Plus de mobilité, plus de déménagements, plus d’errance ? J’ai beaucoup voyagé par rapport à ma sœur, partant seule, loin et longtemps. (Qu’on ne me prenne pas une baroudeuse aguerrie, j’ai aussi traversé des périodes pendant lesquelles je ne pouvais pas sortir de chez moi.) Alice a pris la route avec son ex, Rosa.

Peut-être qu’une hétérosexuelle trouve mieux sa place dans son environnement d’origine ? Elle ressent moins le besoin de le quitter, parce qu’elle y a tout sur place, l’herbe ne lui semble pas plus verte ailleurs. Elle reçoit des références à sa sexualité, n’a pas besoin de les chercher. Elle peut être démonstrative avec le garçon qu’elle a choisi, lui prendre librement la main dans la rue, l’embrasser à la terrasse d’un café, l’aimer comme elle veut. Pourquoi partir ? Alors que l’homosexuelle, oiseau rare, doit davantage migrer pour trouver un terrain de chasse, de vie, favorable. N’y a-t’il pas une confluence des lesbiennes vers les grandes villes ? Des plus jeunes, en tout cas. Bien urbaines, mesdemoiselles, je vous laisserais volontiers ma place à Paris contre un peu de verdure, je vieillis…

Alice : L’homo va plus galérer, il faudra chercher les lieux, les soirées, pour choper…

Sidonie : Alice ! Pour choper…

Alice : Les lesbiennes sont mal polies chef, va falloir vous y faire.

Mais alors ce petit-ami, ce Prince charmant local, cet Ulysse de banlieue, alors, qui est-il, et comment ça se passe ? Alice lève les yeux au ciel, agacée. Elle se dispute avec sa sœur, qui endosse docilement un rôle d’épouse-à-tout-faire. Alice s’est beaucoup occupée d’elle et s’inquiète.

Alice : Si elle lui lave déjà son linge, qu’est-ce que ce sera quand il aura 40 balais ?

Sidonie : Elle lui préparera son costume pour le lendemain.

Alice : Ce n’est pas comme ça qu’elle a été élevée !

Si je compare encore avec ma sœur, c’est assez proche. Très tôt, avec celui qui est devenu son mari, ils ont établi les règles (tacites) d’une vie commune où les tâches ménagères étaient inégalement réparties. Il était là, flagrant immédiatement, ce déséquilibre qui insupporte Alice et qu’on retrouve dans beaucoup de couples, beaucoup de familles, partout sur notre belle planète. Sachez, mesdames, que toutes ces heures passées, perdues, au bien d’autrui, ne vous seront jamais rendues. Vous ne pourrez les vendre nulle part, elles ne valent rien, sont parfaitement invisibles, nulles et non avenues. C’est pour votre pomme. En France, on parle de 3 h 30 d’action ménagère par femme, par jour. Faites le calcul sur un an, sur dix… Imaginez tout ce que toutes ces femmes auraient pu réaliser, individuellement, et collectivement… Quel gouffre, quel gâchis !

Alice : Il est gentil et tout, le mec de ma sœur… Mais je ne pourrais pas. Je-ne-pourrais-pas. Il ne fait rien ! Elle fait tout ! Il se met les pieds sous la table comme un papy, ah non, ah moi ça me tue. Même si j’avais été hétéro, je n’aurai pas pu supporter ça. Non, j’aurai été célibataire, je crois. Ah non, un boulet, ah non…

Elle s’enflamme. En plus de la mobilité, les homosexuelles ne seraient-elles pas un brin plus rebelles dans l’âme ? L’opposition au patriarcat est évidente, affirmée, et tellement réjouissante à regarder !

Alice : Heureusement, mais heureusement, je suis homo, je ne vais pas me bouffer de la hiérarchie à domicile, j’ai échappé à un autre schéma de commandement, au foyer ! Heureusement, je ne bosse pour personne, j’ai bien failli me coltiner deux journées en une, les courses, le linge, la bouffe, les mômes, et un couillu cuté dans le canapé !

