Une histoire de coming out : Irène, 25 ans

Certaines disent qu’elles l’ont toujours su. De façon presque aussi naturelle que de savoir respirer depuis la naissance. D’autres évoquent la rencontre décisive qui fait basculer leur vie. Comme souvent, ce que j’ai vécu se situe entre deux eaux, dans la nuance. Mon homosexualité a été à la fois évidente et très lourde à porter.

A l’école maternelle, je me revois en train de jouer le rôle du prince, moustache bleue et couronne vissée sur la tête. Le rôle de la princesse ne me convenait déjà pas à l’époque. Je me rappelle aussi embrasser pendant la sieste l’une des petites filles de ma classe qui deviendra à l’adolescence ma meilleure amie. J’essaie d’attirer les regards des filles dans la cour. Je suis l’une de celles qui courent le plus vite, profite de la récréation pour me voir sous les traits de Marie-Jo Pérec, espérant les impressionner.

Si couchés sur les papiers, ces mots semblent imposer l’évidence de mon attirance, la préadolescence se charge bien vite de jeter le trouble dans la tête d’une jeune fille en devenir. Mes premières années après la puberté sont masquées de courtes romances d’été en colonie de vacances. Mais le collège devient le lieu aride de mes désirs, une fois l’adolescence installée dans mon corps et ma tête.

Ce sont les femmes professeures qui concentrent alors tous mes espoirs. Je pense secrètement que c’est leur stature intellectuelle, somme toute modeste, mais fondateur pour moi à l’aune de mes quinze ans qui m’anime. Aucun rapport bien sûr avec une quelconque attirance physique pour les filles. Comme pour me rassurer, je m’empresse d’ailleurs de citer nommément à mes copines chaque garçon du collège qui pourrait me plaire. Une sorte de réponse à la pression sociale des pairs probablement. Il est pourtant vrai que je regarde les garçons. Il m’arrive parfois même d’en trouver qui pourraient me plaire.

Quand je repense à cette période, je réalise à quel point mes sentiments étaient mêlés de convenance, du refus de dévier de la norme, de quelle façon les garçons ont pu être un exutoire alors que je n’osais pas aller vers les filles.

Après le bac, je quitte ma famille pour partir faire mes études dans une autre ville. Vingt ans, l’âge de tous les possibles lisais-je à l’époque sous la plume de Judy Blum. L’âge en tout cas où je parviens à intellectualiser mon attirance. Je tombe très amoureuse d’une jolie blonde. Elle me subjugue. Pour la première fois de ma vie, cette attirance est réciproque. Ce n’est désormais plus un fantasme. Cette relation pourrait prendre une dimension amoureuse si je faisais le premier pas. Presque paralysée face à l’histoire qui s’ouvre devant moi, je ne sais pas comment réagir. Je suis à la fois la plus ambigüe possible sans véritablement oser un rapprochement physique. De peur de ce que cela voudrait dire? Saturée chacune de notre côté de désir, aucune de nous n’ose aller vers l’autre. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai probablement raté mon premier amour.

Je pars à l’étranger à vingt-et-un ans. Liberté de l’ailleurs. J’ai réfléchi de mon longs mois, beaucoup écrit sur celle qui faisait alors battre mon corps et que j’ai pourtant raté. J’ose enfin dire à l’une de mes amies que je suis attirée par les filles, comme poussée par une force extérieure. Je me rappelle de la violence de ces quelques mots pour moi : » peut-être que je me suis rendue de quelque chose. Je crois que les filles me plaisent. » Mon amie, bienveillante, heureuse, soulagée de m’entendre parler d’une situation qui commençait à devenir évidente pour mon entourage, me délivre ce jour-là d’un poids incommensurable. En le disant, j’ai rendu mon homosexualité tangible.