Sidonie : Ah ! Un couillu… cuté…

Alice : Non mais au secours, je trouve ça trop glauque, moi, pas sexy du tout… Mais quelle corvée de chiottes, la vie ! Évidemment que les femmes vont leur mener la vie dure, aux hommes, évidemment qu’elles vont se venger, être inaccessibles et pas douces et pas romantiques, et pas chaudes ! Évidemment qu’il n’y aura plus de sexe dans le mariage ! Qui a envie de coucher avec un boulet ? C’est tellement sexy d’être à ton service, mon chéri, attends, j’étends ton linge et je m’occupe de toi, regarde un porno en attendant, j’arrive pour te faire des quatre volontés ! Ah put*** ! Non merci, je passe mon chemin…

(Je censure ce qu’Alice dit du porno, ça se termine en cadavres et en hélicoptères, c’est hilarant mais vraiment pas présentable…) On rit, on rit… On ne donnerait pas tout l’or du monde pour être hétérosexuelles. Nous ne jalousons pas nos sœurs et les plaignons plutôt, leur quotidien ne nous semble pas enviable, leurs compagnons représenteraient, en fait, plutôt un désavantage… Ils font planer la menace d’une charge de travail supplémentaire et donc, la perte de temps libre. (Impossible ça, je dois écrire, je n’ai pas le loisir de materner un adulte, j’ai déjà un enfant qui m’occupe beaucoup.) Et ils s’exposent, ces hommes-boulets, à la longue, à la lassitude, la désaffection, la désertion. Le Féminin décroche. Ma sœur est en train de décrocher sévèrement, après 20 ans de vie commune. Les enfants sont grands, sa carrière n’est pas ce qu’elle aurait pu être, elle regarde derrière elle, les congés parentaux, les mi-temps, toute cette action ménagère, c’était beaucoup de sacrifices… Elle, la petite fille modèle, mon aînée impeccable, va bientôt être plus féministe que moi ! Je ris, mais je ris, quel sac à malices, la vie ! Quand ma sœur sera activiste, je lui expliquerai ce qu’est une lesbienne. Passons.

Nous autres, homosexuelles, il nous arrive pourtant de plaire aux hommes… De leur succomber, même, pour certaines d’entre nous. La frontière entre les sexualités est mouvante, parfois infime, il me semble. Alice n’est pas d’accord du tout.

Alice : Non pour moi la frontière est très nette et infranchissable. C’est vous qui n’êtes pas claire.

Voilà, elle commence à me bousculer. Je sens venir les claques désormais… Je serre les poings, je me mets en garde. Mais je suis toujours admirative du côté cru, naturel, de ma jeune adversaire… Je n’aurai jamais la carrure contre sa franchise, la force de ses coups.

Sidonie : Tout est si évident pour toi, Alice…

Alice : Mais non ! Mais c’est vous qui êtes tordue !

Vlan ! La voilà la claque ! Elle me cloue sur place. J’ai horreur qu’on me qualifie de tordue. Torturée. Compliquée. Écorchée. Ma mère fait ça ! Elle a une peur bleue de la folie, parce que sa mère à elle fréquentait les hôpitaux psychiatriques ! On ne questionne pas ma santé mentale à partir de ma vie sexuelle, ça me rend dingue ! Aimer les femmes n’a pas fait de moi une aliénée ! Avoir connu des hommes pas davantage ! Je ne suis pas tordue ! C’est la route qui est sinueuse. Il y a des gens qui me font l’effet d’être sur des rails. En général, ils me fascinent ou me révulsent. Vas-y, trace, c’est tout droit.

Sidonie : Tordue ! Pardon ?

Je dois pâlir un peu.

Alice : Tordue, non, disons, enfin, illogique, pour moi…

Oui, je crois avoir connu des phases où je n’étais plus trop lesbienne. Si, enfin, j’étais toujours lesbienne, mais avec des garçons en plus… Je ne saurais pas l’expliquer. Parce que… L’impasse des filles. Le désir mort. Bref, je n’étais plus trop lesbienne mais je n’étais plus trop rien, je ne savais plus, ne ressentais plus… C’était vide et reposant, j’étais parfaitement seule. Je n’attendais rien de personne et considérais n’avoir pas grand-chose à offrir. Les aventures provoquées certains soirs étaient sans portée sur le cours de mon existence. Homosexuelle, bisexuelle, autosexuelle, tranquille : « mon cœur est calme, qu’il le reste. »

Alice : Moi, je suis logique. Jamais je n’aimerais un homme. Jamais je ne vivrais avec un homme. Même un mec comme mon frère, qui est cool, des fois, il me saoule. Mon père c’est pire.

Que dirais-je du mien, qui vit en parfait célibataire, avec ma mère-gouvernante à ses côtés ? Grand chef de famille fâché tout rouge. Squaw Sido pas obtempérer, plus jamais obéir injonctions. Je ne vais pas m’occuper de ma sœur. Elle ne me le demande pas. Elle n’a jamais été concernée par mes déboires amoureux. Et elle pense que je suis « un peu autiste » ! Grand chef n’a qu’à la prendre en charge lui-même. Il n’est pas trop tard pour apprendre à aider un enfant en détresse, vieil homme. Je n’ai pas le sens de la tribu ? Quelle bonne blague au dessert, Squaw Sido rire et pleurer en même temps ! Mais laissons là les papas qui me sortent par les yeux.

Alice : Vous avez été avec un homme, vous ?

Sidonie : Quelle indiscrétion ! Oui ! J’ai même fait un enfant.

Alice : C’était mieux ou moins bien qu’avec une femme ?

Vlan et vlan, question, réponse, pied du mur, à poil, j’hésite trop, j’encaisse mal.

Sidonie : En fait… Je n’arrive pas à comparer.

Alice : Vous ne pouvez pas me répondre. Vous ne pouvez rien déballer, vous êtes trop coincée, vous me faites rire.

Sidonie : Je ne suis pas coincée.

Alice : Mais vous êtes tellement polie, c’est énervant !

Sidonie : Mais ta gueule !

Alice : Voilà, ça c’est une lesbienne ! Vous me faites chier d’aimer les hommes, tiens !

Sidonie : Mais je n’aime pas les hommes !

Alice : Moi je ne peux pas les approcher, mais pas, mais pas, mais pas un seul, je ne peux pas : je suis lesbienne… Lesbienne-lesbienne. En fait… Je n’arrive même pas à concevoir que les autres femmes soient hétéros !

Sidonie : Tu exagères.

Alice : Bah oui, j’ai bu. Mais franchement, impossible… Les hommes sont trop vilains !

Sidonie : Tous ?

Alice : Ah ouais, non, non.

Sidonie : Qu’est-ce qui te dérange ?

Alice : Ah, tout, les poils, le corps, le sexe, la peau, la voix, la mentalité… Non, impossible, non, homo, c’est bien. Vous êtes encore attirée par les hommes ?

Elle ne lâchera pas. J’ai envie de me défiler, j’ai bien envie qu’elle arrête de me poser des questions. Il suffit, insolente ! Mais je m’en voudrais de ne pas être vraie avec elle… Belle Alice sans fard, je dissimule si souvent, par habitude…

Sidonie : Mais quelle indiscrétion ! Physiquement tu veux dire ?

Alice : Oui, évidemment, physiquement !

Sidonie : Non. Parfois il m’arrive de trouver des hommes beaux, même sensuels… Juste deux secondes, comme ça… Mais je n’ai pas envie d’aller plus loin.

Alice : Et les femmes ?

Sidonie : Quoi les femmes ? J’en aime une.

Alice : Et vous ne regardez pas les autres ?

Sidonie : Non.

Alice : Vous mentez tellement mal, chef…

Sidonie : Quoi ?

Alice : Vous mentez tellement mal ! Vous ne matez pas les autres ?

Sidonie : Non !

Alice : Jamais ? Moi, même raide dingue de Rosa, j’arrivais à loucher sur ses copines !

Sidonie : Oui ?

Alice : Vous ne croisez jamais une femme et vous vous dites : Dommage, chérie, ça aurait été bien ?

Sidonie : …

Alice : Ah ! C’est arrivé ! Vous n’alliez pas l’admettre, mais vous êtes grave ! Dites-moi que vous n’avez pas regardé Daphné !

Ok. On s’éloigne du sujet. On va se la mettre sur l’oreille pour se la fumer plus tard, comme dirait les hommes.

Les pauvres hommes, on les a rhabillés pour le printemps ! Tout beaux comme ça, ils vont pouvoir être plein d’égards envers leurs femmes. Bondissez de votre canapé, les gars, en avant ! Emparez-vous de l’action ménagère ! Et répétez, tous les jours, à haute et intelligible voix : Laisse chérie, c’est mon tour de corvées, tu as 3 h 30 devant toi.

En attendant, pour Alice et moi, c’est non merci. On va plutôt rester entre filles, et décider que le féminin l’emporte.

Alors, leçon suivante, comme une cigarette pour deux sur un toit parisien, nous évoquerons les pincements, les ratages, les choux blancs, les femmes jamais conquises, et une, surtout une, rêvée, chantée, courtisée, en vain, et qui demeurera un mirage… Tiens, prends la claque de la gouine mal-aimée dans ta face ! Alice parlera de sa Madeleine, elle dit « Ah… Mon hétéro », mais moi, puisque je suis tordue, je dis autrement. Ce sera la leçon n°12 : La non-femme de ma non-vie.

 

Sidonie