Je me mets alors à beaucoup sortir. Soif de me découvrir, de comprendre les codes d’un monde que je ne connais pas. Mais je reste toujours en retrait. Aux filles qui viennent me voir, je ne manque jamais de répondre que j’accompagne quelqu’un. Le pas d’une relation reste trop difficile à sauter. Je force sur l’alcool dans le fol espoir de parvenir à sauter le pas. Trop de barrières sont pourtant encore érigées dans ma tête. Je mate plus que je n’agis, comme extérieure à mon propre désir.

Quand je rentre en France, la Manif pour tous, de Montparnasse à la Tour Eiffel bat son plein. Comme pour me protéger de ce flot de paroles traditionnalistes, je commence doucement à faire mon coming-out, pour m’assurer que celles et ceux que j’estime ne leur appartiennent pas. Une année zéro en quelque sorte dans ma vie de lesbienne. Je me souviens de la confusion dans ma tête lors des manif pro-mariage pour tous. Je me demandais si les manifestants étaient homo ou hétéro venus soutenir une réforme qui leur paraissait de bon sens. Pouvaient-ils voir si j’étais lesbienne? Est-ce que cela se lisait sur mon visage?

L’été suivant, j’ai ma première expérience sexuelle avec une fille. On se tourne autour pendant deux semaines. Avant mon départ, nous passons la nuit ensemble. L’alcool a beaucoup aidé, incapable de franchir le pas sans un adjuvant qui trouble mes sens et mon esprit. Pour une sombre histoire de train, nous n’avons pas l’occasion de nous dire au revoir. Chacune trop gênée de ce qu’il venait de se passer, nous préférions éviter les mots et les caresses d’un triste départ. Une relation sexuelle d’une nuit avec une fille, fortement alcoolisée, me laisse de meilleurs souvenirs que tout ce que j’ai pu vivre jusqu’à présent avec les garçons. Ceux avec qui j’ai couché, à la fois par curiosité et pour faire comme les autres filles, ne m’ont laissé aucun souvenir marquant. Seulement un grand flou dans ma tête.

Je continue de beaucoup sortir. Je flirte, je donne des rendez-vous. Mais je n’ai pas envie de faire comme avec les garçons. Coucher pour coucher ne m’intéresse pas. Je n’ai pas envie de galvauder cela. J’ai envie de tomber amoureuse d’une fille. Un jour, je me sens enfin prête. Je le dis à mon frère qui, lui aussi, semblait s’en douter. J’en parle ensuite à ma mère. Je me rappelle de sa réaction, très gênée, devenant toute rouge au restaurant. Elle ne comprend pas comment elle n’a rien pu voir, convaincue que je passais tout mon temps dans les bibliothèques, justifiant ainsi l’absence de copain depuis toujours. Quelques jours plus tard, elle me serre très fort dans ses bras et me rassure. Je suis sa fille, aucune préférence sexuelle ne changera jamais cela. Elle m’aime et souhaite mon bonheur. Une chape de plomb se lève de mes épaules.

Encore un effort et nous y sommes presque. Quelques mois plus tard, je rencontre enfin une fille, de celles qui attirent et dont le regard ne vous lâche plus. Moi, si pudique sur les preuves d’amour en public, gênée qu’on puisse nous montrer du doigt, devient la même dans la rue que dans l’intimité. Nous ne sommes pas un couple de femmes; nous sommes seulement deux filles qui s’aiment. Quand j’arrive dans mon nouveau travail, je parle d’elle. Elle fait partie de ma vie et je ne vois pas au nom de quoi je devrais mettre de côté ou dissimuler ce qui me rend heureuse.

Quand je me remémore ces souvenirs, je vois que je suis passée à côté de quelqu’un qui aurait pu me rendre très heureuse de peur du regard des autres. C’est probablement l’un des pires regrets que l’on puisse avoir. Avec le recul et si j’adoptais la position de celle qui souhaite donner un conseil aux filles en train de se chercher, je dirais qu’il ne faut pas laisser aux autres le choix de décider de notre propre vie. A vivre sous cloche, on finit par s’asphyxier.

 

photos : Théo Gosselin

Marie B.

Accro au Scrabble, aimant les rousses façon Faye Reagan, Marie affectionne au moins autant la politique que les romans fin de siècle.